Chronique du Village GuitilitimôEN VEDETTEGJK PLUME

LES MÉSAVENTURES DE PÈRE BALLA DIT JEUNE PÈRE, L’HOMME QUI REFUSAIT DE VIEILLIR

CHRONIQUE DU VILLAGE GUITILITMÖ

À soixante-dix ans passés, PÈRE BALLA se croyait toujours aussi jeune que les jeunes gens de l’âge de ses propres enfants ou petits-enfants. Brillant instituteur devant l’éternel, il avait, à vrai dire, lu trop de bouquins et appris trop de belles citations qu’il s’était convaincu de mettre en application, mais le faisait cependant de la mauvaise manière et sans discernement.
La jeunesse, aimait répéter PÈRE BALLA, n’est pas une période de la vie, elle est un état d’esprit ; et se sentir plus jeune que son âge, ajoutait-il, est bon pour la santé. Ou encore, le secret pour rester jeune c’est de croire qu’on l’est vraiment, ainsi par exemple, le « parler jeune » pour les moins jeunes permet de chasser la vieillesse. Des trucs de ce genre, PÈRE BALLA en avait assimilé des dizaines et des dizaines et était incollable sur ce sujet qu’il traitait en expert, d’autant plus qu’il arrivait toujours ou presque, soit à confondre, soit à persuader et même à convertir les vieux réfractaires de sa génération, qu’il agaçait par le ridicule de sa composition vestimentaire « m’as-tu-vu », sa démarche fière et sautillante, sa gestuelle de dandy et son langage dorénavant décalé.
Les mois puis les années s’écoulaient, et tandis qu’il avançait en âge, PÈRE BALLA au contraire, tenait ferme à rajeunir. Jour après jour, il multipliait les frasques et poussait toujours un peu plus, les limites du ridicule monstrueux dont il ne cessait de se couvrir. Dégoûtés et épuisés, ses vieux copains retraités, l’un après l’autre et finalement tous, prirent leur distance avec PÈRE BALLA qui s’en moquait mais saisissait cependant toutes les occasions de s’en prendre à ses anciens amis qu’il traitait entre autres de « vieux cons sans esprit et sans avenir, agglutinés en permanence pour se raconter des souvenirs importuns d’un âge révolu, se soûler la gueule tous les jours à crédit chez les tenancières des « Ngandas » et autres vendeuses d’alcool de maïs frelaté, fouiner sous les pagnes des bouchères coureuses de jeunes garçons, avant de se faire rabrouer et humilier par les vieilles rombières sans éducation du coin . » A toutes ces élucubrations effarantes du PÈRE BALLA réputé pour sa langue fourchue et ses grossièretés cyniques, les habitants du Village Guitilitimö, savaient qu’il valait mieux  ne pas y répondre, pour éviter que le spectacle des injures ne se prolonge jusqu’à tard la nuit.
Paradoxalement, les amis de PÈRE BALLA étaient tous unanimes pour reconnaître sa gentillesse légendaire, sa disponibilité de tous les instants, et surtout, sa grande capacité à se sortir des situations extrêmes et compliquées.
Pour la petite histoire, un jour, l’épouse du PÈRE BALLA piquée par on ne sait quelle mouche, fouilla dans son téléphone portable, et y découvrit des conversations légères échangées entre lui et certaines jeunes dévergondées. Sans s’en prendre frontalement à son mari, elle trouva cependant mieux, de recourir à deux des meilleurs amis de ce dernier, et à quatre, ils tinrent conseil au domicile du couple. Quand la femme eut fini de s’expliquer, PÈRE BALLA à son tour, préféra écouter d’abord les deux « juges conciliateurs » pour utiliser ses propres termes. Puis il prit la parole et dit: « Voyez-vous chers amis, quand une personne se met en tête de chercher quelque chose quelque part, c’est toujours dans l’espoir de trouver ce qu’elle cherche. Ainsi en est-il par exemple du chasseur qui, quand il pénètre en  forêt, espère toutefois en ressortir avec du bon gibier ; du pêcheur qui, en jetant son filet dans le fleuve, ne rêve que de prendre le maximum de poissons ; du chauffeur de taxi ainsi que de tous les commerçants,  à la recherche permanente d’une clientèle fidèle et croissante  ; du fonctionnaire qui chaque matin, s’en va travailler pour  recevoir à la fin du mois un salaire mérité. Imaginez donc un seul instant, que tous ces gens –là, reviennent régulièrement chez eux les poches vides au bout de toutes leurs peines et souffrances. Naturellement, ils seraient bien désespérés et très amers. Voyez-vous, ma femme est très chanceuse et devait quant à elle se réjouir d’avoir trouvé ces messages! En fouillant dans mon téléphone, n’était-ce donc pas dans l’espoir d’y trouver ce qu’elle a trouvé ? Pourquoi devrait-elle se plaindre ? Elle a touché le gros lot, et c’est moi que vous trouvez moyen de blâmer ? Laissez-moi vous dire la vérité. Il y’a longtemps que je soupçonnais Elisabeth de trop s’intéresser à mon téléphone dans lequel elle avait pris la sale habitude de fouiller mais sans y trouver quelque chose de compromettant au bout de toute la peine qu’elle s’infligeait. Aussi, pour en avoir le cœur net, je me suis décidé à me faire envoyer ces messages exprès  par des amis se faisant passer pour de jeunes filles, question de vérifier si mes soupçons étaient fondés. Vous avez la réponse. Alors au lieu de me conseiller, c’est à elle plutôt que vous auriez dû dire que son acte est indigne pour une épouse de son âge. Surtout, qu’elle s’avise de ne plus jamais recommencer ». Tel était PÈRE BALLA.
Maintenant, parce qu’il se voulait jeune et était intimement convaincu de l’être à la fois dans son esprit et dans son corps, PÈRE BALLA n’avait plus pour amis que les adolescents et autres trentenaires de son quartier. Et pour ne rien laisser lui échapper, il s’affubla d’un pseudonyme qui ne s’invente nullement : JEUNE PÈRE. Plus de PÈRE BALLA, lui qui était né BALLA. C’était d’ailleurs par considération pour son âge, et du fait que la majorité des habitants du quartier avaient plus ou moins les mêmes âges que ses enfants, que par respect, il ont commencé à faire précéder le nom BALLA du substantif « père ». Pour le reste, il était  si célèbre à sa manière, que finalement, même les personnes de son âge se mirent aussi à l’appeler « PÈRE BALLA » . Ce qui lui allait si bien.
Voilà que l’appellation contrôlée « JEUNE PÈRE » fit mouche, et comme une traînée de poudre, se répandit dans tout le village Guitilitimö au point de se retrouver sur toutes les lèvres à la manière d’un vocable à la mode que chacun tenait à utiliser pour ne pas paraître ringard. Et en moins d’une semaine, rare étaient ceux qui pouvaient encore se souvenir de la silhouette du redoutable Monsieur qui pendant longtemps porta le célèbre nom de PÈRE BALLA. Quant aux frasques de « l’homme qui refusait » de vieillir, les villageois s’en étaient finalement accommodés. Seuls les nouveaux venus et des oisifs indolents du village en quête de quelque sensation ou passetemps, pouvaient encore se surprendre et se moquer des accoutrements et des manières burlesques de l’homme. Pendant ce temps, JEUNE PÈRE s’ingéniait à « vivre jeune » comme il pensait, ou plutôt, à « penser jeune » comme il vivait. Toujours en compagnie de ses nouveaux potes, on le voyait flâner dans le quartier, « parler jeune » quand il s’adressait aux autres, « rire jeune » de tout et de rien, pendre part activement aux différentes activités sportives de la jeunesse de Guitilitimö,  ainsi qu’à l’organisation des bals de jeunes qui, disait-il, offraient les plus belles occasions de « se faire des nanas et renouveler son sang ». Comme ce fut le cas à l’occasion de l’une de ces soirées qu’il allait réussir – mais pour son malheur -, à se faire « une de ces filles en jupes courtes qui bousillent les ménages des bons pères de famille ».
Ce jour-là, la fête qui avait commencé dès 20 heures, devait prendre fin comme d’ordinaire à l’aube le lendemain, et reprendre naturellement en début d’après-midi après un repos mérité, pour la « dose d’équilibre » consécutive à la gueule de bois inévitable, mais aussi pour le compte rendu informel de la nuit chaude qui, comme toujours, se révélait riche en d’admirables exploits tout comme en mésaventures déplaisantes et ridicules.
La soirée avait démarré sur les chapeaux de roues. Tant et si bien que peu avant minuit, les températures atteignirent le maximum.  Aussitôt, les langues se délièrent et les attitudes commencèrent à dévier. Des bouches s’approchèrent des oreilles pour y déverser des confidences, pendant que certaines lèvres partaient à l’assaut d’autres lèvres, et que des mains audacieuses se mettaient à se balader discrètement et chaleureusement dans tous les sens, sans crainte « d’accidents de soirées » généralement dues aux panneaux de signalisation intempestifs : «stop la main», « danger », « sens interdit », « arrêt d’urgence », « déviation ». JEUNE PÈRE, niché dans un coin de la salle faiblement éclairée, était tout à son aise et se montrait très entreprenant. La demoiselle assise maintenant sur ses genoux, paraissait aussi bavarde que son cavalier qui à ce moment, a dû déjà débiter plus de mille fois sa phrase fétiche uniquement réservée à aux filles qu’il courtisait à la ronde : « le jour où je vais te prendre…tu vas…tu vas…je te dis vraiment le jour où je vais te prendre…tu vas…tu vas », accompagné des gestes de la main dont il laissait volontiers la libre interprétation  à ses interlocutrices.
La fête battait son plein et depuis un moment, JEUNE PÈRE avait disparu. La jeune fille, bien avant lui, avait expliqué à son groupe d’amis qu’elle était obligée de rentrer à la maison où son père certainement en colère, devait être en train de l’attendre dans leur salon, étant entendu que l’autorisation de sortie qu’il  lui avait délivrée, prenait fin à « minuit pile »,  alors qu’il était presque 2 heures du matin. Ah ! Comme l’appel de la chair donne souvent des idées.
Le village Guitilitimö, contrairement à ceux qui l’avoisinaient, avait l’avantage de disposer de deux petits hôtels, modestes certes, mais deux hôtels tout de même. Et c’est dans le plus proche de l’endroit où se déroulait la soirée festive, que les deux tourtereaux avaient convenu de se retrouver. Une fois dans la chambre, la jeune fille ne laissa paraître aucun signe d’hésitation ou de gêne. Bien au contraire. En un instant, elle alluma le climatiseur  et fonça prendre sa douche; en un autre instant, elle glissa tel un verre de terre dans le lit, s’allongea sur le dos, et invitait  avec insistance JEUNE PÈRE – qu’elle appelait maintenant bébé  – , de venir la rejoindre, en lui tendant les deux bras. L’homme qui refusait de vieillir, non seulement ne répondait pas aux sollicitations, mais  semblait en plus prendre tout son temps. Puis, à son tour, il se décida à aller sous la douche où il resta un long moment.  il sortit ensuite se placer sur une chaise assez éloignée du lit, passa de la chaise au canapé, du canapé à la chaise, avant de laisser entendre de mauvaise grâce qu’il avait un problème avec le climatiseur. Sans mot dire, la jeune fille éteignit immédiatement l’appareil, et réitéra son invitation pressante. JEUNE PÈRE ne chercha plus d’autres excuses. Lentement il s’approcha du lit; très lentement posa ses fesses tout au bord du lit en tenant sa tête entre ses deux mains; plus lentement encore , il s’allongea enfin, mais le dos tourné à la jeune demoiselle qui, pendant ce temps, usait de tous ses charmes pour l’attirer, allant jusqu’à fredonner quelques notes de musique en répétant inlassablement la phrase fétiche que JEUNE PÈRE lui avait adressée plus de mille fois en cette soirée: « le jour où je vais te prendre…tu vas…tu vas… Vraiment le jour où je vais te prendre…tu vas…tu vas ». Curieusement, JEUNE PÈRE ne faisait que se cabrer et se cabrait de nouveau. Et d’un seul bond, le voilà qui se dressait debout sur ses jambes, et à coup de serviette, s’essuyait son corps qui ne laissait apparaître aucune goutte de sueur visible, pas  plus que des traces de transpiration. Il fit comprendre à la jeune fille qu’il avait maintenant très chaud et serait même en train d’étouffer. Toujours sans mot dire et  très poliment, la jeune fille remit une fois encore le climatiseur en marche, tandis que JEUNE PÈRE lui, prenait de nouveau la direction de la douche. Il y resta un moment jusqu’à ce que la jeune fille l’ayant entendu chuchoter, demanda à savoir si elle devait le suivre, ce à quoi il répondit « non », en précisant qu’il avait la manie de chanter quelquefois pour se remettre en forme. Au fait, l’homme qui refusait de vieillir, la tête baisée et les yeux fixés sur son entrejambe, était en train de marmonner des supplications dans son patois assez difficile à traduire en français, si ce n’est à peu près en ces mots : « mon ami, mon cher ami, regarde ce que tu me fais là, je vais dire quoi maintenant mon ami, je te supplie, lève toi, réveille toi mon ami s’il te plaît et je te donnerai tout ce que tu veux, ne me fais pas ça mon ami je te supplie sinon je vais dire quoi maintenant…».
Malheureusement pour JEUNE PÈRE, son méchant copain poursuivait sa longue nuit. Il était apparemment plus à l’aise couché que debout, et refusait de faire le moindre petit geste qui eut signifié un début de commencement de sortie de sa couchette. De prière lasse, JEUNE PÈRE abandonna la partie, rejoignit sa partenaire et se mit à lui raconter ses exploits d’autrefois. Il tenta de justifier ensuite, carnet de santé en main,  son manque de performance subit, du jour, lié sans doute aux effets des nombreux médicaments qu’il absorbait pour essayer de résoudre ses problèmes d’hypertension et de diabète. Enfin, il promit à la jeune fille monts et merveilles, et remit en marche son disque dont la seule chanson était définitivement sans effet :
« le jour où je vais te prendre…tu vas…tu vas… »,
« Vraiment le jour où je vais te prendre…tu vas…tu vas… »
Tu vas quoi ? Hein JEUNE PÈRE tu vas quoi?  Excédée et déçue, la jeune fille  se rhabilla en tout hâte, saisit son sac, jeta à la figure de JEUNE PÈRE les billets de banque qu’il lui avait remit, et sortit de la chambre en courant presque. JEUNE PÈRE était désemparé. Assis dans le canapé la tête dans la main, il n’arrivait ni à comprendre ce qui lui arrivait, ni à digérer sa profonde déception. Le jour pointait à l’horizon et il lui fallait rentrer chez lui. Mais à peine JEUNE PÈRE mit-il pied à l’extérieur de l’hôtel, qu’une foule hétéroclite de villageois –  parmi lesquels il reconnut ses jeunes potes, garçons et filles -,  avaient déjà formé tout autour de lui, une espèce de  « haie de déshonneur », chargée de l’accueillir par des huées de désapprobation et des tollés moqueurs. Tous criaient:  « VIEUX PÈRE ! VIEUX PÈRE ! VIEUX PÈRE ! VIEUX PÈRE ! ». Et si aucun  habitant du Village Guitilitimö ne pouvait se permettre de toucher à sa peau, en revanche, certaines invectives qu’on lançait au JEUNE PÈRE déchu, étaient pires que des coups de poignard ou des déchirures à la lame de rasoir, tant il devait se sentir blessé dans son amour-propre, lui qui avait une certaine idée de sa propre  personne. Ah ! Quel drame pour un homme de  plus de soixante dix ans.
À la vérité, PÈRE BALLA dit JEUNE PÈRE, l’homme qui refusait de vieillir, n’avait pas vu se refermer sur lui, le piège que lui avait tendu  toutes ces jeunes filles qu’il courtisait à tour de langue, sans discernement, et avaient  écœurait sans le savoir. Que dira-t-il alors à sa femme, à ses enfants, à son groupe de vieux amis retraités, tous déjà  certainement au courant de sa mésaventure?
Dit donc ! Parce qu’on ne veut pas vieillir, peut -on par la simple  puissance de sa pensée et la force de sa volonté, réussir à conserver toutes ses facultés et refuser à son corps de chair de se flétrir? En tout cas,  quand on est vieux, on est vieux et cela se ressent d’une manière ou d’une autre. Vieux c’est vieux. On a l’âge de ses jambes et l’âge ne ment jamais!

GJK-Guy José KOSSA

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