C’était un jour de semaine. Le mercredi 13 janvier 2021 pour être précis.
Il était un peu plus de huit heures du matin. Heure à laquelle j’étais censé déjà être au travail.
Un collègue basé au siège de notre Organisation, me voyant connecté, m’appela via Zoom.
Lui : « Ça va ? »
Moi (de mon ton le plus serein) : Oui…
Il y a eu quelques secondes de silence. Mon interlocuteur ne s’attendait manifestement pas à cette réponse blasée. La ville avait été réveillée par des tirs d’armes. Les rebelles, supposés appartenir à la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), avaient lancé deux attaques simultanées aux entrées sud et nord de la ville de Bangui. De violents combats les avaient opposés aux forces armées nationales appuyées par les soldats rwandais et les mercenaires russes de Wagner. Au moment où ce collègue m’appelait, la situation semblait s’apaiser. Selon le communiqué officiel diffusé, les assaillants auraient, été repoussés par les forces armées et leurs alliés.
Nous entretenions, ce collaborateur et moi, des relations plutôt amicales. C’est pourquoi il m’appelait afin de savoir comment j’allais. Vous comprenez alors pourquoi il était ahuri face à ma réaction. Il enchaina en disant qu’ils ont vu que la situation semblait plutôt trouble chez nous. Et moi de lui répondre, le plus sereinement qui soit, que nous avons en effet été réveillés par des détonations et des bruits de tirs mais, que selon les informations officielles, la situation serait sous contrôle. Et ce, même s’il y a encore des tirs sporadiques entendus çà et là.
Lui : Mais rassure -moi. Tu es bien à la maison ?
Moi : Evidemment ! Qui est fou pour aller au bureau alors que ça tire ?
Mon intonation blasée le laissait pantois. Nous avons, finalement, parlé travail en passant en revue les dossiers pour lesquels une action de ma part était attendue. Ayant évoqué tous les sujets possibles et ne sachant plus quoi me dire, mon bienveillant ami mettra fin à notre conversation en me recommandant de “faire attention à moi“.
J’imagine la conversation qu’il a dû avoir avec les autres collègues de son bureau. Il est des choses qui défient toute logique. Mon inexplicable comportement en faisait partie.
Que voulez-vous ? Quand on a eu le triste privilège de côtoyer la mort de manière quasi quotidienne et parfois même de manière très rapprochée ;
Quand on a vu et vécu ce qui se fait de mieux en matière d’atrocités ;
Quand on se rend compte que les pseudos intellectuels et autres personnes éclairées qui sont censés guider le peuple vers de verts pâturages, ont pour la très grande majorité, perdu le nord et sont complètement à l’ouest ;
Quand on se rend compte que les familles, les communautés, les lieux de culte sont divisés à cause d’intérêts et de calculs égoïstes, ne laissant aucune place à la tolérance et au respect d’autrui ;
En somme, quand on se rend compte, que la passion a pris le dessus et que la vie humaine n’a plus aucune valeur aux yeux de certains, on ne peut qu’être blasé. Fataliste. Désabusé devant le cynisme et l’ignominie humaine.
Il suffisait de lire les publications incendiaires des uns et des autres sur les réseaux sociaux pour faire l’amer constat, qu’il y avait un nombre faramineux de psychopathes qui s’ignorent en liberté. Chacun voyait midi à sa porte et faisait de cette situation, la plus malsaine des récupérations qui soit. Nous assistions à une véritable “course aux règlements de comptes“. C’était la dictature du “ soit tu es avec nous, soit tu es contre nous“. Une logique abracadabrantesque érigée en credo par des fous furieux avides de sang.
Je n’avais plus la force et encore moins la volonté de m’indigner. Broyer du noir me demandait de surhumains efforts psychiques. S’apitoyer sur son sort devenait, mentalement parlant, du sport de haut niveau. Cet énième épisode de la saga “ Autodestruction consentie et assumée d’un peuple inconscient“, révélait juste un peu plus notre côté sombre et hideux. Quelqu’un a dit, à brule-pourpoint, que ce peuple faisait peur. Je ne saurais lui donner tort !
Je décidais d’être un spectateur désabusé de la folie ambiante. Il valait mieux se contenter de vivre sa vie autant que faire se peut. Je n’avais qu’une philosophie : Vivre ! Ma prière était que Dieu m’aide, par Sa grâce, à garder mon cœur plus que tout autre chose. Que ni la haine, ni l’amertume ne puissent y trouver un terreau fertile pour empoisonner mon âme.
Il était vital pour moi, de psychologiquement et spirituellement, adopter la posture d’un roseau. Plier mais ne jamais rompre. Même au plus fort de la tempête. Ramer à contre-courant de la méchanceté ambiante demandait de titanesques efforts. C’était, toutefois, la seule option possible. C’était ça ou être emporté par les tumultueux torrents de boues provoqués par la déchéance morale ambiante. Je ne me voyais pas remplir ce tonneau de Danaïdes qui laissait passer l’humanité.
Comme le dit si bien une chanson, ainsi soit je.
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