Grand format de J.Gréla

GRAND FORMAT : L’ÉVÊCHÉ DE BAMBARI, SOUS LE RÉGIME DES SÉLÉKAS

Cachez-moi cette cathédrale que je ne saurais souiller. Hélas ! L’évêché situé en plein quartier musulman, acquis à la pensée « sélékiste » et hostile aux chrétiens, ne peut se voiler la face devant les souffrances de ces centrafricains de toutes origines réfugiés qu’il accueille. Il les accompagne et fait sien le chemin de leur calvaire vers le golgotha.

Bambari se transforme peu à peu et sans prendre garde en un Mossoul, ville iraquienne, envahie par des islamistes fondamentalistes, où les traces de la chrétienté doivent disparaître. En attendant la partition tant clamée par ceux qui ont érigé cette ville en état-major militaire et (peut-être) en capitale politique, les selekas s’organisent, maintiennent ou provoquent les anarchies, pour « se victimiser » et appuyer ainsi leur unique argumentation : scission de la Centrafrique.

L’évêché et ses déplacés sont otages des groupes armés

Le soleil tropical a sillonné toute la journée dans le ciel bleu de Bambari, maculé de quelques cumulonimbus stériles. La température en cette saison des pluies brûle la peau basanée des déplacés installés par petits groupes d’amis ou en famille, à l’ombre des melinas espèces d’arbres tropicaux d’origine asiatique, des manguiers plantés autour de la cathédrale. Ici, les animaux domestiques sont attachés aux racines des plantes serpentant le sol. Là, traînent quelques ustensiles de cuisines, des nattes ou matelas en mousse roulés aux pieds des arbres.

Des foyers ardents fument. Les marmites chaudes couvertes à moitié laissent échapper les odeurs alléchantes de la cuisine. Les femmes préparent l’unique repas de la journée. Certaines se tressent les cheveux, se fondent dans les commérages pour s’évader, s’éloigner un instant leur misère. Les hommes, eux, loin des femmes se nourrissent des rumeurs, s’entretiennent sur la vie qu’ils mènent et se demandent la fin de ce châtiment. Les enfants, insouciants, sans peur du lendemain gambadent, courent, sautillent tels des antilopes, jouent au football dans la cour gravillonnée, dans les ravins pieds nus, d’autres encore fabriquent leurs jouets au moyen des branches et des morceaux de bambous. Les bébés hissés sur le dos des filles et de jeunes mères sont bercés à la cadence des comptines traditionnelles en attendant leur repas : la tétée.

On vous déclare la guerre

Dans cette ambiance, vers 15 heures des coups de canons retentissent. Des hommes armés font irruption dans l’enceinte de l’évêché. L’évêque sort de son bureau à l’intérieur de la cathédrale. D’un coup, des hommes armés de fusils et de grenades mais habillés en civil ont défoncé le portail et sont entrés dans l’évêché. Certains ont crié « on vous déclare la guerre », raconte l’évêque, monseigneur E. Mathos, effondré et habitué, qui se demande ce qui arrive encore sur son territoire.

Ils n’ont eu aucune pitié

Sous ce soleil brûlant, les enfants abandonnent leurs jeux, certains pleurent, crient, recherchent leurs parents, pour s’abriter. Où ? L’on ne sait. Un tohu-bohu général, un vacarme infernal envahit la cour de la cathédrale. « Où sont les antis ? » (dimunitif des anti-balles AK à Bambari), vocifère nerveusement celui qui se présente comme le leader du groupe des assaillants. Des « antis » ne sont, évidemment, ni cachés, ni positionnés aux abords de la cathédrale, assure l’évêque. Dans ce mouvement de panique invraisemblable provoqué, « les gens essayaient de s’enfuir de tous les côtés. Ils ont tiré des coups de fusil et ont touché des hommes et des enfants. Ils n’ont eu aucune pitié » , poursuit l’évêque attendrissant.

Les personnes déplacées et leur cathédrale ont assisté impuissantes, démunies à cette bestialité, à cette chevauchée sauvage qui les pourchasse jusque dans ce lieu dit, lieu de paix, de pardon, d’amour et de confraternité. La barbarie n’a pas de nom et ne choisit pas ses victimes. « J’entends encore la voix des enfants sous les chaussures de ces gueux incultes » se mortifie un des occupants des lieux.

Les uns crient leur désarroi : « Qu’avons-nous avons fait au ciel ? Pourquoi il nous abandonne ? A qui irons-nous pour être protégés ? » Un homme, assurément, un catéchiste en sanglot qui s’active à regrouper les enfants dans un coin de la cour, laisse éclater sa hargne : « Où sont les sangaris et les misca ? » Il veut nommer les soldats africains et les soldats français présents dans la ville. Un jeune homme, sans doute, un élève de l’école des instituteurs s’avance et argumente, affligé : « Seule la République dans ce genre de cas protège ses citoyens. La nôtre n’existe plus. Nous sommes abandonnés et oubliés comme si le pays est déjà divisé. »

Cette attaque, selon un religieux, a été préméditée. Les selekas considèrent l’évêché comme, non pas, le sanctuaire de Dieu, mais des « antis » et doit en découdre. Selon l’imam de la mosquée centrale de Bambari à la sortie d’une rencontre avec le préfet de la ville, l’évêché doit « s’attendre fortement au pis un jour ».

Ils ont tout pillé et désacralisé la cathédrale

« Ils ont tout pillé, mis le feu à ma maison et tenté de forcer la porte de mon bureau qui se trouve dans la cathédrale », témoigne l’évêque, lassé et désemparé. Dans cet assaut les biens des déplacés internes n’ont pas été épargnés dont 3 véhicules du centre catéchétique d’Ippy, du centre pastoral et des Petites sœurs du cœur de Jésus, brûlés.

L’on ne peut plus fuir. L’on se sacrifie. L’on se remet entre les mains de son Dieu, des mannes des ancêtres, de Ngakola, son épouse Ilingou et du dieu des foudres pour espérer se protéger si on considère les traditions de Bambari. Malheureusement, il n’en sera pas ainsi. Vers 18 h 45, trois bandes armées envahissent successivement le centre pastoral pour emporter le véhicule de la paroisse de Bakala, pour se servir de ce qu’elle peut y trouver, pour tenter d’assassiner le prêtre présent et repartir impunément. Il a dû la vie sauve à une chaise pour se protéger d’un coup de poignard et à une cachette derrière les toilettes pour observer le pillage intensifié de chacune des pièces du centre pastoral jusqu’aux environs de 4 heures du matin.

A cause des armes, les majorités sont devenues des minorités

La vie qui se déroule derrière la zone occupée est un enfer, un abysse. Elle s’égrène au rythme de ce que les selekas imposent, infligent à ceux qui leur sont opposés : les non-musulmans, les échoués, les embastillés de la cathédrale. Tout est soumis à leur pouvoir ainsi que les ressources de la ville. Les pénuries et les cas de sous-nutrition deviennent de plus en plus fréquents et les plus faibles tombés malades ne peuvent plus fuir. « La vie, bien que devenue difficile, suit son cours » malgré cette soumission, s’insurge une religieuse larmoyante. « Nous sommes directement touchés par ces difficultés de la vie quotidienne dans cette tragédie sans recours ni secours », complète un jeune homme dégarni, émacié, tenaillé par la faim.

Dans cette situation, les gestes banals et les activités de tous les jours deviennent de vrais problèmes, de véritables défis. Sortir au péril de sa vie est une preuve de courage, une audace. Chacun rivalise d’astuces et d’originalité, se fond dans la débrouillardise pour se distraire, travailler, braver les interdits, repousser les limites de la peur pour trouver à manger et ne pas se contenter des conserves distribuées par les ONG, pour s’habiller, se soigner et simplement, trouver le sommeil. Dans ce climat, les craintes, la méfiance de l’autre naissent mais aussi l’entraide et la solidarité pour lutter contre la mort, donc vivre.

C’est le système « D », le troc pour survivre dans cette situation de Robinson crusoe, le naufragé.

La misca et les sangaris immédiatement joints, « ne sont arrivés que quatre heures plus tard ». Les groupes armés selekas ont eu le temps de terminer leur travail.

Joseph GRÉLA

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