Libre opinion

Nous n’avons plus droit à l’erreur !

Par Danielle MBARI

Chers compatriotes,

Ceux d’entre vous qui ont suivi l’épopée du plagiat du conseiller spécial auprès du Premier Ministre, Adrien Poussou, ces derniers jours sur différents média, se sont peut-être interrogés sur cette personne qui s’est permis de pointer sur lui, et sur ce qu’il avait bien pu lui faire pour qu’elle s’en prenne ainsi à lui.

Cette personne, c’est moi qui vous écris. Je suis un peu plus pâle que vous et, bien que mon sango soit loin d’être aussi bon que le vôtre, je suis centrafricaine comme vous.

Comme vous, je suis affectée depuis de nombreux mois par les évènements dramatiques qui ont touché et continuent encore de toucher nos familles, nos amis, notre pays entier.

Comme vous, j’ai réfléchi sur les origines de ces évènements, suis  éprise de paix et suis préoccupée de ce que l’avenir réserve à notre cher pays.

Dans une République démocratique telle que calquée sur celle du colonisateur, le peuple est sensé être souverain et confier son pouvoir à des représentants qu’il choisit et qui ont pour mission de  gérer la cité ou l’Etat pour lui.

Depuis des décennies, le peuple centrafricain n’a plus aucun pouvoir. La gestion de l’Etat est confisquée par toutes sortes d’individus qui, périodiquement, prennent la liberté de se l’accaparer par la force, et qui n’ont ni les compétences, ni la réelle intention de l’exercer pour le bien-être du peuple.

Depuis des décennies, le peuple centrafricain, préoccupé par sa survie au quotidien et intimidé par les diverses pratiques de musellement exercées par ceux qui détiennent le pouvoir,
– intimidations, exécutions sommaires etc. – s’est accommodé et s’est résigné face à cette confiscation du pouvoir.

Si les responsabilités de la guerre en Centrafrique sont partagées, il est indéniable qu’une partie est à mettre sur le compte du peuple. L’erreur que nous avons commise, nous peuple centrafricain, c’est de céder à la pression de telles pratiques et de garder le silence. Nous avons laissé faire. Nous avons fermé les yeux sur la politique, nous sommes écartés d’elle, alors qu’elle a justement trait au fonctionnement même de notre société et nous concerne tous.

Nous avons laissé les ravisseurs du pouvoir et la « classe politique » mener leurs jeux comme si cela ne nous regardait pas. Nous savons aujourd’hui plus que jamais que les partis politiques ne sont pas représentatifs du peuple centrafricain, qu’ils sont en fait des micro-organisations dont les objectifs restent non pas collectifs mais égoïstes, qu’ils n’ont pour vocation de mener une quelconque opposition qu’aussi longtemps qu’ils accèdent à leur tour à quelque avantage autour de la mangeoire.

Depuis le 24 mars 2013, un peuple donc globalement « apolitique » qui avait l’habitude de donner sa voix au meilleur payeur est pris en otage entre diverses milices armées aux comportements irresponsables. Et tout au long de cette période de transition, la politique, dans notre pays, continue d’être pratiquée sans véritable considération du peuple.

Au nom de la paix, nous nous accommodons d’un chef de transition imposé, d’un simulacre de représentation du peuple par un Conseil National de Transition imposé, d’un partage du pouvoir entre les divers groupes armés et d’une politique validée par les chefs d’Etats de la sous-région, la France et la communauté internationale, soit tous sauf le peuple centrafricain.

Au nom de la paix, nous nous accommodons également de la non-application des résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU et de toute sorte de dérives des différentes forces armées présentes sur le territoire.

Au nom de la paix, nous nous accommodons d’un chef et de gouvernements de transition successifs qui ont tous en commun d’avoir manifestement égaré la feuille de route en chemin et de ne pas voir ce qui est essentiel, et qui œuvrent depuis des mois non pas à remplir les missions primaires qui leur incombent – à savoir rétablir un ordre constitutionnel, la sécurité, la Justice, permettre aux milliers de déplacés de retrouver un domicile etc. – mais à dérouler sous les yeux d’un peuple qui souffre tout un protocole inutile, à rétablir le système politique originel qui sied aux « partenaires » et à préparer au plus vite des élections pour un retour à la « normale » – alors que rien ne l’est pour le citoyen – tout en laissant la communauté internationale, les ONG et les forces armées étrangères gérer nos affaires à leur manière.

Au nom de la paix, nous nous accommodons de savoir près d’un quart de la population déplacée sur et en dehors du territoire.

Au nom de la paix, nous nous accommodons d’un nouveau gouvernement de transition « supra-normal » de 31 ministres et d’une multitude de postes distribués à des belligérants dans la haute administration.

Qu’allons-nous encore accepter au nom d’une paix dont nous savons qu’elle ne reviendra pas tant que les actes qui lui sont indispensables ne sont pas posés ?

Ce que doit, entre autres, nous avoir enseigné cette guerre, c’est de ne plus accepter l’inacceptable !

L’inacceptable, c’est de continuer à abandonner la politique à une minorité de bien-vivants qui la pratiquent sans considération et au détriment du peuple !

L’inacceptable, c’est de voir que les affaires de l’Etat sont confiées à des incompétents !

L’inacceptable, c’est de constater que le conseiller spécial en communication auprès du premier ministre, en la personne d’Adrien Poussou, est un imposteur qui s’est construit une renommée sur la tricherie et les facultés intellectuelles d’autrui !

L’inacceptable, c’est qu’une personne manifestement malhonnête soit rémunérée par les deniers publics pour des services qu’elle n’a manifestement pas les compétences de rendre au peuple centrafricain !

L’inacceptable, c’est aussi qu’un journaliste, qui ne manque pas de se plaindre par ailleurs de la condition du citoyen centrafricain, préfère préserver ses « acquis » et tenter de couvrir l’imposture plutôt que de la reconnaître dans l’intérêt général !

L’imposture de M. Poussou n’en reste pas moins vérifiable et vérifiée.

Or, ce qui a, entre autres, marqué cette transition est justement une communication lamentable, en dehors d’une poignée de discours aussi creux que longs, c’est une absence totale de véritable dialogue entre les « autorités » et le peuple centrafricain.

Alors que la communication est primordiale en cette période critique de transition et de prétendue quête de la cohésion sociale, qu’elle est un outil indispensable et crucial pour la reconstruction d’une société totalement disloquée et que le gouvernement devrait en faire usage au quotidien afin d’assurer le dialogue permanent avec le peuple centrafricain, la voici confiée à un tricheur, un maître du plagiat, un imposteur !

L’inacceptable, c’est que le premier ministre ne juge même pas bon de tirer les conséquences !

L’inacceptable, c’est de continuer à garder le silence, car c’est au peuple, à nous qu’il appartient aujourd’hui de nous réapproprier le pouvoir, de faire entendre notre voix !

Pour cela, nous, le petit peuple, n’avons pas besoin d’autres armes que la parole, mais nous devons  comprendre que notre force réside autre part, notamment dans l’unité et la détermination.

Nous portons notre part de responsabilité dans cette guerre car nous avons failli et nous sommes laissés écarter des affaires qui NOUS concernent, nous avons failli à nous mobiliser pour dénoncer l’inacceptable.

Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire, et si nous voulons que cette descente aux enfers du Centrafrique serve au moins à ce que les choses changent, nous devons sortir de notre silence et nous faire entendre, et ce chaque fois que nous constatons des dérives au bon ordre des choses.

Si certain prennent la liberté de nous dérober le pouvoir, nous devons user de notre droit de revendiquer et exiger, comme ici, que des arrivistes incompétents soient écartés des affaires, même pendant la transition.

Un peuple a les dirigeants qu’il mérite. Et il ne mérite rien de bon s’il ne le revendique pas. Nous n’avons plus droit à l’erreur !

La malhonnêteté se cultive ou se combat. C’est un choix. Ce choix, il nous appartient de le faire dès l’instant où il s’impose, comme maintenant, si nous aspirons à voir naître un autre type de gouvernance.

Aussi ai-je pris la liberté et la décision d’user de mon droit de parole afin de dénoncer l’imposture de M. Poussou qui n’a, dans l’intérêt du peuple centrafricain, définitivement pas sa place au poste de conseiller spécial en communication auprès du chef du gouvernement de transition.

Cette revendication peut paraître superflue, tant sommes nous habitués à l’incompétence et à l’imposture, mais elle est importante car elle marque le fait que nous ne sommes plus prêts à les accepter.

Et j’en appelle à chacun d’entre vous de se joindre à la requête que j’adresse à Monsieur le Premier Ministre Mahamat Kamoun de bien vouloir démettre M. Poussou de ses fonctions.

Singîla.

Salutations fraternelles,

Danielle Mbari
07/09/2014

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2 commentaires

  1. Brillant plaidoyer d’une centrafricaine éprise de justice pour son pays.
    Félicitation madame Mbari, Nous ne sommes nullement gênés par la clarté de votre peau. En revanche le pays a besoin de la clairvoyance de votre esprit.
    Depuis quelques années, nous avons commis l’erreur de céder l’espace a des médiocrités sans talents s’emparer des rennes du pouvoir. Cela ne devra plus se reproduire.
    Bravo madame Mbari. Vos conseils sont édifiants.
    Cordialement
    HETMAN-ROOSALEM Guillaume

  2. Merci Madame Mbari,
    Merci parce que votre plume nous rappelle, en cette occasion inqualifiable, ce que doit et devra être le credo de tout peuple qui aspire au mieux à être un acteur de son propre destin.

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