Il était 22 heures passées. L’heure fatidique du couvre-feu était passée de plusieurs minutes. J’étais au salon. J’avais fini de travailler sur mon ordinateur et étais en train de regarder un film. La rue était calme. Il faut préciser que mon quartier était l’un des rares qui respectait, plus ou moins, scrupuleusement ce fameux couvre-feu.
J’entendis des pas de course dans la rue et une voix féminine qui criait : » zo ti ndji! Ala gbou lo ! (Au voleur ! Attrapez-le !! »). Zo ti ndji. Le cri le plus redouté de tous les voleurs lorsqu’ils sont poursuivis. En effet, à l’écoute de ce cri, de cet appel à l’aide, les gens ont pour habitude de sortir en trombe de leurs maisons et d’aider à l’arrestation du brigand. Il s’en suit une raclée qui peut finir, parfois, par être fatale à la victime. Zéro présomption d’innocence. Surtout dans certains quartiers ! De manière générale, c’est après avoir, dans le meilleur des cas, presque fait passer de vie à trépas l’infortuné malfaiteur, que les gens s’enquièrent des circonstances exactes dans lesquelles il aurait été pris la main dans le sac.
Je n’ai pas sourcillé. Il faisait noir. La société nationale ayant le monopole de fourniture de l’électricité, la fameuse ENERCA, remplissait très scrupuleusement son devoir de dispensatrice de ténèbres. Et apparemment, si j’en jugeais par le calme plat qui détonnait avec le bruit de la cavalcade et des froissements de tôles, j’étais loin d’être le seul, dans le voisinage, à avoir décidé de jouer les pseudos bons citoyens. On ne sort sous aucun prétexte pendant les heures de couvre-feu. Sauf s’il est question de vie ou de mort ! Je n’allais pas sortir dans la cour, ouvrir le portail juste pour jouer au loup avec des inconnus !
J’avais été très bien inspiré.
Quelques jours après cet incident nocturne, Je passais dans le quartier et suis tombé sur mon cousin Moussa, qui me demandera : »Yaya Louis (grand frère Louis) ! Tu as entendu la poursuite de l’autre soir ? »
Moi : Oui. Mais j’avoue que ça ne m’a fait ni chaud ni froid. Je ne saurais dire pourquoi ;
Moussa : oooooh… C’est Guirango et sa conjointe, Kpale !
Moi : Hein !!!
Moussa : Oui. Quand on a entendu les cris et les pas de courses, Kassim (son grand frère) et moi nous nous sommes précipités pour ouvrir notre portail. Et nous avons vu passer Guirango poursuivi par sa compagne Kpale, flanquée de deux policiers du commissariat voisin.
Moi répétant bêtement : C’est Kpale qui poursuivait son mari en compagnie de deux policiers ????!!! On aura tout vu avec ces deux-là… Mais quel était le problème ?
J’avoue que je n’ai pas tout compris aux explications qui ont suivies. Il serait question d’une histoire de mèches ou de perruques appartenant à Kpale et volées par son cher et tendre. Ce dernier aurait tenté de revendre son butin à je ne sais quel receleur de cheveux artificiels. Le comble aurait été le passage à tabac subie par Kpale lorsqu’elle avait découvert la forfaiture de son bien-aimé. Ce sont, plus ou moins, les grandes lignes de ce que j’ai réussi à retenir dans l’embrouillamini des explications données.
Guirango, est le prototype du fils inutile. Un rejeton aux activités des plus improbables, et réputé dans tout le quartier pour avoir “la main plus longue que sa jambe“… Une manière poétique de dire que c’est un grand voleur dont les “ compétences“ sont reconnues et subies par tout le voisinage. Un parasite qui prenait un malin plaisir à mettre tout le monde mal à l’aise dans la maison familiale qu’il continuait de squatter, au moment des faits, avec sa chère et tendre moitié. Les membres de sa parentèle avaient développé des trésors d’ingéniosité pour cacher leur argent ou bijoux précieux. La plupart du temps en vain. A croire, qu’il avait une sorte de détecteur spirituel lui permettant de toujours trouver le butin. Et il était avec cela violent et irrespectueux envers sa pauvre mère. Une veuve qui les a élevés, son grand frère et lui, toute seule, et ce depuis leur prime enfance après le décès de leur père. D’aucuns accusaient sa génitrice d’avoir été trop conciliante avec lui en lui passant tous ses caprices. Elle en payait les conséquences.
Il s’était choisi, une partenaire à la hauteur de ses “espérances morales“. Kpale. Une fille à problèmes qui semble avoir été éduquée dans un caniveau. Une fille sans façon, vulgaire à souhait mais qui ne se prend pas pour rien. Elle passait ses journées avec ses copines, dans la rue, assises sous un teck à commenter la vie des habitants de leurs rues. Tout était sujet à critiques. Cela passait de la grand-mère malveillante qui empêchait sa petite fille de se prostituer en paix, au méchant oncle qui ne cédait pas aux caprices des neveux. Ceci en passant par les histoires d’alcôves salaces de tel ou tel personnage du quartier. Elles étaient également friandes des rivalités amoureuses des unes et des autres. De véritables journalistes sans salaires !
Elle était la première à apporter son appui à ses copines en cas de bagarres entre rivales. La nature l’avait dotée d’une certaine force, dont elle usait et abusait à souhait. Il fallait bien qu’elle ait au moins une qualité… Ajoutées à cela, ses plantureuses formes qu’elles remuaient avec nonchalance, consciente du fait qu’elle répondait à certains des critères de beauté en vogue sous nos tropiques. A défaut d’utiliser le cerveau qui ornait sa boite crânienne, il fallait bien qu’elle fasse honneur à son anatomie. Mais, même dans ce cas précis, elle semblait cruellement manquer “d’ambition“.
Ainsi, pour en revenir à la raison de cette poursuite nocturne, et à la suite du pugilat conjugal ayant tourné en sa défaveur, Kpale avait quitté son foyer et regagné sa famille. Ceci, au grand dam des siens qui étaient si ravis d’en être débarrassés.
La vengeance étant un plat se savourant froid, voire congelé, elle avait fait convoquer Guirango au commissariat du coin. Convocation à laquelle il n’avait, bien sûr, jamais donné suite. Ceci induisant cela. J’étais toutefois circonspect. J’avais du mal à comprendre comment elle en était arrivée à le poursuivre à une heure aussi tardive. Et flanquée de deux policiers ! L’administration, à ma connaissance ne fonctionne pas 24/24. Nous n’étions pas loin du milieu de la nuit quand les bruits de cette espèce de jeu du loup avaient importuné les honnêtes citoyens de la rue.
Il y avait manifestement un soudoiement qui ne disait pas son nom. Mon narrateur semblait lui-même un peu perdu et guère intéressé par le pourquoi du comment. Il faut dire que les turpitudes et frasques du couple terrible en avaient rendu plus d’un blasé. Et moi de conclure que “nul n’est besoin de tout ce pataquès pour mettre fin à une histoire qui n’a pas marché“. D’autant plus, qu’elle savait très bien que son Roméo était loin d’être une référence en matière de probité morale.
Quelques jours plus tard, j’apprends par le plus grand des hasards que c’était de nouveau l’amour fou entre les deux tourtereaux. Une version banguissoise du tube Kolé séré de Kassav. J’y suis, je m’y scotche ! Collés. Soudés. Ils confirmaient ce dicton populaire qui dit qu’il ne faut pas mettre les doigts entre l’arbre et l’écorce.
Tout ça pour ça…
Kpale avait fait courir ces pauvres policiers pour rien !
Ils finirent par être vidés manu militari, pour le plus grand bonheur du quartier, de la maison familiale. Mais c’est une autre histoire.
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