Chronique du Village Guitilitimô

CHRONIQUE ÉLECTORALE DU VILLAGE GUITILITIMÖ N°1: GUIMÖWÂRÂ A L’ÉPREUVE DES CLIVAGES PARTISANS (1ère PARTIE)

Le gros coq à la crête rouge du village venait de chanter. Allongé sur sa confortable natte depuis la veille au soir, Guimöwârâ n’arrêtait pas de se tortiller dans tous les sens. Le sommeil refusait toujours de l’emporter. Malgré la grosse fatigue qu’il ressentait, ses yeux étaient restés grandement ouverts toute la nuit. Son esprit préoccupé, allait farfouiller dans le passé, se projetait dans un avenir proche, avant de revenir se fixer sur le présent. Tout ce mouvement de va et vient spirituel, le mettait dans un état très bizarre. Il ressentait à la fois de fortes émotions, de profondes inquiétudes, et surtout un sentiment tenace de crainte du lendemain. Pourtant, Guimöwârâ aurait tant voulu se reposer de sa très laborieuse et épuisante journée, une journée somme toute, aussi bien remplie que toutes ses journées ordinaires.

Depuis qu’il avait décidé de revenir vivre à Guitilitimö le village de ses parents et grands-parents, du lever au coucher du soleil, chaque jour que Dieu fait, Guimöwârâ s’adonne aux durs travaux des champs. Quant à ses soirées, le rituel reste bien rodé. Après le dîner qu’ils étaient toujours plusieurs à partager avec des invités – jamais les mêmes personnes que celles de la veille -, ensemble, ils se remettaient en route en direction de l’amphithéâtre de l’Université Populaire de Guitilitimö (UPG), une très grande paillote érigée à l’initiative de Guimöwârâ, et située à environ une centaine de mètres de sa belle petite case, non loin de la place du petit marché. C’est ici que quotidiennement et aux mêmes heures, des « étudiants » de tous âges et sexes, enfants, jeunes, adultes, vieillards, hommes et femmes, ont pris l’habitude depuis plusieurs années, de venir suivre les précieux conseils et leçons de Vie, que l’expérience et la sagesse des anciens ont contribué à créer, à façonner, et à véhiculer à travers des générations. Depuis environ une dizaine d’années, Mbina-ala-Midowa le patriarche du village Guitilitimö, est devenu le plus vieux dépositaire de ces traditions, la plus vieille bibliothèque vivante, l’incontournable « support matériel de transmission » de l’humanisme généreux des aïeux. Pour sa part, Guimöwârâ avait pris en charge les sujets d’enseignement moderne, essentiellement basé sur la connaissance du monde actuel et de ses différentes réalités. Chacun de ses cours, était pour les étudiants de l’UPG, le moment opportun, de poser toutes sortes de questions. Et de l’avis de tous, les réponses fournies par Guimöwâra, leur donnaient entièrement satisfaction. De cette manière aussi, Guimöwârâ dit Le Savant Incompris Révolté, pouvait s’appuyer sur ses propres expériences et sa situation actuelle, dans le but de faire perdre petit à petit un grand nombre d’illusions fort longtemps ancrées dans les esprits de jeunes villageois, et même de certains adultes et parents, qui ne rêvent que d’aventures et de belle vie dans les grandes villes d’Afrique et d’Europe en particulier.

Guimöwârâ « Le Savant » ! Guimöwârâ « L’Incompris » ! Guimöwârâ « Le Révolté » !

« Le Savant », ce surnom qui lui est donné à tort ou à raison, Guimôwara le doit à ses multiples et très authentiques diplômes obtenus au pays des blancs, contrairement au frère cadet de Tante Sioni-yânga, le nommé Oncle Gânatêne alias Mille diplômes. Ce dernier était revenu au pays par bonheur et à la faveur de l’accession à la magistrature suprême, de sa sœur aînée devenue la nouvelle présidente de la transition en République de ZOKWEZO (RZKZ). Et pour avoir vécu 40 années en Europe, Oncle Gânatêne alias Mille diplômes passait son temps à se vanter « idiotement » d’avoir un « bac+40 ». Aussi, chaque fois qu’il arrivait qu’on se moqua de ses faux papiers, il s’énervait et se mettait systématiquement à vider le contenu du « sac diplomatique » plein à craquer qui ne le quitte jamais, et à brandir des piles d’attestions de tout et de rien, en guise de « preuves de son intelligence contestée ». Qui a dit que le ridicule tue en RZKZ !

Guimöwârâ « L’Incompris », Guimöwârâ « Le Révolté », c’est une longue histoire.

En effet, il fut un temps, à l’époque ou la RZKZ était encore une vraie République, à l’époque où un Ministre du gouvernement n’était pas un « n’importe qui nommé n’importe comment », Guimöwârâ malgré ses réticences apprit par voie de presse sa nomination dans une équipe gouvernementale. Il ne rechigna pas à occuper le poste qui était le sien, et à exécuter correctement les fonctions qui lui étaient attribuées. « On ne dit pas non à un Chef » avait-il entendu dire. Guimöwârâ se mit d’arrache pied au travail et voulu appliquer à la lettre les lignes maîtresses de la nouvelle dynamique et de la nouvelle philosophie de travail voulues par la Président de la République (PR). Mais assez rapidement, on le trouva « très peu » politique, « trop » direct et « trop » sincère dans ses prises de positions et ses propos. Considéré « trop » intègre, il était l’empêcheur de détourner et de profiter abusivement des largesses du Président ; « trop » compétent et « trop » performant, il mettait à nue les carences de ses collègues ; anti-tribaliste et anti régionaliste viscéral, il n’hésitait pas à dénoncer ouvertement le népotisme mais aussi le carriérisme environnant de ceux qui n’avaient de cesse de prôner la rupture et le changement, mais constituaient eux-mêmes foncièrement, des forces d’inertie qu’ils étaient censés combattre. C’est alors que taxé de prétentieux, d’arrogant, d’orgueilleux, ainsi d’autres noms d’oiseaux, on déclencha contre sa personne, une véritable campagne de dénigrement en se jurant « d’avoir sa peau ». Cela ne tarda pas à arriver. Il ne se passait plus aucun jour, sans que Guimöwârâ ne fut l’objet d’une dénonciation calomnieuse ou d’une fiche mensongère adressée au Président de la RZKZ (République de Zokwezo). On se mit en tête par ailleurs de l’accusé d’incitation à la révolte populaire à cause des cours « enflammés » qu’il dispensait aux étudiants de deux facultés de l’unique Université du pays.

Par une après midi de saison sèche très ensoleillée, alors qu’il était assis à sa table, en train de partager en famille le repas de la journée, Guimöwârâ fut surpris d’apprendre sa révocation du gouvernement, de manière abrupte et sans aucun ménagement. C’était pendant les « infos » de 13 heures de ce jour, dont la page spéciale lui fut entièrement consacré, ou plutôt entièrement consacré à le « descendre ». Curieusement et malgré un tel choc de nature à atteindre durement même l’être le plus robuste moralement, Guimöwârâ, imperturbablement s’en alla le soir du même jour donner tranquillement ses cours à l’université. Le lendemain, les étudiants déclenchèrent une grève spontanée pour soutenir leur éminent et très courageux professeur. Un événement qui allait signer son « arrêt de mort ». Le jour suivant, au milieu de la nuit, une camionnette remplie de gendarmes armés jusqu’aux dents, se présenta au domicile de Guimöwârâ. On brisa la porte d’entrée, on s’introduisit sans sommation et fouilla dans toutes les chambres, on le tira brutalement de son lit en présence de sa femme entouré de ses enfants, et tout aussi brutalement, il fut obligé de monter dans le véhicule garé, simplement vêtu d’un pyjama et les menottes en mains. On le conduisit ainsi à toute allure, vers une destination inconnue. Prévenu d’avoir voulu organiser un coup d’état contre le président de la République, Guimôwâra, ne fut jamais entendu par un juge. Illégalement privé de liberté pendant plusieurs années, il témoignera avoir bu jusqu’à la lie, le calice des souffrances imposées aux « dangereux » prisonniers politiques d’une république bananière. A sa sortie de cet enfer, son épouse, une Française qu’il avait ramené de France comme un trophée de réussite sociale, s’était entretemps « évanouie » dans la nature avec leurs deux enfants sans laisser de traces. Quant à ses biens, villa, voiture et argent, ses « parents » s’en étaient occupé tant et si bien, que Guimöwârâ ne revit et n’entendit plus jamais parlé de ces profiteurs. Brisé et révolté, au lieu de reprendre le chemin de l’Europe comme font la plupart de ses amis en pareil cas, Guimöwârâ préféra s’en retourner à Guitilitimö, le petit village de son enfance, seul endroit sur terre où – n’arrête-t-il pas aujourd’hui de répéter à tout venant -, il a pu retrouver enfin la paix, et su redonner du sens à sa vie.

Le « koli kondo » de la basse-cour de Béka-Le-Pygmée chanta une seconde fois. Puis une autre fois. Et puis une troisième fois, et après, ce fut une série de cocorico ininterrompu. En même temps, Guimöwârâ toujours étendu sur sa confortable natte, pestait. Il pesta une fois, une seconde fois, une troisième et une ènième fois. En fait, il ne supportait pas que les cris répétés de ce freluquet mal poli, viennent le troubler et l’arracher à ses pensées. Les yeux rougis par une nuit d’insomnie, il se demandait si ce petit merdeux de coq rouge, n’avait pas vraiment pris le beau clair de lune du milieu de la nuit, pour la lueur d’une belle petite aube.

A vrai dire, si Guimöwârâ n’avait pas pu trouver le sommeil depuis qu’il est entré se coucher après ses cours à l’UPG, et s’il paraissait surpris par l’arrivée du petit jour, s’il n’a cessé de tournicoter dans tous les sens sur sa natte, ce n’était certainement pas à cause des « mandérés », ces sales petites punaises aux odeurs nauséabondes, dont les petites piqûres sont généralement à l’origine de furieuses prurits qui font sursauter même l’homme plongé dans le sommeil du juste. Guimöwârâ était profondément tourmenté.

Mais qu’est ce qui pouvait bien préoccuper et troubler à ce point cet homme d’ordinaire si dynamique et si enthousiaste ? Qu’est ce qui pouvait occuper de cette manière et aussi totalement, l’esprit de Guimöwârâ dit Le Savant Incompris Révolté ?

A SUIVRE

GJK Levillageois
Élève Certifié de l’Enseignement
Primaire,Tropicale et Indigène (CEP-TI)
Écrivain Public du Village Guitilitimö

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