POLITIQUE

SORTIR PAR LA GRANDE PORTE OU PASSER PAR LA PETITE

François Bozizé est de retour à Bangui. Et si l’ancien président centrafricain est rentré dans son pays, ce n’est certainement pas pour se présenter aux célébrations eucharistiques catholiques de tous les dimanches à la Cathédrale, faire pénitence, et attendre tranquillement de prendre part l’année prochaine au grand pèlerinage national de Ngoukoumba, dans le but très saint, de demander à la vierge Marie son intercession, en vue d’une improbable absolution totale des crimes et péchés mortels qu’il a commis .

Quant à Faustin Archange Touadera, il est à présent dans ses petits souliers. Le Chef d’état mathématicien, subitement confronté à une équation politique inattendue aux inconnus complexes, se débat sans doute seul depuis plusieurs jours, avec ses crises d’angoisse et ses insomnies. Á l’heure qu’il est, on l’imagine plongé à la fois, dans un embarras profond et dans des calculs de probabilités hautement politiciens et forcément vertigineux.

Pour tout dire, Touadera aurait tort dans la situation actuelle, de se laisser berner une fois de trop, par cette posture hautaine qui l’a si souvent poussé à considérer avec mépris, désinvolture et légèreté, toutes les revendications de la société civile et cette opposition politique désormais gonflée à bloc et qui tend à faire bloc. Il lui faut simplement revoir ses ambitions personnelles, et corriger ses habituelles copies.

Du coup, voici la réflexion qui me monte des tripes : combien de mandat faudrait-il, aux chefs d’état centrafricains déchus ou en exercice, pour atteindre le seuil de satiété qui ailleurs, amène leurs homologues à quitter volontairement le pouvoir, et surtout à se priver chaque matin au premier chant de coq, de penser revenir à tout prix s’asseoir dans un fauteuil présidentiel qu’ils s’imagine souvent vide sans eux?

Et une fois de plus, notre République centrafricaine, fidèle à sa réputation à fournir au monde les pires exemples et les modèles les plus désespérants, se prépare à remporter bientôt, le triste trophée des Chefs d’état qui, faute de n’avoir su voir à temps venir la fin, et saisir immédiatement une opportunité de sortie par la grande porte de l’Histoire, finissent toujours mal, en finissant tristement par emprunter à toute vitesse, la petite porte du déshonneur et de la désillusion.

Tenez !     

Monsieur le Président Bozizé s’en était allé, le « soldat » Yangouvouda s’en est revenu : aller-retour par la petite porte

L’on se souviendra encore de ce jour du 16 mai 1997 où, pour éviter d’être lynché par les rebelles fous de Désiré Kabila lancés à la poursuite du pouvoir de Kinshasa, le maréchal Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga, l’ex dictateur du Zaïre, alors au bord de la civière, avait dû à la fois et malgré lui, abandonner les oripeaux de la gloire, et partir pour un exil lointain. Mort à Rabah quelques mois seulement après avoir quitté le trône, Mobutu, aimait pourtant profondément sa terre natale qu’il a pu servir durant des décennies, même si l’on doit lui reprocher ses dérives totalitaires, sa gabegie et son insatiabilité. Le corps du fondateur du MPR (Mouvement Populaire de la Révolution), repose toujours en souffrance, dans un cimetière de cette terre hospitalière mais non moins étrangère du Maroc. Sans que l’on ne sache, si les restes du « mwana ya mboka » – l’enfant du pays -, rentreront jamais pour se retrouver dignement auprès de ses ancêtres, morts et enterrés sur le sol natal, comme le veut la tradition séculaire dans cette partie de l’Afrique.

Et l’on peut en dénombrer ainsi, quelques uns de ces chefs d’état africains exilés, généralement de pires autocrates ou de très mauvais dirigeants ou gouvernants, qu’un soulèvement populaire ou un coup d’état , a souvent fini par renverser et envoyer en prison ou dans un pays étrangers où ils y ont vécu et sont morts ( Idi Amin Dada d’Ouganda enterré en Arabie Saoudite). Pour ceux-qui sont encore vivants, l’on peut parier qu’il ne reverront certainement plus leur pays ( Hissen Habré du Tchad au Sénégal, Mengistu Haile Mariam d’Ethiopie au Zimbabwe).

Les Centrafricains eux, ont eu la chance et le privilège de juger puis de condamner leur empereur, « le vaillant soldat Bokassa« , revenu de son exil pour se soumettre à la justice de son pays. Son corps repose aujourd’hui « en paix » dans son village. D’ailleurs une frange de la population centrafricaine ne manque jamais l’occasion de rappeler que ce dictateur fut malgré tout un bâtisseur. Ce qui est loin de l’absoudre de ses fautes.

François Bozizé est de retour dans son pays après environ « six petites années » passées à l’extérieur. Quel courage !

Et très peu nombreux sont les Centrafricains de mauvaise foi, qui voient d’un mauvais oeil ce retour au bercail du général cinq étoiles, dont ils imputent d’ailleurs « l’irresponsabilité » aux services des renseignements et de la sécurité intérieure du régime de Touadera. Soit.

Mais de quel droit devrait-on interdire à un père et grand-père de 72 ans de revenir auprès des siens, sa famille, ses enfants et petits enfants, ses partisans, sympathisants et amis? Et si son espoir était de terminer paisiblement ses jours et être enterré dans la terre de ses ancêtres, qui suis-je pour m’opposer au vœu profond d’un Centrafricain au même titre que moi ?

Une fois qu’on a dit cela, l’on n’a pas pour autant vider entièrement le débat au sujet du mystérieux retour de celui qui reste après tout, un homme politique et un ancien président qui aura passé deux mandats ou presque à la tête de la RCA, et dont la gouvernance n’aura pas laissé que de bons souvenirs. Bien au contraire. Et si on le voulait et qu’on pouvait compter le nombre de toutes les victimes, la nature des crimes ainsi que la quantité de sang et de larmes versées sous son régime, François Bozizé ne s’en tirerait pas à si bon compte. Les Centrafricains qui l’auraient volontiers envoyé à la Haye retrouver ses lieutenants Ngaïssona et Rambo, sont légion. Non seulement ils n’auraient pas tort mais n’éprouveraient pas de grandes difficultés à rassembler les preuves en vue de son éventuelle inculpation.

Cependant même le pouvoir en place n’ose s’aventurer sur cette piste en prononçant le mot de Justice.

Excepté quelques années de traversée du désert ou de mise à l’écart, Le Général a connu à vrai dire, une belle carrière y compris celle de putschiste, à la fois dans l’armée mais également comme ministre, plusieurs fois membre du gouvernement centrafricain.

Mais diantre ! Qu’est-ce qui fait courir Bozizé alors qu’il devrait à son âge se préoccuper des avantages matériels et financiers qui lui auraient permis de jouir d’une paisible retraite bien méritée ?

L’on connaît le goût de l’ancien président pour le pouvoir qu’il a longtemps cherché par la force et a fini par obtenir par un coup d’état. On sait également l’homme froid et foncièrement rancunier. Si Bozizé n’a pas craint de rentrer en Centrafrique, c’est aussi surtout, parce qu’il tient à faire rendre gorge à tous ceux qui l’ont humilié et demander des comptes à Touadera qui n’a rien fait pour l’épargner et rendre son exil facile et supportable. Dès lors, l’on peut prévoir toutes les conséquences et dommages – directs et collatéraux – de ses calculs vindicatifs sur le pays et les populations.

Tout compte fait, en admettant que Bozizé remplit toutes les conditions de sa participations à la présidentielle de 2020 – qu’il peut d’ailleurs remporter malgré tout -, il faut admettre également que ce n’est nullement pour « libérer » les Centrafricains qui ne sont pas en prison, ni pour prouver son amour pour la RCA et manifester son respect pour le jeu démocratique.

Quand mourir pour le pouvoir et au pouvoir à tout prix, devient le but d’une vie, cela s’appelle de la « mesquinerie ».

Touadera lui aussi serait-il de la même veine ?

Par ici la Grande Porte de l’Histoire Monsieur le Président !

Alors qu’il pouvait – s’il le voulait réellement -, se porter candidat à sa propre succession et le remporter sans aucune difficulté en Afrique du Sud, Nelson Mandela, le premier président noir post-apartheid, avait pourtant préféré se retirer du pouvoir, après seulement un mandat de 5 ans. Il n’en était pas mort, et mort aujourd’hui, il reste pourtant plus grand que jamais. Toute l’Afrique chante Madiba, et le monde entier révère encore cet homme d’exception.

En France – ce pays qu’on déteste profondément parce qu’on l’aime intimement -, François Hollande à la fin de son unique quinquennat, ayant vu se lever la grosse bourrasque qui le « berçait » d’humiliation et se préparait certainement à l’emporter, avait jugé de suite prudent de calmer le jeu, en se dépêchant d’annoncer, lui-même, son retrait de la course à l’Elysée, alors que certains discours présageaient de sa candidature en vue d’une improbable réélection. Aujourd’hui, les Français qui avaient fait de lui le président le plus haï de la Vème République, semblent lui avoir ôté le fameux insigne du déshonneur, pour éventuellement le coller au front de son successeur.

Une fois cela dit, l’on connaît l’invariable et sotte réplique des amateurs rodés en argumentations périmées : la RCA n’est ni l’Afrique du Sud ni la France, et Touadera n’est pas Mandela ou François Hollande.

Entendez plutôt par là, la RCA est le « pays de tous les paradoxes et des records négatifs » est aussi celui des dirigeants qui détestent les références éloquentes et les modèles positifs.

Qu’à cela ne tienne.

Si Faustin Archange Touadera renonçait à la présidentielle de l’année prochaine, ni la terre ne s’arrêtera de tourner, ni le soleil, la lune et les étoiles de Centrafrique ne s’éteindront. Lui non plus, n’en mourra. Au contraire, le peuple centrafricain tout entier, sera sans doute reconnaissant vis-à-vis de son président, premier Chef d’état depuis les indépendances, à prendre volontairement la décision de s’extirper des oripeaux trompeurs du pouvoir et leurs mortelles illusions. Peut-être finira-t-il par se rendre ainsi sympathique aux yeux de ses prodigieux concitoyens, prêts à tout pardonner, et surtout dans son cas personnel, à pardonner et à oublier son accointance avec les rebelles, ainsi que l’enrichissement illicite dont lui et les hommes de son régime se sont outrancièrement rendus coupable.

Tout compte fait, le pouvoir, plus l’on s’y accroche, moins l’on a de chance de bien finir. Que ceux qu’il peut encore entendre et écouter, le disent et le répètent clairement à Touadera : partir à la fin de son mandat, reste pour lui aujourd’hui l’unique solution la plus honorable.

En effet, il y’a de cela quelques mois, l’actuel Chef de l’Etat pouvait encore compter sur ses grands moyens, sa milice en gestation et sa machine à frauder les élections. Mais avec la simple présence de Bozizé au pays, les données ont foncièrement changé, les voyants sont au rouge de son côté, et il n’a aucune chance de remporter la présidentielle à venir : électorat exiguë, un parti politique embryonnaire, rejet des populations et risque de violence en cas de cas de trouble.

En définitive, « ni Bozizé ni Touadera », devrait être le maître mot et la consigne à respecter en 2020. Les deux hommes d’état, ont après tout eu à la fois, la chance d’exercer le pouvoir déjà en Centrafrique, et la malchance de prouver les limites extrêmes de leur incapacité à conduire le peuple dans de verts pâturages du bonheur et de la paix, et le pays, à amorcer enfin, son redressement et si possible essayer de rattraper son grand retard en matière de développement.

En revanche, rien, absolument rien ne les empêche de présenter et de soutenir pour le compte de leurs partis politiques respectifs, leurs candidats susceptibles d’affronter à la régulière d’autre poids lourds.

La RCA et son peuple ont besoin de passer à autre chose de mieux.

GJK-Guy José KOSSA

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