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LIRE « LE RÊVE DU PÊCHEUR » DE HEMLEY BOUM

Comment parler du roman « le Rêve du pêcheur », un livre à la fois magnifique, lumineux, poétique et envoutant, sans commencer par dire quelques mots au sujet de son auteure.
Hemley Boum, c’est d’abord une écriture : forte, émotive, merveilleuse, enveloppée, délicieuse et totalement maîtrisée. Je l’ai découverte, alors que j’effectuais au début de l’année 2023, de petites recherches sur les principales figures de la résistance africaine face à la colonisation dans l’ex AEF. Et c’est ainsi que je suis tombé sur un livre : Les Maquisards. À la quatrième de couverture je lis ces lignes : « Ce roman Les maquisards de Hemley Boum est une bombe à retardement, un choc émotionnel inouï, un phare dans la nuit de la mémoire, une boussole pour l’avenir ».  Il n’en fallait pas plus pour que je me décide de me procurer par tous les moyens ce « guide éclairé et avisé », introuvable malheureusement en librairie et nulle par ailleurs, si ce n’est dans sa version ebook. Plus est, à sa sortie en 2016, « Les maquisards » fut encensé par toute la presse, et nombreux furent les critiques littéraires qui rivalisaient de formules dithyrambiques à propos du livre. Encore et surtout, quand l’auteure camerounaise s’est vue décernée le Grand Prix d’Afrique Noire de l’Association des écrivains de langue française (Adelfi). Depuis, en plus d’avoir lu « Les Maquisards », troisième roman de Hemley, j’ai tour à tour dégusté, toujours avec le même plaisir, « Le Clan des femmes », « Si d’aimer » et « Les jours viennent et passent », respectivement publiés en 2010, 2012 et 2019.
Avec « Le Rêve du Pêcheur », l’écriture de Hemley Boum se bonifie. Je fais même le pari que cette auteure à la plume d’or, dont l’encre magique est loin de s’épuiser, est promise à des récompenses hautement prestigieuses.
Mais de quoi s’agit-il donc dans « Le Rêve du Pêcheur » ?
Avant tout, commencez par imaginer trois générations d’hommes, de femmes et d’enfants d’une même et grande famille de la lignée des pêcheurs comme on en trouve dans les villages africains. Représentez-vous ensuite des paysages: le fleuve, l’océan, la forêt. Enfin, soyez prêts à faire le voyage en esprit, depuis des lieux connus du Cameroun – village Campo près de kribi, New Bell à Douala, Kondengui à Yaoundé -, vers un univers inconnu: Paris en France et ses mirages.
C’est dans ce décor que vont se dérouler les scènes du livre « Le Rêve du Pêcheur ». Plus je progressais dans ma lecture, et plus je me sentais tiraillé entre le désir d’arriver vite à la fin, et ce sentiment de vide ou de solitude que j’allais éprouver une fois un livre aussi vivant refermé, et ses personnages disparus. Au fond, je craignais d’affronter le dénouement que l’auteure allait réserver à son histoire et servir au lecteur, particulièrement en ce qui concerne le sort final de Zackary le personnage principal – pour ne pas dire l’un des personnages principaux de ce roman -, dont l’arrière grand père, le grand père, et la tante maternelle sont morts chacun à son tour, dans des circonstances certes différentes, mais toujours emportés par le fleuve .
Pour faire simple et court, « le Rêve du pêcheur » raconte la vie heureuse et paisible que mènent au village Campo, des familles de pêcheurs, jusqu’à l’arrivée du « capitalisme sauvage » déguisé en société commerciale, laquelle va insidieusement détruire les habitudes de vie, et obliger pratiquement les villageois à adapter un mode d’existence fondé sur des biens de consommation dont jusqu’ici, ils n’en avaient pas besoin. En accordant des facilités de crédit avec retenue à la source à tous, la société en question, introduit en même temps la pêche aux chalutiers, appauvrit les autochtones qu’elle exploite, et finit par obliger certains à délaisser leur terre. Zackarias le grand père que Zackary n’aura pas connu, sera une des victimes de ce capitalisme sauvage qui en plus,  va  le conduire jusqu’à la prison de Kondengui à Yaoundé où il perdra deux années de sa vie, toujours heureusement  soutenu par sa chère et tendre épouse Yalana. Quand il sort du bagne, Zackarias ne retrouvera ni son ancienne vie paisible et insouciante, ni celle à laquelle il aspire pour lui et sa famille. Il se révolte contre tout et tous, perd sa joie de vivre et le contrôle de sa famille.  S’ensuivent le chaos, la mort de sa fille cadette et la fugue de l’aînée qui est la mère de Zackary,  alors que Yalana finit par repousser Zacharias loin d’elle. Au quartier New Bell à Douala, où il est scolarisé et se révèle aussi intelligent que poli, le jeune Zackary assiste impuissant à la vie dissolue de sa mère qui boit et se prostitue « dignement et publiquement» pour subvenir à leurs besoins. L’enfant se pose alors mille et une questions sans jamais avoir de réponses. À l’issue d’une aventure malheureuse dans laquelle l’entrainera Achille son meilleur ami, Zackary va contre toute attente, bénéficier d’un coup de pouce salutaire du Colonel, un autre personnage du livre grâce à qui il va réussir à prendre l’avion pour la France, contre la promesse de rompre totalement avec son passé. Là, Zackary entreprend des études de psychologie, rencontre Julienne qu’il épouse et le couple fonde un foyer qui comptera deux enfants, deux superbes jumelles, Dora et Nelly, deux prénoms qui ne s’inventent pas.
Tout le génie de Hemley Boum se déploie alors à partir du début des 100 dernières pages du livre. Que de rebondissements, de réapparitions inattendues et subtiles des personnages que l’on ne croyait plus retrouver ! Puis le retour au Cameroun de Zachary, ce qu’il va découvrir, vivre, apprendre. Et de nouveau Paris, Julienne, Dora et Nelly.
Roman de l’exil, de la transmission, du bouleversement, de la famille, du courage, de l’espoir, « le Rêve du pêcheur » est tout simplement sublime. Et voici quelques citations pour vous vous donner encore plus envie de lire cet opus :
« Nos périples à nous ne prévoient aucun retour, nous ne sommes pas des voyageurs mais des exilés. L’exil est un bannissement et une mutilation, il y a là quelque chose de profondément inhumain. Quel que soit le danger que l’on fuit et le soulagement de s’en éloigner, chacun mérite de garder quelque part en lui l’espoir d’un retour. »
– « À cette étape de ma vie, j’étais persuadé que l’on pouvait se soustraire à ses souvenirs, s’absoudre de ses fautes simplement en se dissociant de celui que l’on était au moment de les commettre. Je pensais qu’il suffisait de décider d’être heureux et d’aller de l’avant pour que le passé disparaisse comme par magie et que la vie redevienne une page vierge. Je suppose que quelque part en enfer, le diable rit encore de ma naïveté. »
– « Comme ma mère, je me suis tenu au bord du précipice toute ma vie. Je n’ai jamais vraiment renoncé à la séduction de la chute, l’attraction du vide. Se laisser choir, enfin lâcher prise. Toute une vie à affronter le néant en moi. Je comprends Dorothée mieux que personne. »
-« Mais je saurai prendre soin de votre fille, je vous le promets.
Promesse fallacieuse que les hommes se font depuis la nuit des temps au sujet de femmes capables de prendre soin d’elles-mêmes. »
-« Les regrets, Petit Pa’, sont l’autre côté de la vie. Chaque fois que nous faisons un choix, nous renonçons à autre chose et parfois nous nous trompons, nous voudrions revenir en arrière, savoir ce qu’aurait été notre existence si nous avions opté pour tel chemin plutôt que tel autre. Nous fantasmons ce qui aurait pu être, ce qui est à jamais perdu »

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2 commentaires

  1. Très beau résumé du livre qui incite le lecteur à le retrouver dignement pour une consommation sans modération.
    Merci GJK.

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