UNE SOIRÉE EN FAMILLE
« Rire en famille, c’est mettre une belle cerise sur le gâteau de la vie »
« Ah voilà un autre amateur de kpoto ngoundja! Candice, sers-lui une assiette ! » Tel est l’accueil que j’ai reçu de ma cousine Francine au moment où je franchissais le seuil du portail de la maison familiale de mes cousins B.
C’était un soir après le travail. Un vendredi soir d’octobre 2021 pour plus de précisions. J’avais décidé, après le travail, en fin d’après-midi d’aller rendre visite à mes cousins B que je n’avais pas vu depuis longtemps. Et ce d’autant plus que leur mère et la cousine Francine résidaient en Europe. Elles étaient venues pour des funérailles.
C’est ainsi que j’ai débarqué chez eux, aux alentours de 18h30. Il faisait plutôt chaud. Grande fut ma surprise de retrouver ma mère qui avait, apparemment, aussi décidé de passer la soirée avec sa cousine de la diaspora.
Mère, cousine, filles, fils et nièces étaient assis, qui sur une chaise, qui sur un “barambo “ (sorte de petit tabouret artisanal traditionnel) dans la grande cour devant la véranda. N’eut été la lumière diffusée par les ampoules électriques de la véranda ou des différents coins de la maison, on aurait pu se croire dans une soirée au village, tant la pleine lune trônait et éclaircissait à outrance le ciel.
Il y avait ma chère génitrice, sa cousine, ma tante Augustine et trois des filles de celle-ci, Francine, Cécile et Line ainsi que son fils aîné Simplice. Les petits-enfants étaient au salon et regardaient la télévision. Les très longues et intempestives coupures d’électricité ne leur permettaient pas de profiter assez souvent de ce type de loisir.
J’ai éclaté de rire en disant à ma cousine qu’elle pourrait tout de même me laisser m’assoir avant de chercher à me gaver ! J’ajoutais toutefois, que je me pourléchais d’avance les babines à l’idée du plat de kpoto goundja que j’allais savourer. Il s’agit d’une recette de feuilles de manioc préparées sans sel dont raffolent les mogbandi. Le digne fils de Mobaye que je suis ne pouvait que faire honneur à ce plat de chez nous ! Aussitôt commandé, aussitôt exécuté !
Ma boutade donna l’occasion à l’intarissable conteuse qu’est Francine de nous narrer les aventures de cet ami, qui après avoir savouré des mets préparés lors d’une fête chez mes cousins, s’incrustait autant que faire se peut. Il semblerait que la cuisine de sa femme était des plus banales qui soit. Il lui arrivait même de « passer commande » de certains plats. De guerre lasse, et après avoir usé de toutes les formes de diplomaties possibles, Francine dû lui faire comprendre gentiment, mais avec des mots bien choisis, que ses sœurs et elles n’étaient pas des tenancières d’une cantine populaire ! Même l’hospitalité africaine avait des limites !
Et nous voici tous en train de rire comme des enfants, toutes générations confondues en causant de tout et de rien. Nos génitrices prirent le relais en racontant les quatre cents coups de tel ou tel cousin, neveu ou oncle. Ma tante Augustine nous racontera les facéties de Francine lorsqu’elle était encore une toute petite fille.
La petite Francine, alors à peine âgée de six ans était très… hospitalière. Un peu trop au goût de ses parents. C’était l’une des meilleures clientes du boutiquier du quartier à l’époque ! Dès qu’un visiteur arrivait à la maison, mademoiselle, sans autorisation aucune et en catimini, sortait et se pointait chez le boutiquier et lui disait tout de go : « Mbi yé bière ! », traduction : « je veux de la bière ». Elle ajoutera que c’était à crédit et que ses parents le paieraient plus tard. Il fallait voir la tête de la cliente qui ne payait pas de mine ! Un bout de chou dont les mains ne parvenaient pas au comptoir tellement elle était petite !
Etant donné que les parents de la petite cliente étaient tous les deux des fonctionnaires de l’Etat, le boutiquier était assuré de rentrer dans ses fonds. Il ne lui serait jamais venu à l’esprit que la petite avait agi de son propre chef ! Imaginez la tête de ma tante et de son mari lorsqu’ils virent leur fille débarquer avec une ou plusieurs bouteilles de bières. C’était selon le nombre de visiteur !
Après le paiement obligé de nombreuses factures de bières imposée par leur fille, ils finirent par dire au boutiquier, qu’il n’avait plus le droit de vendre à crédit à Francine ! Ils ne comprenaient d’ailleurs pas comment il pouvait croire qu’ils aient envoyé une aussi petite fille acheter de la boisson à crédit !
Son excès d’hospitalité était multiforme ! Sa mère étant couturière, il lui est aussi arrivée, d’offrir à une cousine de passage un pagne flambant neuf et non encore cousu appartenant à sa mère ! Il fallait voir la joie et l’émotion de la cousine devant tant de générosité. Ce serait un euphémisme que de dire que ma tante était interloquée. D’autant plus qu’il fallait faire comprendre à la parente que la gamine avait agi de son propre chef.
Francine d’habitude si loquace souriait mais ne pipait mots. Nous ne sommes pas gênés pour la taquiner. Et les anecdotes s’enchainèrent pour le plus grand bonheur de tous. Ce fut un moment assez particulier. Cette soirée improvisée en famille avait des airs de retrouvailles de résistants voulant préserver le peu de tissu familial qui existe encore. Des retrouvailles empreintes de sérénité, de respect et d’affection. Une chose tendant à se raréfier de nos jours…
S’il est vrai, en effet, que la génération de nos génitrices se connaissent tous, cela n’est pas le cas pour leurs enfants ! Le plus grands, peut-être… Mais les plus jeunes pas du tout. Il m’aura fallu par exemple, un hasard de circonstances après des événements politico-militaires dans le pays pour faire la connaissance de la majorité de mes cousins. Du moins de cette branche familiale.
Serge Joncour n’a pas tort lorsqu’il qu’il dit (je paraphrase) que : « la famille c’est comme un jardin, si on n’y met pas les pieds, ça se met à pousser à tire-larigot, ça meurt d’abandon » Pour des raisons, que seuls nos parents connaissaient, le tissu familial s’était « distendu ». La famille s’était durant de nombreuses années « clanifiée » en différentes branches pourtant issues du même aïeul.
Ma mère m’a toujours dit qu’il faut savoir dépasser certaines choses. Il n’était pas utile, selon elle, de ressasser les choses du passé. Surtout lorsqu’on se dit chrétien ! Elle m’a encouragé à interagir avec mes cousins. Des circonstances assez compliquées me donnèrent l’opportunité de faire connaissance et de renouer avec cette branche de la famille dont je ne connaissais que quelques membres. En l’occurrence, ma tante Augustine et ses enfants. Et encore…
Mais nous avons, depuis lors, appris, à nous découvrir ou redécouvrir les uns les autres. C’est pour cela que ces soirées conviviales en famille, entre frères, ont à mes yeux une valeur inestimable. Surtout lorsqu’on parle le même langage, lorsqu’on partage les mêmes valeurs et que l’on se comprend à demi-mots ! Et comme l’a si bien dit quelqu’un : « Rire en famille, c’est mettre une belle cerise sur le gâteau de la vie ». LPB
Commentaires
0 commentaires