EN VEDETTEGJK PLUME

CHRONIQUE D’UN SÉJOUR AU CONTINENT (Extraits IV)

UN COMPAGNON DE VOL SI AIMABLE

À bord de cet avion qui m’emmenait au continent, j’avais étrangement l’impression de me trouver dans l’un de ces bus déglingués qui d’ordinaire desservent les zones les plus reculées de nos pays d’Afrique. Par le passé, les vols étaient bien confortables, quelle que soit la classe choisie. De nos jours, afin d’augmenter leur rentabilité, les transporteurs aériens ont décidé d’ajouter des sièges supplémentaires à la section économique de leurs avions. Ce qui a entraîné une diminution de l’espace alloué à chaque voyageur. Les couloirs dans cet appareil étaient si ridiculement étroits qu’un passager se déplaçant dans la cabine, devait absolument faire un effort pour ne pas s’agripper aux sièges latéraux. Et s’il croisait une personne venant en sens inverse, tous les deux étaient obligés de se plaquer l’un contre l’autre, à moins que l’un des deux, ne se rabatte pratiquement sur les genoux d’un passager assis. Qu’en était-il alors des passagers d’âge avancé ou de grande taille ? Je ne pouvais m’empêcher d’imaginer leur inconfort de même que le supplice indicible imposé aux personnes douées d’un embonpoint fastueux ou d’une corpulence généreuse. Plusieurs fois par ailleurs, j’avais été témoin de la guéguerre entre ceux qui inclinaient leur siège et ceux qui, voulant de la place pour leurs jambes, donnaient au voisin de devant des coups de genoux. Par inadvertance ou par vengeance. Ainsi malgré les statistiques de sécurité aérienne tendant à prouver que l’avion reste le moyen de transport le plus sûr, je continue de croire que la peur de se crasher, l’ennui des longs courriers, ainsi que les incommodités du voyage, fourniront encore pendant longtemps, de bonnes raisons de détester ce drôle de microcosme à 12.000 mètres d’altitude. Je me souviens encore que plus jeune, je voyageais régulièrement et ne stressais que rarement, quels que fussent les désagréments des vols. À soixante ans passés aujourd’hui, je panique à la moindre turbulence, à plus forte raison, aux turbulences prolongées. Paradoxalement, j’éprouve toujours autant de plaisir à regarder par le hublot de l’avion pendant les phases de décollage et d’atterrissage. Ce que ne supportent guère la plupart des passagers. Serait-ce ma manière à moi de vaincre la peur par la peur ?
Mon voisin et bienfaiteur – le jeune homme qui m’avait invité à prendre place à ses côtés -, sans le savoir, m’avait fait une aubaine inattendue, en plus de m’avoir sauvé d’un vilain geste – que j’aurais sans doute regretté – à l’égard de la dame à problèmes. Maintenant que j’avais confortablement pris place sur mon siège, j’étais tout à mon aise pour profiter de la vue spectaculaire que m’offrait le hublot. J’étais le seul maître du store que je montais et rabaissais à ma guise et savourais mon plaisir d’avoir la tête dans les nuages, sauf pendant la traversée des zones de turbulences que je déteste foncièrement. Nous volions depuis un certain temps, et une conversation de plus en plus fluide s’était établie entre mon jeune voisin et moi. Après avoir échangé les courtoisies et fait réciproquement connaissance, nous avions petit à petit abordé différents sujets, des plus banals au plus personnels. J’ai découvert en mon interlocuteur une âme naïve, qui demandait à avoir des explications sur presque tout, même sur des choses qui me paraissaient évidentes. Je jouais le jeu. Je me prêtais volontiers à toutes ses questions et prenais soin de ne surtout pas le contrarier. J’avais ainsi su qu’il prenait l’avion pour la première fois, avait très peur de se déplacer pour se dégourdir les jambes et même aller aux toilettes. Il se demandait ce qu’il allait se passer en cas de problèmes mécaniques en plein vol ou plutôt, comment les avions font-ils tous pour n’avoir presque jamais de panne en l’air. Il fermait les yeux et s’agrippait aux accoudoirs au moindre mouvement de l’avion, se plaignait des bruits continus des moteurs et de ses oreilles bouchées, tenait à savoir ce qu’il se passerait au moment de l’atterrissage pour prendre ses précautions. Il se disait fasciné par le personnel qu’il trouvait courtois, courageux et très doués, apparemment aussi à l’aise dans l’avion qu’à la maison chez eux etc. Mes réponses et commentaires à toutes ses questions, rassuraient mon compagnon de vol. Au fond, ils me donnaient aussi à moi-même, plus d’assurance et suffisamment de confiance pour contenir mes propres stress que je dissimulais sous le faux masque de l’homme d’expérience pour qui l’avion n’avait aucun secret. Par ailleurs, le jeune homme m’avait appris qu’il était fiancé à une jeune française de souche, que le couple venait d’avoir un bébé de trois mois à peine, et qu’il rentrait au pays pour la première fois depuis presque 20 ans qu’il était parti. Il n’avait que deux semaines à passer avec sa famille. Seul son frère était au courant de son arrivée. Sa maman était simplement informée qu’il se préparait à venir sans plus de précision sur le jour et l’heure de son apparition. Intérieurement je pensais : vivement qu’à la vue du fils prodigue, une forte émotion ne fasse pas lâcher le cœur de la mère en attente. Au fur et à mesure que nos échanges se poursuivaient, et que mon cerveau enregistrait toutes les informations reçues, j’essayais en même temps de les analyser, de combler les trous et les omissions volontaires du récit, afin de me faire une idée du parcours assez mystérieux qu’avait dû suivre le jeune homme. Comment et depuis combien de temps était –il arrivé en France, lui qui prenait l’avion pour la première fois ? À quel âge avait-il quitté son pays si cela fait presque 20 ans qu’il n’y était plus revenu, lui à qui je donnais tout au plus 32 ans, sauf grossière erreur de ma part ? Venait-il à peine d’être régularisé et ne voulait pas attendre plus de temps pour rassurer sa famille, même si son bébé n’avait que trois mois ? Très sobrement habillé avec juste un sac-au-dos pour bagage à main, il n’avait enregistré en soute, m’avait-il laissé entendre, qu’une seule petite valise. Un comportement qui tranche diamétralement avec celui connu des « mbéguistes qui se la jouent petit parisien m’as-tu vu », surtout quand ils reviennent pour la première fois au continent. Enfin, son patron ne lui avait accordé, très difficilement, que deux semaines d’autorisation d’absence pour aller voir sa maman si gravement malade qu’elle risquait de ne pas survivre – un argument classique. Je pensais à la nature des relations de travail qu’il pouvait exister entre lui et cet employeur. Un CDD, un CDI, un intérim, un travail au noir bien rémunéré… ? À la vérité, mon compagnon de voyage partait d’urgence au pays pour une question de succession à régler. On sait les problèmes que cela engendre généralement entre les héritiers au continent. Il lui fallait absolument être présent s’il ne voulait pas perdre sa part. Son défunt père m’avait-il dit entre autre, avait laissé beaucoup de biens et surtout plusieurs terrains sur lesquels il comptait énormément et tenait à investir. Intérieurement, je me posais des questions : et si tout cela était de simples prétextes pour le faire revenir ? Ces biens et ces terrains, même s’ils avaient existé, étaient-ils encore toujours là en place et intacts après tant d’années d’absence ? Pour conclure, je lui avais souhaité courage et bonne chance de tout cœur.
À l’heure du repas, mon voisin était sur le point de refuser sa cassolette de plat chaud, quand lui parlant à l’oreille, je lui avais fait comprendre qu’une telle attitude n’était pas convenable en avion. Qu’il fallait laisser le steward accomplir correctement sa tâche. Ce dernier en souriant avait remis le service sur la tablette dépliée. Le jeune homme me disait avoir mal à la tête, ressentir un haut-le-cœur et manquer d’appétit. En définitive, il m’avait presque supplié en me demandant de bien vouloir le soulager de son plat. Je n’avais même pas essayé de faire semblant de refuser. D’ailleurs j’attendais de surcroît la bouteille de vin rouge que je lui avais demandé de choisir au moment où on lui posait la question. Je serais déçu de le voir la ranger soigneusement dans son sac, avant de poser la tête sur sa tablette et, les yeux fermés, attendre qu’un sommeil profond l’emporte. C’était en vain car il n’arrêtait pas de s’agiter. Pendant ce temps, je me régalais avec avidité et plaisir. En avion, j’ai toujours eu d’irrésistibles fringales. Manger et boire m’apaisent et me rassurent. Pendant ces moments, je ne ressens aucun stress. D’une certaine manière, je m’empiffre autant que ceux qui se gavent de sommeil. Un autre phénomène que je comprends difficilement. Comment arrive-t-on à se sentir serein et décontracté sur un siège inconfortable, à dormir profondément et ronfler aussi puissamment qu’un ogre repu en plein vol ? Papa Alphonse mon feu père nous disait souvent, à mes frères et moi : si vous voulez voir et connaître le monde et découvrir les gens, il vous faut aimer partir. La terre est vaste. Cherchez votre bonheur partout où vous pouvez mettre les pieds. N’ayez crainte de rien et même de mourir partout où vous serez. Il y aura toujours des hommes pour vous enterrez. C’est l’essentiel. Depuis le temps que je voyage, combien de pays, de personnes et de choses n’ai-je donc appris à connaître et aimer ! Je suis près à mourir où le destin me conduira. Pourvu que je vive heureux et que des hommes soient présents le jour de ma mort pour m’enterrer.
Encore une heure de vol, et ce sera l’atterrissage. J’aime toujours le moment où l’horloge ou le GPS signale l’arrivée à destination à partir de 59 minutes. C’est à la fois exaltant et excitant. On a l’impression que le compte à rebours s’effectue plus rapidement. Vivement le continent !

(À suivre)

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