Grand format de J.Gréla

REPORTAGE : BANGUI, HOPITAL COMMUNAUTAIRE – LES OUBLIES DE LA SANTE PUBLIQUE

Hospice ou mouroir

« Elle avait reçu des coups de crosse sur la tête, sur la colonne vertébrale. Elle a succombé ce dimanche matin à Bangui vers 6 heures et le docteur a dit que c’était suite au passage à tabac des Seleka » raconte un membre de sa famille à la presse. Madame Blanche Elisabeth Olofio, journaliste à la radio Be Oko de Bambari avait été violemment frappée par les hommes de la Seleka, en janvier 2013. Elle est l’une des oubliés de la santé publique, elle est décédée, ce 22 juin 2014, suite à des complications liées à ses blessures qui n’ont jamais pu être parfaitement diagnostiquées. Cette mort pose le problème de la prise en charge des blessés, des malades dans les hôpitaux centrafricains.

Travailler dans un hôpital à Bangui est un défi impensable
contre la mort, mais qui vaut le coup d’être relevé

En Centrafrique, il y a la crise humanitaire que l’on voit, et celle qui reste invisible. Il y a les rescapés que l’on voit et les malades, les blessés incurables qui gisent toujours dans les hôpitaux de Bangui et dans l’arrière-pays que l’on ne voit pas. Il y a les enfants et les femmes enceintes, victimes du chaos qui meurent sous le regard perdu, décontenancé, impuissant du personnel de la santé. Il y a d’autres, à l’agonie dans leur lit sans une présence familiale.

Le grand portail d’entrée est ouvert. Une ambulance fait son entrée. « Laisser passer », hurle, énervé, le gardien, tenu aussi de maintenir l’ordre. Sur les trottoirs de petits commerçants pullulent. Des vendeuses de fruits, de la « bouillie » locale (une sorte de riz fluide, légèrement sucré et citronné avec un  arrière-goût de cacahuète), des vendeurs « pharmaciens » des comprimés achalandés et exposés au soleil dans des « caisses »,  des vendeurs des paquets de cigarettes du sucre, du pain ;  de petites cabanes « gargotes » ou l’on peut se restaurer ; des petits vendeurs de pacotilles à la volée ; un véritable marché africain.

L’ambulance s’arrête sous le préau. Les brancardiers en sortent une femme enceinte sur le point d’accoucher. Elle vient du quartier proche de l’aéroport, Galabdja ou Combattants, quartiers très dangereux pour les musulmans. On l’amène dans une salle, dite salle d’attente où des blessés et autres malades s’entassent déjà.

Une sage-femme, quelques minutes plus tard, se présente, suite à l’appel de la famille. Pendant que la femme enceinte se tort de douleur sous le regard des autres, soucieux de leur propre sort, elle l’emmène dans la salle d’accouchement. Des minutes passent. Le futur papa, adossé au mur du couloir, attend. Le temps est long et interminable. Une matrone arrive, lui tend un bébé emmailloté dans un tissu, un pagne. Le bébé ne survivra pas. « Il n’est pas vivant » dit-elle, en sango, langue nationale du pays. Le papa fondu en larmes, rejoint par la famille quitte l’hôpital.

Le manque de matériels médicaux (le scanner…), se pose avec acuité. Les familles doivent, eux-mêmes dans beaucoup de cas, acheter les bandes, les compresses, les médicaments et les matériels de pansement ordonnés par les médecins ou les infirmiers sur le marché parallèle pour les plus pauvres ou dans une pharmacie pour les familles un peu aisées ou commerçantes. Malgré ce manque de matériels, les violences dans l’hôpital,  la désertion temporaire des postes par le personnel à cause des insécurités, les équipes médicales poursuivent leurs activités. Les MSF ont noté que ce qui se vie à l’hôpital communautaire et sous les yeux sont une petite partie de la souffrance des malades démunis et sans secours immédiats. « Il est probable que de nombreux blessés n’osent pas se rendre dans les structures médicales. » s’est indigné Thomas Curbillon, chef de mission MSF.

Dehors dans la cour de l’hôpital et sous les arbres sont installées des tentes afin de recevoir les blessés et augmenter la capacité d’hospitalisation. Un second bloc opératoire a ouvert avec l’appui des MSF. Les équipes médicales doivent composer avec les délestages, c’est-à-dire, les coupures intempestives de courant électrique public et les groupes électrogènes pour mener les opérations chirurgicales des blessés par balles, par flèches, par des machettes ou par autres armes blanches qui affluent vers eux.

Ici c’est notre travail, notre vocation
Nous nous sacrifions pour qu’ils revivent un jour

Le long d’un mur défraichi, des malades dorment à même le sol sur leur natte ou sur des pagnes. Un parent, présent, surveille et tente de remonter le moral de ceux qui sont encore conscients. Plus loin dans le couloir qui mène à la salle de traumatologie, un enfant pleure auprès de sa maman allongée fatiguée, les yeux fermés et portant des traces de coups. Un adulte tente de consoler l’enfant en lui adressant des paroles réconfortantes. Dans la salle de traumatologie, en promenant le regard sur les bras et les jambes amputés, sur les crânes rasés bandés, le visage tuméfié, gonflé et défiguré, on rencontre dans le fond des yeux, l’animalité et la cruauté de la vie en société sans âme. L’on se croirait à l’infirmerie à la première guerre mondiale avec les gueules cassées, les estropiés, les amputés, victimes de guerre. « Ce sont des vraies blessures de guerre, soit des blessures par éclats, soit des blessures par balles », a témoigné l’un des  chirurgiens de MSF. Cette salle présente toutes les horreurs vécues par la ville de Bangui et ses provinces. C’est un autre monde. Un monde de souffrance. Un monde indescriptible. Un monde sans vie, tragique. L’enfer. La bêtise humaine. L’humanité a perdu tout son sens. Plus préoccupant, le chirurgien constate des blessures de plus en plus profondes infligées aux enfants.

Comment affronter ces horreurs, ces souffrances qui n’ont pas choisi leur cible ? « Ici c’est notre travail, notre vocation. Nous nous encourageons les uns les autres pour ne pas tomber. Nous nous sacrifions pour qu’ils revivent un jour, ce sera notre récompense », a concédé un jeune interne en charge d’un enfant amputé d’une main et qui sanglote encore dans ses bras.

A l’hôpital communautaire, au cœur de Bangui, des sanglots rompent le silence par-ci, des complaintes sont chantées, par-là pour implorer Dieu ou les ancêtres. Des cris, des pleurs rythment sa journée. Une femme court les mains sur la tête, le pagne noué solidement à la ceinture. L’on vient de lui annoncer le décès de son époux. Un jeune homme marche à pas pressés à la recherche de son neveu blessé par une grenade dans son quartier et amené dans un pousse-pousse par des amis. Un groupe de personnes courent derrière un pick-up 4×4 qui se dirige vers la sortie de l’hôpital avec une dépouille enveloppée dans un drap. Le spectacle est contristant, affligeant. La vie s’arrête à l’entrée de cet hôpital.

Le peuple de Centrafrique baigne dans ses propres larmes qui coulent, se croisent et se recroisent ; inondent les sillons de son visage émaciés, témoin de sa descente aux enfers, et se déversent tel un torrent sur ses côtes squelettiques.

Au service de la médecine les malades semblent être abandonnés. Beaucoup attendent « comme dans le couloir de la mort », d’être opérés. A cause de la crise, les maladies dites « ordinaires » sont devenues tant soit peu orphelines. L’urgence est aux blessés, aux des victimes apparentes des conflits armés, aux mutilés, aux brûlés. De la pénurie des médicaments contre le HIV/SIDA et certaines autres maladies commence à se faire sentir. Les appels incessants des ONG portent leurs fruits. Les donateurs réagissent. Quelques médicaments et matériels sont livrés. Petit à petit, les malades du sida revivent. Les pédiatries s’équipent, reçoivent les enfants malades, le plus souvent des malnutris. Les autres malades reprennent vie et espèrent.

En province, face cachée de Centrafrique, il y a tant de besoins à pourvoir. Mais la présence humanitaire internationale et les moyens semblent être totalement sous-dimensionnés.

Joseph GRÉLA

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