idée c/ idée de a.Lamessi

CENTRAFRIQUE: LA MEDIOCRITÉ N’EST PAS UNE FATALITÉ

Même si notre pays, la République centrafricaine, fait la une de tous les journaux du monde entier, ce n’est certes pas toujours pour une bonne raison. Avant-hier, c’était à cause de la bouffonnerie de ses dirigeants. Hier, c’était à cause des coups d’états anachroniques et autres mutineries à répétition. Aujourd’hui, c’est malheureusement à cause du tsunami Séléka qui a balayé, comme un vulgaire fétu de paille, le régime du Président François Bozize. C’est surtout à cause de la  guerre entre la Séléka et les Anti-balakas, depuis le 5 décembre 2013 dont les conséquences humaines, politiques, économiques et financières en sont incalculables. C’est peu dire.

Cette guerre des « va-nu-pieds » s’est transformée, par la seule volonté des hommes politiques mal inspirés, en une opposition fratricide entre des soi-disant chrétiens et musulmans, avec en prime le risque de la partition du pays. L’image de la République centrafricaine en est profondément disloquée. Il faudra beaucoup de temps, beaucoup d’énergie, de volonté et d’imagination pour remodeler cette image exécrable qui nous colle à la peau comme les tâches noires sur le dos de la panthère.

1- La République centrafricaine est un pays en agonie

Affirmer aujourd’hui que la République centrafricaine est un pays moribond, c’est admettre l’évidence. Depuis belle lurette elle a cessé d’être un pays viable. De coups d’état en coups d’état, de mutineries en mutineries, de rébellions armées en rébellions armées, ce pays qui était hier considéré comme un havre de paix et surnommé « la Suisse africaine », est passé sous la coupe réglée des seigneurs de guerre analphabètes, des milices et autres factions armées farfelues prétendument libérateurs de qui et de quoi on ne sait.

A la vérité, notre pays a méthodiquement et systématiquement ingéré, avec l’aide active de ses propres fils et filles, tous les ingrédients d’un auto-suicide. Le Résultat de la course, c’est que la République centrafricaine a littéralement sombré dans le chaos. Elle est, de l’avis de tous, dans un état cadavérique avancé. Elle est tenue à bout de bras par les autres pays de l’Afrique centrale et ne survit que grâce à la perfusion de la communauté internationale.

Le constat que nous pouvons faire, après plus de cinquante-quatre années d’indépendance, est pour le moins accablant : sept coups d’état et douze tentatives de coups d’état, sept constitutions, la huitième est en cours de rédaction et dix actes constitutionnels. Les statistiques parlent d’elles-mêmes : une crise militaire quasiment tous les trois ou quatre ans et une remise en cause systématique de la constitution tous les six ans. Des dizaines d’officiers supérieurs exécutés, des milliers de centrafricains assassinés, des viols et des pillages commis impunément par des bandits automatiquement amnistiés, la sécurité inexistante, l’unité nationale mise à mal.

Sur le plan économique et financier, les entreprises sont détruites, les recettes budgétaires ne rentrent plus dans les caisses de l’Etat, les productions agricoles en chute libre, les routes sont sinon coupées, du moins impraticables, les provisions ne sont plus acheminées.

Sur le plan social, la situation n’est guère réjouissante : Plus d’école depuis bientôt deux ans, les salaires ne sont pas payés, les structures sanitaires délabrées, l’espérance de vie est tombée à 48 ans, pas d’eau potable ni d’électricité, le taux d’analphabétisme bat tous les records, etc.

La République centrafricaine est devenue le pays le plus dangereux du monde en plus d’être le plus pauvre et le plus corrompu. Ce palmarès, dont nous ne sommes pas fiers et dont  nous aurions voulu nous passer, n’est pas le fruit du hasard. Il n’est pas non plus uniquement le reliquat de la velléité d’un impérialisme dominateur ou le résultat des manœuvres outrancières d’un pays voisin aussi puissant soit-il. A vouloir chercher, de façon compulsive, les causes de notre mal ailleurs, on en viendrait presque à dédouaner les véritables auteurs, c’est  à dire nous-mêmes. Les causes du mal centrafricain sont d’abord et avant tout endogènes avant d’être exogènes. Elles sont déjà présentes depuis l’indépendance et se sont aggravées de façon quasi automatique par la suite.

2- Les mêmes causes, dans les mêmes conditions, produisent les mêmes effets

L’histoire de notre pays est ponctuée, à intervalles réguliers, de soubresauts et des crises polymorphes qui ont fini non seulement par mettre à mal la cohésion sociale et l’unité nationale mais surtout à détruire tous les outils de production et aggraver la paupérisation de notre peuple. Ces crises sont polymorphes, avons-nous dit. Elles ont plusieurs visages : à la fois morale et spirituelle, elle est tout aussi bien politique et institutionnelle que sécuritaire, économique, financière et sociale. Elle est en définitive, comment ne pas l’admettre, une crise identitaire. N’avons-nous pas assisté en direct, devant toutes les télévisions du monde entier,  au spectacle ahurissant et non moins diabolique  d’un centrafricain qui dévore la chair d’un autre centrafricain ?

Dans une mise en scène douteuse, digne d’un film de série B,  et avec une délectation morbide, cette anthropophagie au grand jour a fini de nous convaincre de la bêtise dans laquelle nous nous vautrons complaisamment comme des cochons dans la boue. Au pays de la Séléka et des Anti-balakas, la vie humaine n’est pas sacrée. C’est devenu simple, comme bonjour, pour un centrafricain de décapiter un autre centrafricain, de le trucider de balles de kalachnikov ou de décimer une famille entière, sur une place mortuaire, avec des grenades qu’on  trouve plus facilement que du manioc  sur le marché Kokoro. Le centrafricain assassine un autre centrafricain en raison simplement de son appartenance  religieuse et ou ethnique. D’où la pertinence de la question : que veut dire être centrafricain aujourd’hui ?

A cause de son instabilité chronique, la République centrafricaine apparaît désormais comme le maillon faible de l’Afrique centrale, le ventre mou de l’Afrique. Certains observateurs en sont venus à parler de « la malédiction des dix ans » parce que les crises surviennent de façon cyclique et à intervalles réguliers. Pour éviter, cette situation il faut, concèdent-ils, limiter à cinq ans, le mandat du Président de la république, renouvelable une fois. C’est bien dit mais ça ne veut hélas rien dire.

Parler de la malédiction, c’est simplifier une réalité complexe. C’est sauter à pieds joints sur l’étiologie du mal qui nous ronge profondément à la manière du cancer. En tout cas, c’est rester à la surface et non pas aller au fond des choses. C’est prendre la conséquence pour la cause. Un problème non résolu demeure un problème. Il faut une solution appropriée pour le résoudre.

Les mêmes causes, dans les mêmes conditions, produisent les mêmes effets. Cette loi de causalité est postulée en physique et transposée en philosophie sous forme de la théorie du déterminisme par le physicien et mathématicien Laplace et par le philosophe Leibniz. Bien sûr, on dira que le déterminisme est aujourd’hui dépassé à la lumière de la théorie du chaos ou « l’effet papillon ». C’est probable. C’est même discutable mais là n’est pas le problème.

Si les mêmes causes, placées dans les mêmes conditions, produisent les mêmes effets, la question qui vient à l’esprit est celle de savoir, en ce qui concerne la crise multipolaire qui ronge la République centrafricaine, qu’elles en sont les véritables causes ?

A priori, ces causes sont multiples mais elles peuvent parfaitement être ramenées à quelques-unes des plus significatives : déficit de leadership, manque de volonté politique, démission des intellectuels, mauvaise gouvernance, corruptions massives, prédations et détournements des biens publics avec comme corollaire l’impunité, faiblesse de l’Etat avec des institutions immatures, un exécutif timoré sans vision, sans conviction, sans objectifs par conséquent sans planification,  paternalisme désuet, justice aux ordres, tribalisme, etc.

Cette situation par trop catastrophique ne saurait durer. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le chaos ambiant offre de nouvelles et belles opportunités pour aller de l’avant. Ce que les pères de l’indépendance ainsi que leurs successeurs n’ont jamais pu réussir à faire, c’est maintenant qu’il faut le mettre en œuvre : un Etat fort, des institutions stables, un peuple uni, le développement économique et le progrès social. Il n’y a pas meilleure occasion pour impulser une dynamique de changement en République centrafricaine que la période que nous connaissons.

3- Le changement en République centrafricaine : un impératif catégorique

Laissons Emmanuel Kant tranquille avec « La critique de la raison pure » mais empruntons-lui son idée sur le principe du Bien et du Mal. A partir de là, nous pouvons admettre que le changement en République centrafricaine est un impératif catégorique. Il faut changer ou disparaître. Il faut aller de l’avant ou sombrer définitivement et collectivement dans le chaos. Ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays n’est pas acceptable. Il ne peut être accepté. La République centrafricaine est un pays à terre et délabré mais c’est aussi un pays divisé et déboussolé qui peine à se relever. Totalement ruiné par la turpitude de ses propres enfants et la convoitise boulimique des prédateurs de tous poils, il est incapable de faire face à toutes les charges de l’Etat. Notre pays est discrédité au plan international. Il a totalement perdu confiance en lui-même au plan national.

Pourtant, le peuple centrafricain aspire plus que jamais à la paix et à la sécurité. Il aspire à la liberté et au bien-être. Il aspire à la culture et au progrès. Comme tous les peuples du monde, le peuple centrafricain aspire au bonheur. Ce sont là des besoins élémentaires que l’on retrouve chez tous nos compatriotes aussi bien dans tous les camps des déplacés que dans toutes les villes, tous les quartiers et villages.

Le moment est venu de changer de logiciel. Il nous faut changer de paradigme. La médiocrité n’est pas une fatalité. Nous sommes condamnés à nous surpasser pour une fois et à donner le meilleur de nous-mêmes. Le peuple centrafricain mérite mieux que nos querelles de chiffonniers. Le moment est venu de rompre avec la facilité et la prévarication. Le moment est venu de prendre enfin  et avec courage le difficile chemin du développement économique et du progrès social. Le moment est venu d’engager la République centrafricaine dans la voie de l’unité nationale, de la démocratie, de la bonne gouvernance. Le moment est venu, oui n’ayons pas peur du mot, de renouveler la classe politique. Ce nécessaire renouvellement de la classe politique est la respiration dont notre pays a besoin. C’est un problème de bon sens : la nature se renouvelle à chaque saison. Sachons tirer la leçon de ce que nous observons dans la nature.

Pour y arriver, il faut d’abord franchir la première étape : apaiser les tensions interconfessionnelles et interethniques, refonder une véritable armée républicaine, creuset de l’unité nationale, rétablir la paix et la sécurité.

En guise de conclusion

La tâche de reconstruction nationale est immense. La refondation de la République centrafricaine est une œuvre titanesque. C’est un challenge tellement exaltant qu’il nous oblige tous et toutes à retrousser les manches. Un tel enjeu n’autorise pas de se permettre le luxe de mettre quiconque de côté. Un tel enjeu, qui tient à la survie de tout un peuple, dépasse largement les périmètres étriqués de ces poussières de partis politiques aux microscopiques ambitions de fourmis, avec des leaders incolores et inodores. Bien au contraire, iI nécessite la mobilisation de toutes les énergies et de toutes les intelligences avec la seule stratégie qui vaille : l’unité nationale.

Nous avons les compétences, nous avons un pays riche avec d’immenses potentialités. Mais, Bon Dieu, que nous faut-il encore ?

Que Dieu bénisse la République centrafricaine !

Alain LAMESSI

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