Vos plumes

VENGEANCE PAR PROCURATION

Marguerite T. était la cadette d’une fratrie de cinq enfants, dont quatre filles. Petite, elle était la terreur des garçons et filles de son âge. Sa réputation servait de « bouclier » à ses petites sœurs. Ses frères et elles sont nés et ont grandi en Oubangui-Chari, qui deviendra des années plus tard la République centrafricaine.
Elle avait toujours rêvé de devenir institutrice. C’est ainsi qu’après l’obtention de son certificat d’études primaires (CEP), elle suivra une formation de monitrice. C’était, la voie royale pour les jeunes filles indigènes qui aspiraient à l’enseignement. Elle fit son stage à l’école Centre filles que fréquentaient ses deux petites sœurs, Angéline et Emilie. Avoir une grande sœur “institutrice“, ou professeure des écoles comme on dit de nos jours, était un avantage inestimable.
Emile, était en classe de CE2. Elle faisait partie des plus petites de sa classe. Il était courant, compte tenu de la faible scolarisation des filles, de trouver dans une même classe, des petites filles, des « moyennes » qui étaient en début d’adolescence et les grandes, qui elles, étaient de vraies femmes. Ces dernières venaient à l’école, histoire de s’occuper, en attendant de se trouver un mari ou de faire un enfant.
Ces « grandes » passaient le plus clair de leur temps à terroriser les petites, qui devaient les fournir en craies, en beignets et autres corvées obligatoires. Gare à celles qui ne satisfaisaient pas leurs desiderata ! Même la maîtresse ne les interrogeait ni ne les grondait pas quand elles bavardaient. Elles lui en imposaient.
Exception oblige, il y avait quand-même une intouchable. Je parle, vous l’aurez aisément deviné, de la petite Emilie. Elle était la petite sœur d’un membre du corps enseignant. Se mettre à dos toute une corporation était on ne peut plus suicidaire. Surtout que la grande sœur en question, bien que d’apparence très calme n’était pas le genre de personne à qui il fallait se frotter.
Un jour, Jeanne, la voisine de classe d’Emilie reçut une raclée d’une des grandes parce qu’elle ne leur avait pas rapporté des craies de couleurs. Les pleurs de la pauvre petite, qui n’avait pas de grande sœur pouvant la défendre dans la cour de récréation émurent la petite Emilie, qui lui promis de la venger. Elle organisa un rapide brainstorming du “ groupe des petites“ pour leur expliquer son plan.
Le lendemain, elle plaça, bien en vue sur son table-banc, des craies de toutes les couleurs. Elles étaient disposées au milieu de la table, de telle sorte qu’on ne pouvait de prime abord savoir à qui elles appartenaient. Evidemment, la tortionnaire de la veille, qui se prénommait Suzanne, en passant demanda à qui étaient ces craies. Elle s’adressa à sa victime de la veille. Emilie lui répondit le plus insolemment possible que les fameuses craies lui appartenaient. Et qu’elle ferait mieux de s’en acheter au lieu de passer son temps à mendier celles d’honnêtes élèves. L’autre rigolera, et lui touchera le front du bout des doigts en disant : » Eh… Pardon ooo mademoiselle ». C’était une façon de de se moquer de ce petit bout de chou qui osait montrer les crocs.
Il n’en fallait pas plus pour qu’Emilie pique une crise : » Tu m’as touché au front !! Je ne vais pas laisser passer cet affront ! Si tu ne me tapes pas aujourd’hui, c’est que je ne suis pas la fille de ma mère ! C’est toi ou c’est moi !! »
Suzanne éclata de rire et passa son chemin afin de rejoindre sa place au fonds de la classe. Elle aurait, en temps normal, filé une mémorable raclée à cette gamine qui était bien impertinente. Mais c’était la petite sœur d’une enseignante. Et pas de n’importe laquelle. La petite sœur de mademoiselle Marguerite !
Pendant toute la durée des cours, avant la récréation, Emilie ne cessait de se retourner et de menacer du bout de son petit doigt la terreur du fonds : » Tu vas voir ! « . Au moment de la récréation, elle suivit les grandes qui se retrouvaient, comme à l’accoutumée, à l’abri des regards dans la cour arrière de leur classe. Elle avait convenu avec ses copines que pendant qu’elle provoquerait Suzanne, certaines d’entre elles devaient courir à la salle de permanence des enseignantes prévenir sa sœur qu’on était en train de la passer à tabac.
Emilie, pleine d’aplomb, apostropha la grande Suzanne. Elle se plaça sur son chemin et lui dit que le moment de régler leurs comptes était arrivé. Suzanne, n’étant évidemment pas frappée de folie douce, se mit à rire jaune. Elle refusa de répondre à la provocation. Mais où qu’elle voulait aller, Emilie se mettait en travers de son chemin, tout en surveillant du coin de l’œil l’embouchure donnant sur la cour arrière. Des petites, positionnées juste au coin, devaient discrètement la prévenir de l’arrivée de la cavalerie.
Aussitôt qu’elle vit le signal annonçant que la meute des enseignantes allait d’un instant à l’autre apparaître dans son champ de vision, Emilie sauta aussi haut qu’elle put pour asséner une gifle à « son adversaire ». Il faut dire qu’elle était très petite de taille. Elle faisait plus jeune que son âge. Et bien évidemment, au lieu de retomber sur ses jambes, elle s’affala par terre de tout son long aux pieds de Suzanne. Juste au moment où Marguerite, suivie de toutes ses collègues apparaissait au tournant du coin de la cour. La vision de sa petite sœur, les quatre fers en l’air, devant cette fille n’exigeait pour elle aucune explication. Ses collègues, par solidarité corporative n’étaient pas les moins vindicatives. Personne n’écoutait les dénégations de la pauvre Suzanne et de ses amies.
La clique des grandes ne dut son salut qu’à la vélocité de leurs jambes. C’était fuir ou se faire massacrer ! Il fallait voir la petite Emilie en tête des poursuivantes, qui hurlait de ses petits poumons à Suzanne de revenir finir ce qu’elle avait commencé, qu’elle n’était qu’une lâche etc… Marguerite dû l’arrêter de force pour la ramener à l’école !
Le club des petites pu, depuis ce jour, respirer et étudier en toute quiétude. Marguerite n’a jamais su que sa petite sœur l’avait manipulée.

Commentaires

0 commentaires

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Bouton retour en haut de la page