Libre opinion

DE L’ECHEC DE BOGANDA A L’IGNORANCE DES MESSIES CENTRAFRICAINS

Par Clément De Boutet-M’bamba

Droit de réponse à Mr Gaston Mandata N’guerekata

Monsieur le directeur de publication,

Dans l’expédition du 31 octobre 2014 vous publiez un « droit de réponse » de Mr Gaston Mandata N’guerekata par la plume de Sandrine Mandane, sa collaboratrice à un billet rédigé par mes soins le 27 octobre et intitulé :

« DIEU N’EST PAS CENTRAFRICAIN

De l’échec de Boganda à la Transition »

dans lequel j’ai abordé et identifié les deux principales causes des déboires des centrafricains.

Vous avez eu l’amabilité de publier une partie de ma production. Cet effort d’objectivité est louable mais insuffisant. Afin de permettre à vos lecteurs de se faire une opinion juste, je vous saurai gré de publier l’article en entier, mon propos étant d’autre envergure que ce que semble prétendre l’intervention de Gaston Mandata N’guerekata.

Par ailleurs, il me serait agréable de voir écrire mon patronyme exact : De Boutet-M’bamba et non Mboute-Mbamba ce que ne saurait prétendre ignorer mon « contradicteur » du moment et partant, son plumitif circonstanciel.
Ceci précisé, je voudrais faire le point sur quelques données de l’Histoire.
Gaston Mandata N’guerekata écrit ceci :

[…] « Non, Boganda (dont vous dites par ailleurs qu’il était dévoré par l’ambition personnelle, un comble pour qui le connaissait !) n’était pas panafricain, ne vous en déplaise. Il était fédéraliste, sur la base de ce qu’il qualifiait les Etats d’Afrique latine. ».

A propos du grief d’ambition personnelle, en nul endroit je n’ai fait ce grief à Boganda puisqu’aussi bien j’ai écrit : « il était soupçonné d’agir par ambition personnelle ». « Il » ce n’est pas moi. Je ne fais que rapporter des faits historiques. Reportons nous aux classiques.

« […] les adversaires de Boganda déclenchaient dans la presse de Brazzaville une vive campagne de dénigrement du président du Grand Conseil. Boganda se défendait de toute ambition personnelle ». p175 Pierre KALCK, Barthélemy Boganda, « Élu de Dieu et des Centrafricains »Editions Sépia, mars 1995 n° d’imp. : 552

Ce à quoi, selon la même source, Boganda répondait :

« Nous avons à bâtir pour la postérité, pour des siècles, pour l’histoire. Les problèmes de personnes ne durent qu’un temps et nous estimons qu’une personne est tellement limitée dans l’espace et dans le temps que nous nous dévaloriserons en faisant du problème africain une querelle d’hommes. Ce serait rendre notre Afrique aussi précaire que l’homme lui-même. Nous avons posé un problème qui dépasse l’AEF. Ceux qui cherchent à ramener un problème à leur taille à eux en détournant notre projet, et ramènent le problème à l’échelle d’un homme et non à celle d’un peuple moderne, sont ceux, précisément, qui ont intérêt à voir l’Afrique divisée. Les Africains ne veulent plus être divisés en comprimés faciles à avaler » pp 175-176. Pierre KALCK, Barthélemy Boganda, « Elu de Dieu et des Centrafricains »Editions Sépia, mars 1995 n° d’imp. : 552

Ailleurs, on lit également :

« Boganda lui-même est soupçonné d’agir par ambition personnelle »

http://dictionnaire.sensagent.com/Barth%C3%A9lemy%20Boganda/fr-fr/#

Sur les objectifs politiques de Boganda, à en croire Gaston Mandata N’guerekata, celui-ci ne serait pas panafricaniste mais « fédéraliste, sur la base de ce qu’il qualifiait les Etats d’Afrique latine ».

Il est regrettable qu’il n’ait pas défini ces notions.

Panaméricanisme, pangermanisme, panthéisme, panthéon on sait ce que signifie la racine grecque pân : «TOUT» exclusif de partie ou fraction.

N’a-t-il pas proclamé tout haut que :

« la terre oubanguienne sera le bastion de l’Unité africaine » ? p181. Pierre KALCK, Barthélemy Boganda, « Elu de Dieu et des Centrafricains » Editions Sépia, mars 1995 n° d’imp. : 552

A l’issue du référendum du 28 septembre 1958 « Il se lançait dans une violente attaque contre ceux qui « avaient dit « oui » à la France et à la Communauté proposée par elle et ‘non’ à l’unité africaine ». Il les qualifiait de « traîtres à la famille africaine » p 180 Pierre KALCK, Barthélemy Boganda, « Elu de Dieu et des Centrafricains » Editions Sépia, mars 1995 n° d’imp. : 552

A la séance de l’Assemblée territoriale de l’Oubangui-Chari le 1er décembre 1958, « Boganda rappelait qu’« en répondant « oui » au référendum, le peuple oubanguien avait dit « oui » à la Communauté préconisée par le République Française, mais aussi « oui » à l’Europe chrétienne, « oui » à la démocratie ». « Mais avant tout, ajoutait-il, le peuple oubanguien a répondu « oui » à l’unité africaine, « oui » à l’indépendance de l’Afrique noire française étroitement unie et indéfectiblement associée à la France et à l’Occident » p 180 Pierre KALCK, Barthélemy Boganda, « Elu de Dieu et des Centrafricains » Editions Sépia, mars 1995 n° d’imp. : 552

Faut-il rappeler qu’En exergue de « Enfin on décolonise », il a, pour ainsi dire gravé dans le marbre son leitmotiv : « Libérer l’Afrique et les Africains de la servitude et de la misère, telle est ma raison d’être et le sens de mon existence ».

Africaniste, Boganda l’était assurément. Mais pas seulement africaniste, mieux qu’africaniste. En effet : « Les premiers statuts du MESAN prévoyaient son implantation dans le monde noir tout entier » Pierre KALCK, Histoire Centrafricaine, Des origines à 1966, L’Harmattan, 1992 ; ISBN : 2-7384-1556-3.

Pétition de principe ? Foi en l’Afrique et aux Africains , aux Noirs ? Voici ce qu’il écrivait à Abel Goumba alors en formation à Dakar : « Nous n’avons absolument rien à envier à la France d’aujourd’hui. La civilisation repartira d’Afrique qui est appelé à devenir le centre du monde futur, à la condition que ses fils veillent jalousement pour lui conserver sa physionomie propre.

Il existe donc une véritable politique africaine. Il s’agit de la découvrir. Mais il n’est pas dit que celui qui l’aura découverte soit accepté de tout le monde. Ce sera unprécurseur. Or, depuis que le monde existe, les précurseurs ont toujours été victimes de leur témérité. A part quelques exceptions qui ont compris les besoins de leur pays, la majorité des hommes politiques tombent dans l’ornière d’un vieux parlementarisme, véreux, caduc, sans action positive et en pleine décadence : il suffit d’ouvrir les yeux pour s’en apercevoir. […]» pp 585-586. Professeur Abel GOUMBA, Les mémoires & les Réflexions politiques du Résistant anti-colonial, démocrate et militant Panafricaniste, Abel GOUMBA – De la succession du Président B. Boganda au procès de la honte du militant Abel Goumba- Vol 2 Ccnia communication, mars 2009, ISBN 2-915568-16-2 ISNN : 1776-453X

Il était conscient des difficultés car, dans la même lettre il écrit : « Je ne comprends peut-être pas la politique de la même façon que les africains occidentaux ; mais je crois avoir trouvé la politique qui convient à mon peuple. »

Ce qu’il disait, il le pensait, ce qu’il pensait, il le pratiquait. Ainsi : « Depuis plus de dix ans, il est resté à l’écart des parlementaires africains auxquels il reproche leur inféodation à des partis politiques métropolitains » http://dictionnaire.sensagent.com/Barth%C3%A9lemy%20Boganda/fr-fr/#

Il a approuvé et soutenu la formation du Parti de Regroupement Africain (PRA) à Paris (15 au 17 février 1958)

Le M.E.S.A.N a pris activement part au premier congrès de cette formation à Cotonou (Dahomey) les 25,26 et 27 juillet 1958. La délégation était composée de Abel Goumba, Albert Fayama et David Dacko.

Sur ces points, je prie les lecteurs de se reporter aux nombreux livres d’histoire, ma source principale étant les écrits de Abel Goumba, témoin et acteur desdits événements et ceux de Pierre Kalck, ami personnel de Boganda.

Boganda n’a pas été insensible au sort de l’Afrique anglophone. A preuve ce témoignage relatif au Séminaire Ibadan mars 1959 sur le thème : « Gouvernement représentatif et progrès national »

« Les organisateurs m’avaient soumis en effet les noms de Lisette et Gilbert Pongault. J’y ajoutai Boganda et Lumumba […] Boganda dut se consacrer à ses obligations électorales […] » p31, Luis Lopez Alvarez, Lumumba ou l’Afrique frustrée, Ed. Cujas, Paris, 4ème trimestre 1965

Dans un autre chapitre, Gaston Mandata N’guerekata écrit ceci : « Vous parlez d’un état « dépotoire » – jolie manière de qualifier la RCA – pauvre absolument, et sans aucune valeur ni ressource. C’est mal connaître les potentiels et les richesses de la nation centrafricaine, c’est ignorer la géologie et le cours des matières premières ! Or, diamant, colbalt, bois précieux… pétrole ! La RCA est un pays extrêmement riche, mais faible parce qu’il est seul, et pauvre parce qu’il est faible. Isolé, la RCA est faible. »

J’ai écrit : « Des quatre territoires de l’AEF, l’Oubangui-Chari était en 1958 celui qui n’avait aucune importance économique ». Que le lecteur porte son attention sur la conjugaison. « …l’Oubangui-Chari était en 1958 »

Gaston Mandata N’guerekata écrit : « La RCA est un pays extrêmement riche… ». Sommes-nous dans la même période historique ? Qui plus est : pétrole en 1958 en Oubangui-Chari ? Bozizé, soi-même, n’aurait pas osé telle ineptie ! Ni Djotodia.

L’Oubangui-Chari était un pays essentiellement agricole. En ce domaine, hors le café, le Tchad produisait plus que nous s’agissant du coton et de bien d’autres produits. Le Tchad a continué à nous fournir en oignons alors que la guerre y battait son plein !

Ne parlons pas de l’élevage bovin !
Voici ce qu’écrivait Madame Marie-Jeanne Caron, celle à qui nous devons à Bangui, la dénomination imprescriptible de Bangui-La- Coquette.

Dans un de ces poèmes intitulé LA RONDE DES BEAUX METIERS, après avoir décrit les potier, vannier, charpentier, forgeron, et charbonnier, quand elle en vient à l’élevage bovin, c’est pour évoquer le « pasteur venu du Tchad ». Lisons-la :

[…]
Puis, le « bororo » (1) musulman
Qui marche à travers l’Afrique
Derrière ses bœufs étiques
Et vend la viande à ta maman.
[…]
(1)- Bororo ou baoro = pasteur qui conduit les troupeaux de bœufs du Tchad en Oubangui

Marie-Jeanne CARON
Chante Afrique Chante
Ed. Fernand Nathan
Imprimerie Bussière à Saint-Amand (Cher) France – 5.1963
Dépôt légal : 4ème trimestre 1959. N° d’éd. : E 7486-II (M2) N° d’impr. ; 751 Imprimé en France.
pp 53-54.

Que vaut une économie uniquement agricole par rapport à celle (s) en capacité d’industrialisation ?

Un bref coup d’œil du côté du Congo fait apparaître ceci :

« Le Congo est l’une des colonies françaises ayant le plus profité, économiquement, de la colonisation : entre 1946 et 1959 , un certain nombre de travaux d’infrastructures sont réalisés tandis que quelques industries légères prennent pied. Ainsi, à l’aube de l’indépendance, l’Abbé hérite d’une structure économique relativement équilibrée avec 37,4 % du PIB réalisé dans le secteur primaire , 20,9 % dans l’industrie et 41,7 % dans le tertiaire. Par ailleurs, le Congo compte en 1958, 30 000 cadres de qualification variable et plus de 80 000 élèves. Cette politique éducative forte est poursuivie par Youlou qui, en 1960, consacre 40 % des dépenses budgétaires à l’enseignement56.

Entre 1960 et 1963, le Congo enregistre 38 milliards de francs CFA d’investissements bruts sur son territoire, pour un PIB estimé en 1961 à 30 milliards de francs CFA. Les richesses minières attirent à elles seules, 21 milliards de francs CFA avec l’exploitation du manganèse par la Compagnie minière de l’Ogooué (COMILOG) et de la potasse par la Compagnie des potasses du Congo (CPC). Les 17 milliards de francs CFA restant sont, quant à eux, investis pour 3 milliards (18 %) dans le secteur primaire, 2,7 milliards (15 %) dans l’industrie, 6,3 milliards (37 %) dans le tertiaire, et 5 milliards (30 %) dans des programmes non économiques tels que l’éducation, la santé, l’urbanisme ou le logement. Malgré une politique libérale, ces 17 milliards ne proviennent qu’à hauteur de 5,5 milliards (32 %) de capitaux privés ; l’aide internationale (notamment la France) en fournit 7 milliards (41 %) et le gouvernement congolais 4,5 milliards (27 %).

Au niveau de la balance commerciale, la situation semble s’améliorer durant la présidence de Youlou. Alors qu’en 1960, le déficit commercial est de 5,7 milliards de francs CFA, en 1963 il n’est plus que de 4,1 milliards. Chaque année, les exportations congolaises (diamants exclus) augmentent, passant entre 1960 et 1963 de 6,1 à 7,9 milliards de francs CFA62. Elles se composent pour moitié de leur valeur de bois62. Les produits de l’industrie légère, tel que le sucre, en représentent quant à eux plus du quart62. Par ailleurs, le déficit commercial est fortement atténué par les recettes du transit. Le Congo tire en effet de forts revenus de ses infrastructures ferroviaires et portuaires qui permettent de desservir les pays frontaliers. En 1963, ce transit rapporte 2,3 milliards de francs CFA au Congo. » http://fr.wikipedia.org/wiki/Fulbert_Youlou

Quant au Gabon, on ne peut plus être clair que Léon Mba, vice-président du gouvernement dans sa déclaration du 16 juillet 1958 : « Nous ne trahissons pas nos voisins africains, mais nous en avons assez de travailler pour les autres. Nous n’acceptons pas de voir Brazzaville devenir une ville champignon avec notre argent, alors que nous n’avons pas de routes ni d’infrastructures. De même, nous n’acceptons pas non plus de voir certains organismes administratifs « fédéraux » entraver notre développement économique, alors que leur rôle devrait être de le favoriser »

Plus loin il ajoute :
« On veut nous voler Mékambo ». Il s’agit d’un gisement de fer alors que le manganèse est exploité à Mouanda. »
Pour finir, il passe aux menaces :
« Si ces manœuvres continuent, le Gabon ripostera, […] il dénoncera son appartenance à l’A.E.F et demandera immédiatement à se lier à la métropole, car nous aimons la Métropole »
Ndombet, Wison-André, La transmission de l’état colonial au Gabon (1946-1966) ; institutions, élites et crises, Edition Karthala, 2009 ISBN 10 : 2811102922 / 2-8111-0292-2
ISBN 13 : 9782811102920.

Que l’Oubangui-Chari n’avait pas de projet pour lui-même me semble une évidence. Les symboles retenus étaient pensés pour les quatre territoires. Le drapeau « quatre bandes horizontales […] présentait une combinaison de couleurs […] qui apparaissaient dans les emblèmes de maints états africains. […] et même un blason avec plusieurs symboles ».

Faut-il rappeler que ce territoire, devenu colonie n’était qu’un point de passage entre le Congo et Djibouti que l’incident de Fachoda transforma en colonie ? Il n’y a pas de honte à le dire que, « Cendrillon de l’Empire » il demeura comme telle le temps des colonies comme l’établit Jean-Joël BREGEON, Un rêve d’Afrique, Administrateurs en Oubangui-Chari, la Cendrillon de l’Empire. Ed. Denoël, 1998, ISBN 2.207.24724.4

Je fais l’économie des propos outranciers que Gaston Mandata N’guerekata tient à mon endroit. Cela loin de le grandir, comme il serait tenté de le croire, donne la dimension réelle du personnage: une « équationnite » avortée.

Mais rien d’étonnant de la part d’un homme qui se prétend politique et qui en public affiche le plus grand des mépris à ses compatriotes et potentiels électeurs mais porteurs d’une opinion différente que la sienne : « Il est Assistant de Recherche, [le bas de l’echelle], charge de nettoyer les pipettes et les fesses des gorilles importes du Zaire pour le besoin des recherches de ses patrons. » et pour avoir collaboré avec lui entre novembre 2010 et juillet 2012 dans le cadre d’un projet politique en rapport avec le Rassemblement Démocratique Centrafricain, je sais de quoi je parle.

Pour certains, en RCA, il est légitime de s’interroger si Jésus est vraiment le fils de Dieu et s’il est réellement ressuscité. Si Mahomet est bien un prophète. Si Karnou a bien existé etc…Mais on n’a pas le droit de porter un regard différent que ce qui est communément admis sur Boganda et son projet politique. Je me suis affranchi de cette religion selon l’histoire et la réalité depuis une éternité. Si cela constitue pour certains une infraction, je suis au regret de leur annoncer mon impuissance face à leur intolérance et ignorance. Si, affirmer une opinion différente est une occasion pour les apôtres de la pensée unique d’insulter, d’intimider, de construire des amalgames et de faire la démonstration de leur suffisance, je suis au regret de leur dire qu’ils vont devoir faire avec moi.

En conclusion, pour le lecteur, c’est en donnant une dynamique endogène à notre pays que nous sortirons du marasme qui fait notre quotidien. Nous n’avons pas pouvoir pour modifier la géographie, nous ne pouvons pas obliger les autres à partager nos faiblesses, nos misères. Nous ne pouvons que faire avec ce qui est. Comptabilisons nos forces, dépassons nos faiblesses pour devenir forts. C’est à ce prix là que nous serons attractifs pour les autres et…le bien-être sera au rendez-vous tout comme …l’unité sera à notre portée ! Pour cela, commençons par faire autrement ce que nous avons toujours fait à commencer par la …politique.

C’est le sens de mon propos, dommage pour les « messies » centrafricains qui ne l’ont pas compris mais qui ont permis au peuple de mesurer leur ignorance malgré le confort d’un nom de plume.

Clément De Boutet-M’bamba

NDLR: Ci dessous l’intégralité de l’article « DIEU N’EST PAS CENTRAFRICAIN : De l’échec de Boganda à la Transition »

DIEU N’EST PAS CENTRAFRICAIN : De l’échec de Boganda à la Transition

Au soir du 28 novembre 1958, Barthelemy Boganda et ses amis du MESAN contemplent impuissants, la proclamation de la République du Congo Brazzaville. Le pays de l’Abbé Fulbert Youlou et Opangault était le dernier des territoires de l’Afrique Équatoriale Française qui voulait lier son destin dans un état fédéral avec l’Oubangui-Chari de l’Abbé Boganda. Ce 28 novembre 1958, c’était donc la mort de ce projet qui aura occupé une part importante de l’agenda politique de Boganda dès son élection à la présidence du grand conseil à Brazzaville. Trois jours plus tard, le 1er décembre 1958 la République était proclamée et la RCA, lancée. La tragique disparition de B. Boganda cinq mois après la naissance de la République Centrafricaine n’arrangeant pas les choses, naquirent pour l’aspect politique, les postulats du complot, de la victimisation et de la faute de l’autre, des autres. Au point que même des gens nés bien des années après Boganda, se servent de cette parenthèse historique (1958-1959) pour justifier une faute politique de 2014, liée à une décision de 2014 dans le contexte de 2014.

Il y a quelques jours, je discutais avec un ami journaliste centrafricain qui voulait absolument que je lui dise le nom de la personne qui tire les ficelles de « l’angolagate ».

– Lui : « CBM, puisque tu prétends que ni Sassou, ni Nguendet, ni Meckassoua ne sont impliqués dans l’exploitation de l’angolagate, alors dis-moi qui est cette personne ? »

– Moi : « Il faut savoir exploiter une information en la sortant au bon moment. Cela n’est pas seulement valable pour la politique mais aussi pour le journalisme. »

– Lui : «  Tu rejettes aussi la question du pétrole dans l’angolagate et la crise centrafricaine. Le peuple veut savoir, il faut nous glisser les infos. »

– Moi : «  Ben, demandes au peuple lui-même de lancer sa quête »

– Lui : « tu connais bien ce peuple, ce serait lui demander la nationalité de Dieu »

…C’est à cet ami journaliste que je dois le titre de ce billet.

L’une des clés de l’explication du drame de l’ex Oubangui-Chari est le rapport du Centrafricain avec la mort….Wow, Vadé retro satanas !

Oui, le rapport du Centrafricain avec la mort. Dans l’ex Oubangui-Chari, il n y a jamais de mort naturelle.

Le bulletin médical de la personne décédée indique noir/blanc qu’elle est morte d’une tumeur aux poumons, on trouvera une voisine dans le quartier pour faire d’elle, la méchante sorcière ayant vampirisée la défunte.

Le bulletin médical de la personne décédée indique noir/blanc que cette dernière était porteuse du HIV. Mais on trouvera une tante ou un oncle dans la famille pour porter la responsabilité de cette mort.

La plupart du temps, ce sont des personnes lettrées, disposant de références certifiées sur le plan académique ou professionnel qui sont à l’origine de ces fantasmes mortifères. Qui abrutissent plus qu’ils n’éclairent.

Ainsi donc, la culture centrafricaine n’accepte pas ce qui est normal, ce qui est naturel. Par culture centrafricaine, j’entends ici parler de trait traditionnel commun à toutes les peuplades présentes sur les 623.000 km² de ce qu’est l’ex Oubangui-Chari. C’est toujours la faute des autres. Le diable, c’est toujours le voisin. Le fautif, c’est toujours celui qui est en face. Un peuple qui ne se remet pas en cause et une élite spécialisée dans la caricature et l’anathème, ne trouveront aucune solution à leurs difficultés et seront pour l’éternité, voués à servir de paillasson à d’autres peuples et seigneurs. Ainsi est fait le monde. Ainsi est l’histoire de l’humanité.

Sentant sa fin imminente, le général Yangouvonda et ses communicants avaient lancés la notion de la double guerre. D’une part, la guerre religieuse c’est à dire la volonté de Djotodia et ses desperados de faire de la RCA un émirat islamique au cœur de l’Afrique et d’autre part, la guerre du pétrole, c’est  à dire la volonté de Deby de mettre la main sur les « réserves » pétrolières du lac mamoun dans la Vakaga.

Depuis que les Debyboys sont partis de la RCA à la faveur d’un rejet global des Centrafricains, on a rapidement fait des Français, les marionnettistes de la crise centrafricaine. Il m’arrive de lire ici et là des légendes selon lesquelles la crise centrafricaine n’est pas encore arrivée à son terme car la grille de répartition des intérêts pétroliers souffre encore de divergence. J’ai même entendu quelqu’un soutenir sur un grand média que les réserves du Lac Mamoun produiraient UN MILLION de barils par jour et c’est à cause de cela que la crise dure. Ce qui placerait la RCA dans le peloton de tête des producteurs pétroliers du Continent et même du monde lorsqu’on sait que des indices pétroliers sont présents en dehors de la Vakaga. Si je n’avais pas écouté quelques mois auparavant Yangouvonda et ses communicants dire que le pétrole centrafricain « coulera » en 2014, j’aurai éclaté de rire. Mais les déclarations de la fin de règne de la Bozizie étaient suffisantes pour que je fasse l’économie d’un MDR au carré.

L’ÉCHEC FONDATEUR

Au soir du 28 novembre 1958, B. Boganda et ses amis du MESAN contemplent impuissants, la proclamation de la République du Congo Brazzaville. Le pays de l’Abbé Fulbert Youlou et Opangault était le dernier des territoires de l’Afrique Équatoriale Française qui voulait lier son destin dans un état fédéral avec l’Oubangui-Chari de l’Abbé Boganda. Ce 28 novembre 1958, c’était donc la mort de ce projet qui aura occupé une part importante de l’agenda politique de Boganda dès son élection à la présidence du grand conseil à Brazzaville. Trois jours plus tard, le 1er décembre 1958 la République était proclamée et la RCA, lancée.

La tragique disparition de B. Boganda cinq mois après la naissance de la République Centrafricaine n’arrangeant pas les choses, naquirent pour l’aspect politique, les postulats du complot, de la victimisation et de la faute de l’autre, des autres. Au point que même des gens nés bien des années après Boganda, se servent de cette parenthèse historique (1958-1959) pour justifier une faute politique de 2014, liée à une décision de 2014 dans le contexte de 2014.

Il y a quelques mois, j’ai lu une déclaration d’un des 70 candidats à la présidentielle de 20XX selon laquelle, mettre rapidement en place un état fédéral sur la base de la défunte République Centrafricaine de 1958 est la solution appropriée non seulement pour l’ex Oubangui-Chari mais aussi pour l’Afrique Centrale. Prendre pareille position en 2014, c’est non seulement ne pas comprendre les réalités de la crise centrafricaine mais c’est aussi ne pas comprendre les causes de l’échec de 1958.

Des quatre territoires de l’AEF, l’Oubangui-Chari était en 1958 celui qui n’avait aucune importance économique. C’est ici et seulement ici que résident les causes de l’échec de ce qu’il faut nommer l’échec fondateur puisque durant ses mandants, Boganda n’avait pas de projet pour l’Oubangui-Chari mais pour l’Afrique. La dénomination du MESAN résume cette ambition et permet, je l’espère, d’éviter toute polémique inutile avec ceux qui sont allergiques à l’évocation de ce sujet. L’Oubangui-Chari n’avait pas de projet pour lui-même et aucune importance  économique. C’était le dépôt de l’empire colonial, celui de la main d’œuvre corvéable à merci et du travail forcé. C’était le territoire conquis par hasard et sans ambitions, c’était terrae incognitae et c’était aussi la terre de tous les fantasmes et légendes.

Le 1er territoire de l’AEF à avoir proclamé la République était le Gabon de Léon Mba suivi du Tchad et du Congo.

Boganda avait deux handicaps majeurs dans son projet :

  1. il était soupçonné d’agir par ambition personnelle et ;
  2. il n’était pas conscient du poids réel de son territoire au sein de l’AEF, de l’Afrique et du monde en cette année 1958.

En 1956, la France venait de découvrir du pétrole au Gabon. À cause de la situation en Algérie, elle a décidé de faire du pays de l’Okoumé, une de ses sources d’approvisionnement. Le Gabon entrait dans l’ère industrielle.

Durant la même décennie, un immense projet était lancé au Congo Brazzaville, le barrage de la Kouilou dans la région de la Sounda. « …un immense lac artificiel de 1800 kilomètres carrés et produirait des milliards de kilowattheures d’énergie bon marché, susceptible d’attirer une série d’entreprises étrangères désireuses d’exploiter les importantes ressources minières de la région. »(1) C’était plus grand que le grand Inga du Congo Démocratique. Le Congo aussi entrait dans l’ère industrielle.

L’équation était simple : le Gabon puis le Congo ne voulaient pas payer le coût de l’intégration et du développement à la place des Oubanguiens et des Tchadiens. D’ailleurs le rêve de Youlou était celui de la (ré) fondation d’un état Bakongo.  Boganda et le MESAN ne l’avaient pas compris même si durant quelques jours, le socialiste Congolais Opangault fut son allié.

Aujourd’hui encore, nous nous gavons de légendes pour expliquer la crise centrafricaine. Nous nous abreuvons de fantasme et de terrorisme intellectuel pour satisfaire nos calculs catégoriels. La moindre observation, le simple mot, l’innocent point d’interrogation, suffisent pour déclencher une terrible vendetta où se coalisent toutes les forces, intelligences et sentiments imaginables. La tolérance a disparu et avec elle, l’interrogation légitime. La tolérance a disparu et avec elle, l’Espérance.

Et j’ai peur. Peur de ce qui sera le Centrafrique, lorsque les 69 autres vaincus de la présidentielle de 20XX, rejetteront ses résultats. J’ai peur car la situation risque d’être pire que ce que nous avons connu ces deux dernières années. J’ai peur de ce paysage politique où tout le monde dispose de sa machette dans le dos.

 Non, ce n’est pas la France qui est la cause de notre drame. La mort qui est devenue un objet banal dans l’ex Oubangui-Chari n’est pas donnée par la France et les Français. Ce sont des fils et filles, ce sont des habitants allochtones et autochtones de l’ex Oubangui-Chari qui la donnent.

Non, l’être humain qui est aujourd’hui dépecé, désacralisé et même consommé, ce n’est pas la France et les Français qui profanent l’homme dans son entité la plus sacrée. Ce sont des fils et filles de l’ex Oubangui-Chari.

Non, ce ne sont pas seulement certains qui sont la cause de ce drame. Ce sont tous ceux qui, SANS EXCEPTION, encartés politique ou pas, en 56 années de régime autonome et indépendant, ont eu le privilège de servir ce pays qui sont la cause de son malheur.

Non, ce ne sont pas les Tchadiens, les Congolais, les Camerounais et les Français qui sont la cause de ce calvaire.

Non, ce ne sont pas les Franc-maçons, les rosicruciens et que sais-je encore qui sont les causes de ce drame.

Oui, ce sont d’abord les fils et filles de Centrafrique car le bourreau du Centrafricain, c’est le Centrafricain lui-même.

J’ai commencé ce billet en empruntant son titre à une conversation privée. Je le finis en empruntant  les mots qui suivent à un frère : « La démocratie est le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple ainsi est défini ce mot. Mais ça c’est avant. [En RCA c’est le] (2) Pouvoir d’un groupe d’hommes élu par le crime pour gouverner un peuple et pour le bien du même groupe d’hommes. »

Les partisans de l’ordre ancien, les ayatollahs du messianisme politique, les fabricants d’anathème et de polémique ne me feront pas changer d’opinion sur la question, le Bourreau du Centrafricain, c’est le Centrafricain lui-même. Ainsi fut l’histoire, ainsi est la réalité.

Le 26 décembre 2006, je publiais ce poème  « Requiem pour une aube nouvelle en Centrafrique »(3) :

  • Le Bourreau du Centrafricain, c’est lui-même
  • Dans nos bouches le mot tribu ils ont mis ;
  • Et son sens, ils ont perverti ;
  • Dans nos yeux la haine, ils ont injecté ;
  • Dans nos bras, des haches ils ont placés ;
  • Dans nos champs, des armes ils ont caché ;

Mais,…

  • Dans nos maisons les marmites ils ont vidé ;
  • Dans nos hôpitaux, la mort ils ont semé;
  • Dans nos quartiers la désolation et l’humiliation ;
  • ils font pleuvoir ;
  • Dans nos villages le désespoir et la désertification ;
  • Ils nous servent à boire ;
  • Dans nos écoles ils ont déversé un torrent d’inculture et de méconnaissance ;
  • Dans le monde entier, leurs propres enfants, ils ont abandonné ;
  • en déserrance et sans aide, partis pourtant étudier ;
  • Dans notre pays, la pauvreté extrême ils font régner et depuis vingt ans, le SIDA, ils le laissent nous décimer.

Clément De Boutet-M’bamba

1 : Projet barrage du Kouilou

2 : les mots entre griffes sont miens

3 : Le Bourreau du Centrafricain, c’est le Centrafricain lui-même. CBM, Paris, 26.12.2006

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