Libre opinion

RCA : « Pour que la paix revienne il faut qu’il y ait équité » !

Par Ernest Effang

Après quelques mois durant lesquels seule la rumeur colportait des nouvelles de Michel Djotodia, voilà que le chef de la rébellion Seleka, arrivé le 24 mars 2013 par un coup de force renversant François Bozizé de son siège présidentiel à Bangui en République Centrafricaine, validé chef d’une transition allant du chaos au carnage, puis élégamment limogé pour incapacité, fait une sortie médiatique fracassante dans Le Matin Libre du 03.09.14 depuis le Bénin où il est réfugié.

Et quelles recommandations ne fait-il pas subitement pour que la paix revienne en Centrafrique ! A croire que sa réflexion à tête reposée a été fructueuse, il semble avoir désormais trouvé la recette pour ramener la paix en Centrafrique, recette dont il serait le seul ingrédient…

Un come-back au pouvoir ?

Tout comme la France avait apporté un semblant de solution en chassant la Seleka hors de Bangui en décembre 2013, de manière spectaculaire et sous les projecteurs, en déportant les populations musulmanes sur le territoire centrafricain et au-delà des frontières, confrontée à l’insatisfaction montante de la population centrafricaine jugeant le « libérateur » du moment incapable de faire cesser les violences, elle a trouvé un moyen de calmer les quelques esprits qui, ne sachant plus que faire pour sortir de l’enfer, pensaient qu’un départ de Michel Djotodia résoudrait les problèmes. Elle a organisé un autre semblant de solution, le priant de quitter le pouvoir sur la pointe des pieds et de se faire oublier un temps. Les mêmes stratèges qui ont soutenu et piloté la rébellion Seleka visant initialement à renverser Bozizé, ce président devenu dérangeant, ont donc été amenés à négocier avec l’incompétent chef de transition les conditions de sa « démission ».

Il va sans dire que celui qui était parvenu à la tête de la République  Centrafricaine ne se laisserait pas chasser sans obtenir quelque contrepartie. On se devait de lui faire des propositions alléchantes afin de le convaincre d’abandonner son poste pour éviter une nième révolte et laisser une chance à la paix de s’installer dans ce pays.

Que diable pouvait-on lui proposer ?

En dehors des indemnités financières qui ne devaient pas manquer, la carte à jouer pour une proposition qu’il ne saurait refuser était bien celle de l’immunité ! Michel Djotodia, qui, somme toute, en avait gros sur la conscience, avait certes déjà pris ses précautions et soin d’amender la loi locale par un décret ni vu ni connu abolissant la peine de mort, s’assurant ainsi, quel que soit le sort que lui réserverait potentiellement la Justice, d’être en mesure de conserver, sinon la liberté, au moins la vie, mais lui proposer de lui épargner des poursuites et un procès qui le verrait en toute probabilité non seulement humilié aux yeux des Centrafricains mais à ceux du monde entier, voilà bien l’argument fort qui permettrait de le convaincre d’abandonner son poste à la tête de l’État centrafricain.

Le revers du deal  

L’art de la vente et de la négociation consiste fondamentalement à présenter un produit de manière attractive à celui à qui l’on souhaite le vendre. Ainsi l’on expose au client potentiel les innombrables avantages que représente l’affaire pour lui. Bien évidemment, l’on se garde  d’exposer ceux que l’on en tire, mettant systématiquement toujours le client et ses bénéfices au premier plan. Il n’en reste pas moins qu’une affaire comme celle-ci n’était pas seulement un bon deal pour Michel Djotodia, mais qu’au contraire, en lui garantissant l’immunité et en lui épargnant un procès, la France se mettait elle-même à l’abri. En effet, le voir passer devant un tribunal pour qu’il réponde de ses crimes n’était pas sans conséquences. Comment imaginer que la France puisse sortir indemne d’un procès contre Michel Djotodia alors qu’elle a elle-même soutenu la Seleka afin de renverser François Bozizé ? Un procès Djotodia occasionnerait sans aucun doute le déballage sur la place publique des en-dessous d’une rébellion dévastatrice et apporterait l’ombre sur une France qui s’applique depuis des décennies, en dépit de son implication dans les désordres entretenus en Afrique, notamment en Afrique Centrale,  quelles que soient les circonstances, à bien rester dans la lumière du bienfaiteur. Non, la France voyait déjà son image ternie par des révélations autour du procès Gbagbo ; il n’était pas question d’en  rajouter ! Soit dit en passant, alors que la France accuse Laurent Gbagbo d’avoir été à l’origine et aux commandes de la crise post-électorale ayant causé la mort de milliers d’Ivoiriens, au point de le traîner, ainsi que Charles Ble-Goude devant la Cour Pénale Internationale, allant jusqu’à vouloir y voir comparaitre Simone Ggbagbo, tout porte à croire que la balance tricolore utilisée pour déterminer le poids des crimes semble être quelque peu déréglée. En tout cas, la perspective de la France de voir son implication dans les crimes commis en République Centrafricaine dévoilée au grand jour n’allait pas sans l’inquiéter.
Bonne vendeuse de rêve qu’elle est, et suivant la méthode basique de toute négociation au pied de la lettre, elle se sera évidemment bien gardée d’évoquer cet aspect-là au cours des discussions, et réussit donc à convaincre Michel Djotodia d’accepter le marché et de quitter son fauteuil de chef à la tête de la République Centrafricaine. Quant à lui, Michel Djotodia, qui a déjà a montré à suffisance de quoi il était capable, allant jusqu’à avouer au monde entier devant les caméras qu’il n’était pas Dieu (sapristi!), il n’a évidemment plus à prouver à qui que ce soit qu’il n’est pas en possession des capacités nécessaires pour réaliser qu’en dépit de tout ce qu’on pouvait bien lui reprocher, il était en fait celui des deux parties qui détenait la carte la plus forte dans la négociation. Quoiqu’il en soit, le deal est donc conclu, et il s’est sagement éclipsé…

Finies les vacances

Voici donc qu’après une période de repos au Bénin, Michel Djotodia refait surface, et comment ! Lui qui représente une minorité de la population centrafricaine – car ce serait manquer de respect aux centrafricains musulmans que de continuer à tous les assimiler à la rébellion Seleka, comme il est malheureusement arrivé – lui qui est à la tête d’une armée de rebelles dont le nombre était loin d’atteindre celui des victimes qu’ils ont engendrées, le voici dans un retour en force, comme un messie qui serait le seul à détenir le pouvoir d’apaiser les Centrafricains, retour en force avec SA feuille de route initiale, celle de partitionner le Centrafrique, le voici qui supplie le monde qu’on lui accorde une chance de réconcilier les Centrafricains !

Mais quelle insulte au peuple de la République Centrafricaine !

Comment cet individu, responsable de la mort de milliers d’hommes, femmes et enfants, responsable du déplacement forcé de près d’un million de Centrafricains, à l’origine de l’effondrement total du peu d’État et d’ordre qui régnaient en République Centrafricaine, responsable d’un traumatisme qu’il faudra des années au peuple centrafricain pour surmonter, comment peut-il oser réapparaître comme un libérateur ?

La phrase essentielle à retenir dans ses propos, c’est que « pour que la paix revienne il faut qu’il y ait équité » !

Car effectivement, il le FAUT !

Et Michel Djotodia a bien fait de le rappeler !

Comment peut-il piétiner de la sorte le peuple centrafricain qu’il a déjà entraîné au fond du gouffre, sans que ce peuple réagisse ?

Tous les observateurs de la guerre en Centrafrique, des défenseurs des droits de l’Homme jusqu’aux experts de l’Organisation des Nations Unies sont unanimes sur le fait que Justice doit être rendue pour assurer une paix durable. Le Conseil de l’ONU n’a pas manqué de rappeler aux autorités de transition de la République Centrafricaine que c’est à elles qu’il appartient de rétablir les institutions judiciaires, de poursuivre et juger les auteurs des crimes et exactions. A ce jour, elles feignent ne point l’avoir noté ou peinent à avancer dans cette tâche. Les États-Unis, pour faire ou non diversion en laissant entrevoir un brin de justice à l’horizon, sont les seuls à avoir pointé sur la responsabilité de Michel Djotodia en prononçant, eux, des sanctions contre lui. Mais ces dernières ne sauraient faire office de jugement, pas plus ne peuvent-elles balayer la responsabilité de Michel Djotodia dans les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en République Centrafricaine par la rébellion Seleka dont il portait l’étendard et la contre-rébellion Antibalaka, et encore moins suffisent-elles à rendre justice aux milliers de victimes et à la population de ce pays d’Afrique Centrale.

En effet, quelle que soit la situation catastrophique dans laquelle se trouve actuellement la République Centrafricaine, un État réduit au néant, contraint d’être porté financièrement par les bonnes volontés de la communauté internationale, il n’en reste pas moins que les partenaires avec lesquels Michel Djotodia a négocié son immunité ne sont pas ceux à qui il doit et devra rendre des comptes, et que ce n’est ni à la France, ni aux chefs des États d’Afrique Centrale, qu’il appartient de gracier Michel Djotodia, mais bien au peuple centrafricain que justice doit être rendue !

Michel Djotodia vient de le rappeler, pour que la paix revienne et dure en Centrafrique, il faut qu’il y ait équité.
Pour ce faire, ce n’est pas le peuple centrafricain meurtri par des mois d’exactions et de violences, occupé à se battre pour sa survie au quotidien au milieu des ruines de ce pays d’Afrique Centrale qui pourra trouver la force de se lever. En ce qui le concerne, s’il advenait, par quelque procédure françafro-démocratique, que Michel Djotodia parvienne à figurer sur la liste des candidats aux élections présidentielles prévues pour clore une période de transition dont la durée reste encore incertaine, on ne peut que  souhaiter que ce peuple ne soit pas pris d’amnésie comme à l’accoutumée au point de s’aventurer à baiser les pieds de son bourreau ou lui donner sa voix lors du scrutin pour quelques miettes éphémères à l’arrière gout amer.

Pour le reste, afin qu’il y ait équité, c’est aux intellectuels, aux élites centrafricaines, notamment celles qui, pour diverses raisons, résident à l’étranger, celles qui refont le monde en mangeant le manioc et pleurnichent régulièrement dans leurs salons sur le sort de leur pays, c’est à elles qu’il incombe coûte que coûte de dépasser tous les clivages, notamment ethniques et politiques, afin de se mobiliser efficacement et de poser solidairement des revendications à qui de droit pour demander justice. Ce sont elles, ces élites de la République Centrafricaine, qui portent la responsabilité de ne pas laisser tomber les crimes commis dans leur pays aux oubliettes et de réclamer ce que personne ne fera pour elles, que justice soit faite et que tous les responsables des innombrables crimes commis en Centrafrique, y compris Michel Djotodia,  soient jugés devant un tribunal impartial.

Ernest Effang

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