Grand format de J.Gréla

REPORTAGE: RCA – UN MONDE S’EFFONDRE, UNE PLONGÉE DANS LE VILLAGE DISSIKOU, DEVASTÉ

Derrière la zone occupée par les seleka, les habitants luttent pour vivre bon gré mal gré. Ils s’accrochent, au fil ténu de la vie. Dans cette zone occupée, la vie quotidienne des centrafricains est bouleversée. Souvent les villages sont vidés de leurs habitants. C’est un désastre indescriptible qui délivre au visiteur licencieux, curieux, un spectacle cauchemardesque et dramatique. Les habitants des villages ont toujours peur. Ils sont encore terrifiés par les attaques à répétition de leur village face à un avenir lugubre.

J’entendais les cris de douleurs de ces gens qui appelaient au secours

Dissikou, l’un des « gros villages », situé à la porte d’entrée sud de la ville Kaga-Bandoro vit au rythme de passage du rouleau compresseur séléka et des incursions des anti-balles AK.

Le jour se lève timidement sur Dissikou. Toute la nuit, ce gros village, aux maisons incendiées, effondrées, éventrées, a subi les courroux du ciel. Une pluie torrentielle vient de détruire et d’emporter ce qui reste de ces maisons endommagées. Les greniers presque vides, dressés, bancals tels « la tour de Pise », n’ont pas supporté le poids de ces grosses gouttes de pluies drues, serrées. Quelques arbres aux branches calcinées se sont déployés sur l’unique artère, Route Nationale n° 8, qui traverse le village. Le ruisseau, sur lequel enjambe le pont, a entamé sa crue grâce au ruissèlement des eaux usées descendant des villages avoisinants. Déjà quelques enfants rescapés, sans se soucier de la détresse des adultes, pataugent, jouent dans ces eaux boueuses, troubles aux couleurs de la latérite rouge bordeaux.

La perspective du village impose, à la vue, des arbres fruitiers, des manguiers, des pamplemoussiers, des goyaviers carbonisés, desséchés, qui bordent cette route principale. Ces arbres « aux fruits nutritifs » sont emportés par les incendies des sanguinaires séléka. Les habitants vivent dans la peur de ces derniers et de leurs coreligionnaires peulhs apparentés, mbororos armés qui écument la région à la recherche des rançons, des butins et qui ont assiégé le village. « Ils ont pourchassé les habitants, et capturé une dizaine d’entre eux », se rappelle un villageois d’une trentenaire, Germain Bagaza, encore très craintif, les mains moites, la voix chancelante et nasillarde, le visage dégoulinant de sueur froide. « Ils les ont enfermés dans une maison, ont barricadé la porte avant de mettre le feu à la toiture de la maison. Ils sont restés surveiller la maison qui a brûlées avec les gens. Je me suis enfui en brousse et j’entendais les cris de douleurs de ces gens qui appelaient au secours. Les assaillants riaient et se tordaient de plaisir. Je commençais à pleurer à mon tour et je tressaillais de rage. Impuissant, j’avais peur de sortir de la brousse». Te rappelles-tu de la date ? « Oui, c’était le  samedi 10 mai en plein soleil ».

Notre village, c’est leur propriété

Les journaux ont rapporté le lendemain cette infamie, cet autodafé sanguinaire. Au détour d’une maison complètement rasée, à l’orée d’un bois, un petit champ de culture vivrière appartenant à une « vieille maman »  qui ne peut quitter le village, s’offre au regard. Courbée, les mains serrées sur sa houe, elle enlève les mauvaises herbes qui envahissent sa petite parcelle. « C’est une culture de survivance », lance-t-elle à l’adresse des passants curieux qui l’interrogent ou qui l’observent. « Je ne peux fuir les assaillants, poursuit-elle en sango. Je n’ai plus rien. Les selekas et les peulhs ont tout pris. Nous sommes leurs bêtes. Ils font souvent irruption dans le village pour s’emparer le peu de cabris et des animaux domestiques qui gambadent encore sur la route dans le village. C’est leur propriété ». Cette vieille maman est l’une des personnes qui n’avait pu fuir devant l’assaut de ces hommes armés aux allures des selekas et leurs acolytes.

La vie dans ce village est rythmée par le passage des pick-up des selekas qui viennent de Kaga-Bandoro pour Dékoa et réciproquement. A chaque coup de sifflet les hommes et les femmes s’enfuient en brousse pour échapper aux selekas qui ne veulent apercevoir une âme vivante sur leur passage. C’est un village sans âme malgré la végétation riche et luxuriante qui l’entoure. La vie y est pitoyable et attendrissante.  La mort à leur trousse. Le trépas présent. La vie s’est arrêtée. Il n’y a plus des danses, des chants, des jeux  au clair de lune.

Au crépuscule, on se précipite pour avaler les légumes soit à base de feuilles de manioc, soit des feuilles des haricots, des tubercules cuits par la gente féminine et on se retire dans un coin de la brousse pour passer la nuit.  « Nous sommes de vraies taupes, des rats. Nous dormons sur des nattes déroulées sur des branches feuillues en guise de matelas. Les moustiques sont nos compagnons de la nuit. Nous ne pouvons pas faire du feu. Les ennemis peuvent nous repérer dans la nuit noire et nous tuer, surtout les peulhs », explique une femme, son bébé au sein, qui, auprès de son époux porte la marque de chicottes des selekas.

On a même peur d’aller aux toilettes

Dans cette région giboyeuse les chasseurs ne pratiquent plus leur métier. La brousse est infectée des archers, des peulhs lourdement armés qui appliquent leur loi : dépouillement total, torture et assassinat impunément. « On se débrouille autour du village comme on peut. On ne mange plus à sa faim. On a même peur d’aller aux toilettes parce que les bandits ne sont pas loin des villages et ils se déplacent souvent et en groupe. On a peur de tomber sur eux », susurre un ancien élève de l’école du village dans ce français simple et limpide.

Le directeur de l’école et les maîtres sont partis. Le toit en pailles de l’école dont une partie est consumée au passage de desperados est balayé par le vent. Le mur en banco s’est écroulé sous le poids de cette pluie diluvienne. Les commerçants, en majorité musulmans, ont déguerpi les lieux depuis que les anti-balles AK se sont révélés cruels. Ça et là, déambulent des enfants orphelins portant des guenilles en guise de vêtements. Le centre de santé primaire qui alimentait en médicaments les habitants est brûlé. L’assistant de santé communément appelé « docteur » est porté disparu. Le village présente un visage anarchique et sans système d’organisation. La présence des ONG pour porter secours n’est que chimère et non acquise. Le sourire demeure triste, et congestionné.

Nous vivotons, c’est l’essentiel

Dans ce village long d’environ huit cent mètres, peuplé majoritairement de jeunes et très animé, la vie a marqué le pas. La moitié des populations a fui pour se refugier en ville, à Kaga Bandoro, à l’évêché. D’autres sont à la paroisse de Dékoa. D’autres encore ont disparu en brousse ou volatilisé dans la nature. Le village porte les stigmates ineffaçables de ces indigents et hors la loi.

Plus loin à l’ombre d’un manguier à moitié emporté par les flammes, un groupe de femmes pilent et tamisent le manioc pour obtenir de la farine pour le repas de midi. De l’autre côté de la rue un vieux, entourés, de jeunes divertit les jeunes adultes  en racontant, sur un fond nostalgique, l’histoire du village, en insistant sur la bravoure des aïeux, leurs combats tribaux et les alliances scellées pour la paix entre les tribus. Il tente ainsi de redonner espoir à cette génération déboussolée et vengeresse. Mais l’un de ces jeunes adultes, Magloire Démona, s’avance et déclare : « La haine ne me quittera point. Nous ne pouvons refaire nos maisons. Nous n’avons pas d’argent et le conflit n’est pas fini. Les selekas ne sont pas partis. Ils reviendront encore un jour nous rechercher ou incendier nos maisons et cultures. Nous vivotons, c’est l’essentiel » murmure-t-il abattu par le chagrin, les bras croisés sur la tête comme un enfant perdu, sanglotant.  « Nous nous vengerons un jour », lâche son congénère Philippe Nguengo dans un geste violent.

Soudain, des coups de sifflets retentissent. Cachez vous derrière les maisons, dans les hautes herbes touffues. On s’exécute. Fausse alerte, c’est un convoi de la croix rouge composé des pick-ups, 4×4 qui traversent le village à toute allure. Décidément la peur est encore forte et présente.

A l’entrée et à la sortie du village sont postés des guetteurs placés sur un point élevé pour surveiller et avertir les villageois du danger menaçant. La sécurité a cédé à l’angoisse.  Ses sentinelles alertent, au moyen des sifflets, les villageois pendant la journée, à la moindre levée de poussière au loin. Ils scrutent à l’horizon la moindre poussière pour s’assurer des véhicules qui entrent dans Dissikou. Le drapeau blanc, hissé sur un pick up, sur un camion, signifie circulation des organisations humanitaires ou Croix Rouge. Si tel n’est pas le cas, les villageois se cachent derrière les bosquets, les futaies, les touffes d’herbes et attendent le passage pour se redécouvrir.

Derrière la zone occupée par les selekas, la vie est à ce prix.

Le sifflet est à Dissikou, ce que les sirènes sont à l’Europe pendant les guerres.

Joseph GRÉLA

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