EN VEDETTE

UNE SOIRÉE LITTÉRAIRE QUI FUT TOUT SAUF GUINDÉE

C’était une soirée de novembre. Nous nous étions retrouvés comme à l’accoutumée, une semaine sur deux, chez un ami pour la traditionnelle soirée de notre cercle littéraire. C’est ainsi que nous avions pompeusement nommé nos rencontres bimensuelles. Et cette fois-ci, c’était Victor qui pour sa première participation a tenu à jouer les hôtes en nous accueillant dans son appartement.
Il nous avait promis de prévoir une grande natte, afin d’ajouter une touche africaine. Nous voici, donc Magloire, un ami ivoirien, et moi qui prenons d’assaut la fameuse natte, dédaignant les fauteuils alors que nous étions parmi les premiers arrivants.
Chacun apportait, comme convenu selon une autre de nos traditions, soit une bouteille de vins, de jus de fruit, des pizzas ou autres mignardises. Nous voici donc, près d’une dizaine d’amis des belles lettres originaires des quatre coins du monde, dans son petit salon à converser “littérature“ sous la lumière tamisée.
Deux auteurs ont trusté, à travers leurs œuvres, une bonne partie des discussions de la soirée.
Le premier fut Amadou Kourouma à travers son roman Les soleils des indépendances. Encore et toujours le thème récurrent de la désillusion postindépendances et des antagonismes opposant la tradition à la « modernité ». C’est en effet une thématique dont il est souvent question lors de certaines de nos retrouvailles. Des « soleils » toujours récurrents compte tenu des réalités que nous vivons dans nos pays africains respectifs. Un autre ouvrage qui a été cité, toujours sur le même thème, a été Le monde s’effondre de Chinua Achebe. Encore lui… Il fait en effet partie de ces auteurs africains qui est souvent cité lors de nos soirées.
Il est important de préciser qu’une même œuvre peut être présentée autant de fois qu’il le faut par différentes personnes. Nous partons du principe que la compréhension d’une œuvre ou encore son impact varie selon la perception et la sensibilité de tout un chacun.
Oui mon commandant! d’Amadou Hampâté Bâ fut l’autre ouvrage qui a monopolisé les débats. L’auteur, qui n’est plus à présenter est une figure majeure de la littérature africaine francophone. Ce livre est la suite d’Amkoullel, l’enfant peulh. C’est l’histoire de la vie de l’écrivain, qui fut commis indigène de l’Etat durant la période coloniale. Le lecteur a droit à la description et à l’histoire du Sahel ainsi que celle du parcours initiatique spirituel d’Amadou Hampate Bâ. Une belle histoire d’humanisme. C’est Aïssata qui aura les mots justes lorsqu’elle dira qu’Hampaté Bâ est en quelque sorte le détenteur littéraire de l’âme peuhle ! Une magnifique culture qu’il nous fait découvrir par sa plume qui retranscrit si bien la culture orale. Un autre de ses ouvrages qui a été abondamment cité, avec moults anecdotes, et recommandé est L’étrange destin de Wangrin.
Notre hôte Victor, dira même que s’il n’avait pas été si « profondément » chrétien, la lecture de Oui mon commandant ! aurait pu le pousser à embrasser la foi musulmane. Il retrouvait, en effet, dans la description par l’auteur de son cheminement spirituel, des similitudes avec certains enseignements bibliques. Et sa piété forçait le respect. Il donnait envie de suivre ses traces.
La satire post indépendance des régimes totalitaires dans La vie et demi de Sony Labou Tansi a été aussi citée
Il s’en est suivi une discussion des plus passionnées sur la littérature africaine sous la houlette de Magloire et d’Aissata. Deux compatriotes qui venaient juste, soit-dit en passant de faire connaissance ! Leur enthousiasme était contagieux. Sacrés ivoiriens !
Les autres auteurs recommandés par les uns et les autres, à part les deux suscités, furent entre autres : Fatou Diome, Alain Mabanckou, Sembene Ousmane, Chinua Achebe, Bernard Dadié ou encore Chimamanda Adichie Ngozie, même si son roman Americanah n’a pas fait l’unanimité hier contrairement à d’autres de ses ouvrages tels L’hibiscus pourpre ou L’autre moitié du soleil. Certaines reprochent en effet à Americanah de trop accumuler les clichés de la femme africaine expatriée ou exilée. Une chose est certaine, ce roman n’a laissé personne indifférent. Il a été soit encensé, soit critiqué.
La présentation suivante fut celle de Dans le lit des rois, Nuits de noces de Juliette Benzoni. L’histoire romancée des mariages princiers et/ou royaux dans l’histoire de France. Les petites histoires dans la grande et le constat qu’il y a des us et coutumes qui au-delà des siècles et des civilisations sont parfois communes quoiqu’on en dise. Magloire a surtout encensé le style de l’écriture qui est la principale raison pour laquelle il recommande ce livre.
Ce fut ensuite le tour de Sapiens: Une brève histoire de l’humanité de Yuval Noah Harari , autre livre qui revient de temps en temps au centre des discussions. Comme son nom l’indique, c’est une réflexion sur l’évolution de l’homme, de sa capacité d’adaptation au fil des siècles mais surtout aussi de sa capacité de destruction et d’élimination d’autres espèces. Une belle réflexion sur l’évolution de l’humanité et sur la question de savoir où nous allons.
La réunion a ensuite pris une autre tournure. Nous avons eu droit à un débat plutôt animé et ponctué de fous rires, provoqués dans la plupart des cas par Aissata, sur les romans à l’eau de rose et autres littératures de gare ou de toilettes, dans le style Barbara Cartland ou Gérard de Villiers.
Concernant ce dernier, il a été surtout question, pour ceux qui en ont lu quelques-uns durant leur adolescence, de la précision des descriptions de certains endroits ou de certains personnages qui auraient existé ainsi que des faits plutôt troublants. Pour la petite histoire, lors d’une autre soirée des amis nous avaient raconté qu’une grande institution gouvernementale occidentale avait refusé de financer une ONG internationale parce qu’elle aurait été citée dans un SAS comme étant une couverture de la CIA ! Comme quoi, même les grandes puissances tiennent compte de ce qui écrit dans les livres de De Villiers car on nul n’arrive à délimiter une frontière entre le vrai et le faux.
Une autre amie, en mission de haut niveau, il y a des années de cela dans les Balkans a confirmé certaines choses qui avaient été écrites par Gérard De Villiers concernant un personnage, notamment des événements, qui sans être confidentiels étaient inconnus du grand public.
Une autre anecdote nous fut racontée, quelques soirées plus tard, toujours au sujet de cet auteur. Il s’agissait d’une personne à Kinshasa qui a connu beaucoup de problèmes, juste après la chute du régime du maréchal Mobutu. L’ami qui nous la racontait connaissait la personne en question qui avait été nommément citée dans une des aventures de SAS comme étant en possession d’un trésor laissé par des dignitaires de l’ancien régime. Elle fut pendant longtemps la cible de harcèlements, d’interrogatoires ou de fouilles inopinées.
La question était de savoir si c’était réellement une seule personne qui a écrit tous ces livres ou juste un prête-nom qui bénéficiait de l’écriture de plusieurs « prête-plumes »… Cette question était aussi pertinente pour Barbara Cartland puisque grâce à Google, nous avons découvert qu’elle avait écrit au moins…666 romans ! Vous conviendrez avec moi que ce n’est juste pas possible….
Nous avons, entre deux quintes de fous rires, “googlisé“, pour savoir si Bangui avait été le théâtre d’une des aventures du Prince Malko, qui est, pour ceux qui l’ignorent, le principal personnage des SAS écrits par De Villiers. La réponse fut négative.
On ne peut parler de Barbara Cartland sans évoquer une célèbre maison d’édition qui a pour marque de fabrique les romans à l’eau de rose. Vous l’aurez compris, nous parlons des Harlequins. Et il s’avère, que les romans de la maison d’édition ivoirienne Adoras, le Harlequin local ou tropical, auraient un succès phénoménal en Afrique de l’Ouest ! Et ce malgré un scénario quasi commun à ces histoires dans lesquelles, pour reprendre les propos d’Aissata, Oumou est amoureuse de Moussa qui lui aime Nafissatou, bla bla bla… Elle continuera en nous disant qu’une de ses amies a fait partie des auteurs à succès des éditions Adoras. Sous un nom d’emprunt bien sûr. Et quand celle-ci lui a donné un aperçu de ce qu’elle gagne par manuscrit, notre amie s’est dit qu’elle tenterait bien l’aventure.
Une chose est certaine, s’il y a une chose qui a prévalue au cours de cette soirée, c’est bien la bonne humeur. Personne ne se prenait au sérieux. L’ambiance était très bon enfant et les fous rires ont ponctué quasiment toutes les discussions.
A tel point que nous n’avons pas vu le temps passé. Et que certains ont dû se dépêcher de rentrer car étant soumis à un couvre-feu imposé par les organisations pour lesquelles ils travaillent.

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