Chronique du Village Guitilitimô

UNE HISTOIRE DE: PÉTROLE – QUARTIERS CIVILISÉS – QUARTIERS NOIRS

Par GJK

On m’appelle Guimöwara-ti- Guitilitimo. Bon an mal an, je ne suis point venu en ce monde, comme qui dirait, la bouche pleine avec une cuillère en argent. Et à lui seul, mon nom suffit à conter l’histoire longue de ma courte existence toujours recommencée, telle une symphonie inachevée à laquelle il manque encore et toujours le plus bel accord à inventer.

Dans l’une de mes multiples vies de jeune marmot touche-à-tout, je fus vendeur de pétrole à la criée.

Tenez !

Peut-être vous souvenez-vous encore, de ce crépuscule d’un jour heureux de votre vie d’adolescent ou d’adulte, quand, paisiblement assis ou allongé, à jouer avec vos frères et sœurs, ou à savourer votre repas du soir, vous aviez aperçu ou entendu, un bambin aux pieds fermes, traversant à pas déterminés, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, les différentes rues et ruelles de votre quartier ? De la bouche de ce gamin, s’échappait alors – et à intervalles réguliers -, une mélodie gutturale semblable à l’appel à la prière du muezzin.

Ce bambin, souvenez vous, criait de toute la force de ses poumons et de sa fluette voix :

– Pééétroole….Péééétroole…Pééééétroole ngou ti bango na ndo ni akè pééééééééééétrooooooooole !

Ce bambin, souvenez-vous en, c’était moi ! Guimöwara-ti- Guitilitimo. Et je criais :

– Pééétrooole….Péééétrooole…Pééééétrooole ngou ti bango na ndo ni akè pééééééééééétrooooooooole

– Et c’était un silence qui me répondait en échow

Ce silence à l’autre bout du cri, voulait signifier simplement que personne dans le coin n’attendait de mon pétrole. Autrement dit : « circulez bambin, y’a rien à vendre!».

Et je reprenais mon chemin avec courage, criant encore et encore, toujours de ma petite voix aiguë et de plus en plus forte. À chaque cri, j’espérais réussir à attirer l’attention des individus regroupés à cette heure du soir dans la cour de leur domicile familial. Parmi eux, j’en étais convaincu, devait se trouver au moins un client généreux mais distrait, que seuls mes appels insistants, parviendraient à rappeler à l’obligation de « tenir sa lampe allumée quand viendra le Maître », s’il voulait vraiment éviter le sort qui fut naguère celui des « cinq vierges folles » de l’évangile.

– Pééétrooole….Péééétrooole…Pééééétrooole ngou ti bango na ndo ni akè pééééééééééétrooooooooole !

– Gananiiiiii ! (Amène).

Aussitôt, j’accourais dans la direction d’où venait de retentir la réponse tant attendue à mon cri commercial. C’était un client, et j’étais content de lui vendre mon pétrole. Je m’asseyais sur mes genoux, prenais la lampe qu’on me tendait. Et suivant la demande, j’utilisais la mesure adaptée : à l’époque, c’était soit une petite bouteille de « arôme maggi » pour le moins cher, environ 10 ou 15 FCFA ; soit pour le plus cher, environ 25 ou 30 FCFA, j’employais une bouteille de « canada dry » que nous prononcions « canada dri ». En effet, quand il m’arrive aujourd’hui de voir comment mes enfants et petits enfants « malmènent » ces bouteilles d’arôme maggi et de « Canada dri  » que je suais longtemps pour trouver, je me dis en moi-même : « si seulement vous saviez ! ». Dès que j’avais fini de servir le client, il me tendait alors son argent que j’empochais immédiatement. Et si je devais lui rendre la monnaie, mes petits doigts se glissaient à l’intérieur de la double poche de ma culotte kaki, pour aller chercher les pièces d’argent, que je prenais soin de compter et recompter pour ne pas me tromper, avant de remettre au client en lui disant : « merci mama » si c’était une femme, « merci » si c’était un enfant.

Généralement, les acheteurs de pétrole, étaient des femmes ou des enfants. Jamais un « monsieur » ne se permettait de s’occuper de lampe à la maison. C’est à croire que la « lumière » dans une lampe à l’intérieur d’une maison, était une histoire de femme et d’enfants qui a mal tournée !

Cependant, s’il m’arrivait de voir de temps en temps un « monsieur » s’occuper de pétrole et d’éclairage à la maison, c’était souvent, soit un célibataire qui sortait son réchaud à pétrole, grâce auquel il pourra réchauffer plus tard son repas froid et ses boîtes de conserve : pilchard, sardine à huile, corne « beuf » ou autres ; soit, c’était un chef de famille qui devait s’occuper exceptionnellement d’éclairer la concession, à l’aide de sa grande « lampe Aïda » à manchon. Cela arrivait régulièrement à l’occasion d’une fête ou d’un décès dans la famille. Dans ces cas, – réchaud ou lampe Aïda à approvisionner en pétrole -, je repartais toujours très content d’avoir vendu une « grande » quantité de mon précieux liquide, puisque – et c’est connu -, un « monsieur », ça achète toujours un peu plus !

Aussi, dès que j’avais fini de servir et d’empocher une fois de plus mon argent, un grand souffle me revenait, et avec tant d’énergie retrouvée, je pouvais alors recommencer à crier de plus belle :

– Pééétrooole….Péééétroooole…Pééééétrooole ngou ti bango na ndo ni akè pétroooooooooooooooooole

– Moka gba mo gnon ! (si tu n’arrives pas à vendre, t’as qu’à le boire)

Ouf ! Quelle injure ? Mon Dieu, qu’avais-je fait en ces temps là, pour qu’un inconnu me crache ainsi à la figure ? Dites, ne vous souvenez-vous point de vous être ainsi moqué et comporté vis-à-vis d’un « malheureux petit vendeur de pétrole lampant » qui marchait dans les rues de votre quartier?

Ce petit vendeur de pétrole devenu grand, c’était moi. C’est moi Guimöwara-ti- Guitilitimo, votre risée d’hier, devenu aujourd’hui votre « serviteur » et grand ami.

Mais à l’époque, face à ces injures et à ces moqueries, bien que souvent blessé et impuissant, je ne m’étais jamais – pas plus qu’aujourd’hui -, voilé la figure ou cherché à répondre méchamment. Ceci se passait souvent pendant les périodes dites des grandes vacances scolaires. Et le jeune orphelin que j’étais déjà, n’avait qu’un seul objectif : faire plaisir à Mama Mado dite affectueusement Mama Kota, ma mère, précocement devenue veuve –mère d’une fratrie de cinq enfants dont j’étais le troisième. Dans ma tête, il me fallait surtout vendre le maximum de quantité de pétrole. Ainsi, je pouvais soulager Mama Kota qui avait souffert pour m’offrir avec amour et en guise de cadeau à mon examen de passage en classe supérieure, la dame jeanne du précieux trésor.Et dès que s’annoncera la rentrée des classes, je remettrai ma « banque » en bois à Mama Kota. C’était une petite caisse fermée en bois fabriquée par le menuisier du coin, avec une petite fente sur l’une des surfaces, et à travers laquelle je glissais toutes mes recettes journalières. Quand le 1er octobre, jour de rentrée scolaire s’approchait, Mama Kota ouvrait alors la banque et comptait le montant de l’épargne. Pendant ces moments, elle était souvent très calme. Je lisais sur son visage un sentiment de tristesse que venait témoigner tous ses efforts pour retenir ses larmes qui voulaient dire: « mon fils je suis fier de toi. Merci pour ton courage. Si seulement ton papa n’était pas mort, tu ne serais pas l’orphelin que voici, obligé de déployer tous ces efforts à ton âge pour venir en aide à ta maman. Merci mon fils. Dieu a pitié de la veuve et de l’orphelin ».

C’est ainsi que maman a pu payer pendant quelques années, mes fournitures d’école et tous ces beaux « choisis» ou vêtements de friperie, grâce auxquels j’ai pu toujours étudier correctement et m’habiller convenablement. Malheureusement, Maman Mado ma mère, allait mourir à son tour, un jour d’avril 1985. Juste à la veille de mon intégration dans la fonction publique. Pas même le temps de goutter le moindre fruit de tant de sueur versée pour faire de son fils, l’homme qu’il est devenu. Quoiqu’il en soit, repose en paix Maman et où que tu te trouves, sois toujours fière de ton petit vendeur de pétrole comme tu as su l’être de ton vivant. A travers mes frères et sœur hier, tes petits enfants et arrières petits-enfants aujourd’hui, je veillerai toujours à honorer ta mémoire.

– Pééétrooole….Péééétrooole…Pééééétrooole ngou ti bango na ndo ni akè pétrooooooooole!

Tantôt un silence, tantôt « gananiiiiii ! », tantôt « moka gba mo gnon ! » et que sais-je encore !

Qu’importe, tant que je devais et pouvais vendre mon pétrole. Et je marchais, je criais, je vendais, et je vendais du pétrole dans tous les quartiers propices de la zone où ma famille habitait. Je vendais notamment aux habitants des « quartiers noirs » : Sica-noir, Gbakondja, Yapélé, Bacongo, Sango, Pont Dékongo, Saïdou…

D’ailleurs, comment aurais-je pu vendre mon pétrole lampant aux familles aisées des « quartiers civilisés » où les maisons et même les rues, s’éclairaient au moyen de l’énergie électrique distribuée par la société ENERCA ou Energie centrafricaine ?

Mais ça, c’était avant!

Aujourd’hui, même dans les « quartiers civilisés », nombreux sont ceux qui s’éclairent à la lumière des traditionnelles lampes à pétrole.

Mais diantre !

Près de cinquante passées, depuis ces années où je vendais du pétrole pour préparer mes rentrées scolaires, c’est la Centrafrique dans son ensemble qui est devenue totalement « un pays obscur», complètement une « nation noire », entièrement un « état sans lumière » ! Se pourrait-il que les « quartiers noirs » de mon enfance, au lieu de se « civiliser », ont plutôt « réussi », comme par un effet d’épidémie généralisée, à transmettre leur trop plein d’obscurité aux quartiers naguère « civilisés ou électrifiés » ? À moins que faute de n’avoir pu éclairer les « quartiers noirs » et soutenir eux-mêmes leur merveilleux niveau d’électrification des années 70, ces quartiers naguère « civilisés ou électrifiés », ont fini petit à petit par « s’assombrir », au risque de « s’éteindre » bientôt !w

De nos jours, plus aucun quartier de Bangui n’échappe à l’obscurité. Tous, ils sont devenus tour à tour des « quartiers noirs », et même plus noirs que les quartiers noirs d’antan.w

Pééétrooole….Péééétrole…Pééééétrole ngou ti bango na ndo ni akè pétrooooooooole !

« Silence » ! « gananiiiiii » ! « moka gba mo gnon » ! Qu’importe.

Et moi, Guimöwara-ti- Guitilitimo, ancien petit vendeur de pétrole lampant des quartiers noirs devenu grand, je poursuis mon petit bonhomme de chemin.

Pééétrooole….Péééétrooole…Pééééétrooole ngou ti bango na ndo ni akè pétrooooooooole !

Et à vrai dire, depuis quelques décennies, il n’y a ni « QUARTIERS NOIRS OU BLANCS », ni « QUARTIERS CIVILISÉS », moins encore des « QUARTIERS ÉLECTRIFIÉS ».w

La RCA ne vit plus qu’au rythme d’obscurs LEADERS…disons…NON ÉCLAIRÉS.

Le « noir » se répand, la nuit se prolonge, l’obscurité s’épaissit.w

Pééééééééééétroooooooole ! Y’a –t-il un acheteur dans le coin ?

GJK-Guy José KOSSA
L’Élève Certifié du Village Guitilitimö

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