Chronique du Village Guitilitimô

CVG-08 : LES VILLAGEOIS DECIDENT DE RECONSTRUIRE LEUR VIE – PARTIE 1

PARTIE 1 / 2

Se réveiller un matin pour apprendre que toute sa famille avait été assassinée; sa femme, ses filles, violées, et ses garçons embrigadés; tous ses biens pillés et son village vidé de ses habitants. Tout cela relevait d’un film d’horreur. Et pourtant, c’est bien ce qu’ont vécu de nombreux hommes, femmes et enfants de Guitilitimô et d’autres villages, lors des dernières crises en RCA. Dès le 10 décembre 2012, début de l’offensive déclenchée par la rébellion Séléka, cette nébuleuse composée d’éléments hétéroclites, jusqu’au 20 janvier 2014, jour de l’élection par le CNT (Conseil National de transition) de Macathy en qualité de présidente de laTransition, plusieurs événements se sont succédés : chute de Bozizé (ancien Chef de l’Etat), organisation de la résistance Anti-balles- à- ka et démission de Djotodja (premier président de la transition). Mais, à y voir de près, il n’existe qu’un seul dénominateur commun à tous ces changements: des dizaines de milliers de Centrafricains, ont été tués au fusil, ou massacrés à coups de hache et de machette, dans un accès de folie meurtrière qui dure toujours. Et voilà bientôt plus d’une année passée, que pour se protéger de la mort, les survivants du village Guitilitimô, après avoir tout perdu, s’étaient résolus, à s’installer dans un campement de fortune, au milieu de la forêt équatoriale.  Cependant, l’accès à la nourriture et à l’eau potable étant très limité, les conditions de vie dans ce campement sont extrêmement difficiles. Par ailleurs, à cause de la grande promiscuité dans laquelle vivent les déplacés, les conditions d’hygiène et d’assainissement se dégradèrent très vite. Au début, en moyenne, quatre décès – des personnes âgées succombant à l’épuisement ou à des maladies respiratoires chroniques et des enfants malnutris -, y étaient enregistrés tous les jours.

Malgré cela, le temps continue de s’écouler, sans qu’au niveau de la capitale Bangui, Macathy et son gouvernement de technomagiciens, ne daignent s’enquérir, de ce que sont devenues ces populations des villages, naguère prospères et indépendantes. C’est à croire que tous ces enfants, femmes et hommes, tous ces Centrafricains fils du pays, n’ont jamais existé.

Déterminé, pas du tout découragé par l’insécurité, Guimôwara-le-savant, avec la bénédiction du patriarche vieux Mbi-na-ala-Midowa, sétait décidé à retourner à Guitilitimô, pour, de lui-même, se rendre compte de l’état des lieux, et surtout voir dans quelle mesure commencer à reconstruire. Quelques villageois se joignirent à lui. S’y étant rendu, ils trouvèrent le village très dégradé, les maisons et les infrastructures tenant à peine debout. Des restes de cadavres jonchaient le sol et les ruelles de Guitilitimô, tandis que les pilleurs ex-Séléka et Anti-balle-à-ka, avaient fini de s’emparer de tout ce qu’ils pouvaient emporter.

De retour au campement à la nuit tombée, Guimôwara-le-savant, le jeune Kparakongo, toujours armé de son arc kpembi-kpomo, et Beka-le-Pygmée, allèrent s’installer, sur les troncs d’arbre dressés autour du feu, et servant de siège aux villageois. Avant eux, le patriarche vieux Mbi-na-ala-Midowa, toujours armé de son fusil bandaguikwa, s’était tranquillement étendu dans sa chaise longue, et tirait  doucement, sur sa petite pipe presque vide de tabac, le regard perdu et l’air pensif. Afin de se rafraîchir la gorge toute sèche, chacun se servit ensuite, une petite calebasse d’eau propre, contenue dans un canari, placé dans un coin de la petite cour. Tous, ils prirent en commun le maigre repas du soir. Alors, Guimôwara-le-savant, entreprit de rendre fidèlement compte de sa mission, au vieux Mbi-na-ala-Midowa. Dans son exposé, il fit part au patriarche de manière très détaillée, de tout ce qu’ils avaient vu et entendu. Ils échangèrent ensemble leurs différents points de vue, et analysèrent toutes la situation dans ses moindres contours. Ala fin, la décision fut prise de réunir tout le campement dès le lendemain matin de bonne heure.

Au rendez-vous fixé, tous les résidents du campement, hommes, femmes, enfants et vieillards, étaient réunis à l’endroit habituel où se tiennent les grandes assemblées. Quand tout le monde eut pris place et que le silence se fut établi, Guimôwara-le-savant, introduisit la réunion du matin. Il adressa à chacun et à chacune, ses mots de salutations, de paix, d’encouragement, et surtout d’espoir aux lendemains qui chantent. Puis, avec toute la politesse requise en pareille circonstance, il céda la parole vieux Mbi-na-ala-Midowa. Après avoir raclé plusieurs fois de suite la gorge, et laissé s’écouler quelques minutes de silence absolu, pour donner aux propos qu’il allait tenir, une solennité inhabituelle, l’on entendit alors  retentir la voix de stentor du patriarche :

« Filles et fils de Guitilitimô, chers enfants et petits-enfants. Avant de vous annoncer la nouvelle de la grande décision prise cette nuit par le comité du village, suite à la visite de votre fils, frère et père Guimôwara-le-savant et quelques-uns d’entre vous, à l’endroit qui fut votre village avant de vous retrouver dans ce campement, permettez-moi de vous raconter cette petite histoire :

Il y’a très longtemps, du temps où notre pays la RCA, ne connaissait ni crise ni guerre. Dans un quartier de Bangui la capitale, en l’occurrence SICA II, vivait autrefois, une très riche famille. Celle du beau couple Ngonzo-nabè, que formaient, un élégant Monsieur et une charmante Dame, parents de trois enfants, un garçon et deux filles, tous très mignons et déjà majeurs. Cette famille ne manquait de rien. Bien au contraire, c’était à croire que l’Univers tout entier avait conspiré pour offrir à cette famille, tous les biens de ce monde: luxueuses villas, entreprises commerciales, sociétés industrielles, argent, or, bijoux, voitures de marque, meubles sophistiqués, appareils de dernières inventions etc…

Juste en face de la villa de la famille Ngonzo-nabè, de l’autre côté de la rue où se trouve le quartier  dit « SICA noir », habitait dans une petite maison tenant à peine debout, un homme et sa femme, – qu’on ne refusait à affubler du titre honorable de Monsieur et Madame –, ainsi que leur marmaille composée provisoirement de 12 enfants, puisque la femme était enceinte, et elle l’était deux fois tous les ans. Soit dit en passant, il semble que le lit du pauvre est très fécond. Cela se comprend, car que faire s’il n’y a ni télévision ni aucune autre distraction. Bref, c’était la famille Nguia-na-yanga, que l’extrême pauvreté avait réduite à envier jusqu’à la démesure, la vie que menait les riches voisins d’en face. Aussi, dans leur prière de chaque jour, les Nguiana-yanga, accablaient Dieu, qui finit par entendre leurs supplications, et faire comme Dieu seul sait le faire : un beau matin, la famille Nguiana-yanga, se vit combler de tous les biens que possédait la famille Ngonzo-nabè, qui, comme elle en avait fait la demande à Dieu, se vit réduite à la pauvreté des Nguiana-yanga.

Mais les Nguiana-yanga ignoraient une chose : en même temps que les richesses, ils venaient d’ouvrir la porte aux « démons » inhérents à ces possessions : orgueil, médisance, haine, jalousie, division, mésentente, stress, dépression, peur de tout perdre, crainte du voleur, manque de temps, palabres, injures, vices, déboires,  etc.

De l’autre côté, la famille Ngonzo-nabè quant à elle, connut enfin la paix du cœur, la joie du partage, le plaisir de vivre heureux avec le minimum. Chaque jour, tandis que les Nguiana-yanga laissaient fuser des injures de toutes sortes et livraient bataille à cause de leurs grandes richesses et leurs biens, les Ngonzo-nabè, vivaient tout joyeux en se disant simplement, avec ou sans le minimum, « à chaque jour suffit sa peine ».

Un mois s’écoula. Déjà dégouté, fatigué et « accablé » par l’opulence d’une vie devenue artificielle, les Nguiana-yanga,  mari, épouse et enfants, se remirent à « importuner » à nouveau Dieu. Ils le suppliaient nuit et jour à genoux, la tête inclinée et les yeux levés au Ciel, de leur redonner les richesses de leur pauvreté perdue. Car, cette pauvreté avait été pour eux, synonyme de paix et de joie, d’amour sincère et en un mot, de bonheur.

A l’inverse, les Ngonzo-nabè bénissaient sans cesse le Tout-Puissant, et disaient dans leur prière de chaque jour : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, nous  proclamons ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Garde-nous pour toujours, Père, par ta bonté, dans l’humilité, la sagesse et la joie retrouvées des «-petits de Dieu ». (Mt 11, 25-27) 

Quant à moi, chers enfants du Village Guitilitimô,…

…A suivre

Retrouvez :
 La PARTIE 2 / 2 de cette chronique ici
 L’ensemble des chroniques du village Guitilitimôici

GJK – L’Élève Certifié
De l’École Primaire Tropicale
Et Indigène du Village Guitilitimô
Penseur Social

Commentaires

0 commentaires

@Lesplumes

www.facebook.com/lesplumesderca - www.twitter.com/lesplumesderca

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Bouton retour en haut de la page