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HENRI LOPES : ADIEU L’ÉCRIVAIN

C’est avec le recueil de nouvelles « TRIBALIQUES », qu’Henri LOPES va faire son entrée remarquée dans le cercle des professionnels de la plume. Un univers qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort, et au sein duquel il n’a cessé d’évoluer. Grand Prix littéraire de l’Afrique noire en 1971, « TRIBALIQUES » se compose de huit nouvelles qui sont autant de portraits qui dépeignent des individus et la société dans laquelle ils vivent. Huit histoires fortes, variées, qui, sans avoir l’air d’y toucher, abordent quelques problèmes essentiels de l’Afrique moderne et les passent au crible d’une critique toute de finesse et de discernement. Plus de 50 ans passés, et ces nouvelles font toujours partie de notre actualité africaine.
Métis né en 1937 à Kinshasa, MARIE-JOSEPH-HENRI LOPES, plus connu sous son nom d’auteur – HENRI LOPES -, a d’abord étudié à Brazzaville et Bangui, avant de s’envoler pour Nantes en France. Au Congo, il fut successivement ministre de l’Éducation nationale, ministre des Affaires étrangères (1972), ministre des Finances (1977-1980) et Premier ministre (1973-1975). Il sera ensuite Directeur Général Adjoint pour la culture et les relations extérieures de l’UNESCO. De 1998 à 2015, il deviendra ambassadeur extraordinaire plénipotentiaire du Congo en France. Deux fois candidat de l’Afrique au poste de Secrétaire Général de l’organisation de la FRANCOPHONIE, il fut par deux fois écarté, victime de l’influence nuisible et abusive des Présidents français Jacques CHIRAC et François HOLLANDE.
Riche d’une vingtaine de livres, on retiendra surtout de la bibliographie d’Henri LOPES les titres suivants : Le pleurer-rire (1982), Ma grand-mère bantoue et mes ancêtres gaulois (2003), Le lys et le flamboyant (1997), Une enfant de Poto-Poto (2012), Le chercheur d’Afriques (1990), Il est déjà demain (2018) ou encore Sur l’autre rive (1992).
Je vous propose ici, un extrait intégral de son essai « Ma grand-mère bantoue et mes ancêtres gaulois ». Une ode à l’écriture.
« POURQUOI J’ÉCRIS
J’écris parce que je suis un Africain; un homme vieux de plusieurs millions d’années dont la mémoire et l’imaginaire ne tiennent qu’au fil ténu et fragile d’une tradition orale brumeuse; un homme dont la bibliothèque date de moins d’un siècle.
J’écris pour introduire dans l’imaginaire du monde des êtres, des paysages, des saisons, des couleurs, des odeurs, des saveurs et des rythmes qui en sont absents; pour dire au monde des quatre saisons celui des saisons sèches et des pluies; pour dire au ciel de la Grande Ourse celui de la Croix du Sud.
Mais vous dire l’Afrique ne consiste pas pour moi à vous en faire un reportage ni à vous rédiger un traité de sociologie, d’ethnologie ou… d’entomologie. Le pays que mes romans évoquent n’existe dans aucun guide Michelin, dans aucun récit de voyage, dans aucun manuel d’histoire ou de géographie. C’est de mon pays intérieur que chaque fois je vous entretiens.
Peut-être ne suis-je au bout du compte qu’un dangereux menteur. Mais un menteur de haut vol, car il s’agit dans ce jeu-là de mentir juste, de « mentir-vrai ».
Écrire, c’est transfigurer la réalité.
J’écris pour assumer ma négritude, pour recouvrer mes « poupées noires ».
J’écris pour dire l’ami Manuel du poème de René Depestre :
L’homme qui se rase avec un tesson de bouteille,
L’homme qui ne sait pas que la terre tourne…
J’écris pour dépasser ma négritude et élever ma prière à mes ancêtres les Gaulois; Gaulois de toutes les races s’entend, de toutes les langues, de toutes les cultures. Car c’est pour moi que Montaigne s’est fait amérindien, Montesquieu persan et Rimbaud nègre. C’est pour m’aider à déchiffrer l’Afrique que Shakespeare a fait jouer ses tragédies, que Maupassant m’a légué ses nouvelles. J’écris pour avoir la force de vivre le pays de solitude, le pays métis.
J’écris pour décharger dans les mots mon envie de danser sur la place publique ; j’écris pour toi; pour t’offrir cette coupe, toi dont la silhouette et les pas de danse me poursuivent dans mon sommeil; toi que j’ai aperçue hier, toi dont je ne prendrai jamais la main, toi dont je ne suis pas digne.
J’écris pour atteindre le plaisir, pour m’y baigner. J’écris dans la bonté. J’écris dans la fureur. J’écris pour ne pas basculer. J’écris dans la folie. J’écris pour revenir de la folie.
J’écris pour me soigner.
J’écris parce que je ne sais pas, j’écris pour apprendre.
Chaque ouvrage est une université et, quelles que soient les préférences de mes lecteurs, mon dernier livre est pour moi le plus abouti.
Quand je crois maîtriser ces mots qui me sont à la fois outil et matière, ils me glissent entre les doigts, m’échappent et m’enivrent.
L’écrivain n’est ni un grammairien ni un savant, peut- être un alchimiste, mais à coup sûr un artisan. Mots de France ou mots d’Afrique, j’écris pour courir après eux, pour les éplucher et disséquer leur chair, pour tenter de percer leurs mystères. Chaque fois que je joue avec eux et que je les palpe, je suis comme l’aveugle qui tâche de reconstituer la forme de l’objet entre ses doigts et d’en imaginer la couleur.
J’écris pour étudier. Ni Dieu ni prophète, mes messages sont sommaires, ce sont des appels au secours. Pas de message philosophique ou politique. Je n’ai pas de modèle de culture, ni de civilisation ni de morale à vous proposer: jetez le livre qui vous offre des images pieuses, des héros ou des certitudes!
Écrire, c’est s’ouvrir à tous les vents. Écrire, c’est entreprendre la quête inachevée.
J’écris parce que la vie me déroute, j’écris parce que j’ai peur de la mort. J’écris pour apprendre à penser, pour mieux comprendre autrui, j’écris pour me comprendre.
J’écris pour me racheter. »
J’A-DO-RE
GJK- Guy José KOSSA

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