Vos plumes

LES SOINS OU LA MORT !

« Allo ita (mon frère). Comment ça va ? Je voulais t’informer que je me suis fracturé la jambe hier soir. On m’a mis un plâtre. Je suis couché, immobilisé, à la maison. » C’est ainsi que mon cousin Kassim m’a appris la nouvelle de son infortune.
Kassim a été durant une certaine période, mon compagnon de tous les soirs. Nous étions voisins et passions nos soirées quasiment toujours ensemble. Il faut dire qu’il est d’agréable compagnie. De nature taquine, Kassim est ce qu’on peut considérer comme l’interlocuteur idéal. C’est un dispensateur de bonne humeur. Un animateur dans l’âme.
Taquin à l’extrême, il n’a pas son pareil pour dérider le visage le plus fermé qui puisse exister. Je suis convaincu que même la plus mélancolique des personnes dépressives qui soit, ne pourrait rester de marbre à l’écoute de ses bons mots. Il était d’ailleurs la coqueluche des jeunes du quartier qui appréciaient sa simplicité, son abord facile et sa contagieuse bonne humeur. Gare, toutefois, à celui ou à celle qui oserait lui manquer de respect !
Il sait aussi faire mal avec ses mots. Et, sans être très grand de taille, il n’en impose pas moins autant physiquement. Une force tranquille de la nature qui n’a pas froid aux yeux. C’est le genre de personne qu’il vaut mieux avoir comme ami.
A la suite de cet appel, je suis passé lui rendre visite un soir en rentrant du travail. Et ensuite, quand je n’allais pas lui rendre visite, j’effectuais un appel téléphonique afin de prendre de ses nouvelles. Quelques semaines plus tard, il m’appellera pour m’annoncer qu’on lui avait retiré son plâtre. Et qu’il avait commencé les séances de rééducation. Je décidais d’aller, un soir, lui rendre visite.
Nous étions assis, dans sa petite cour sous un arbre et conversions de tout et de rien. Kassim était un tantinet plus calme qu’à l’accoutumée. Il me dit ressentir, de temps à autres, des élancements dans sa jambe. Au fil de la conversation, il s’est mis à me raconter le chemin de croix qu’étaient ses séances de visites de contrôle à l’hôpital.
Kassim : « Il faut prier Dieu de ne jamais tomber malade au point d’être obligé de te rendre à l’hôpital. Surtout, si tu dois te faire consulter par un spécialiste ! Figure-toi que j’ai quitté la maison très tôt pour espérer être parmi les dix premiers à être reçu par le médecin. Il ne « consulte », en effet, qu’une fois par semaine ! »
Moi : « Une fois par semaine ?? Mais… Et les autres patients qui pourraient avoir besoin de ses soins ? Comment ils font ? Qu’est-ce qu’ils deviennent ? »
Kassim : « Tant pis pour les autres ou pour les cas graves nécessitant d’urgence une intervention chirurgicale. Ils peuvent mourir dans l’indifférence médicale ! Ce n’est pas son problème. »
Il ajoutera que parfois, ce médecin les laissait dans la salle d’attente et s’en allait prendre part à une réunion qui pouvait durer près de deux heures. Il ne revenait ensuite que pour consulter les dix premiers patients. Et encore… Il fallait prier pour qu’il soit de bonne humeur. Même dans ce cas précis, il n’y avait aucune certitude pour qu’il ausculte tous les dix heureux élus. Il pouvait décider de n’en recevoir qu’un, deux ou trois, avant de s’en aller vaquer à des occupations qu’il considérait comme étant plus lucratives.
Il me racontera par la suite une anecdote que je qualifierai d’ubuesque.
Alors qu’ils étaient dans la salle d’attente, croisant les doigts pour que sa majesté M. le médecin daigne les recevoir, ils virent débarquer un ancien patient. Il aurait été opéré des semaines plus tôt. Il se plaignait de passer des nuits blanches depuis sa sortie de l’hôpital. Il avait très mal. Il était convaincu qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas don son corps. Il fallait l’écouter geindre. Les traitements prescrits par le médecin ne le soulageaient pas
Kassim ajouta que ce qui l’a laissé pantois fut d’entendre ce patient émettre le souhait de repasser sur la table d’opération. Il était convaincu que la précédente intervention chirurgicale ne s’était pas aussi bien passée que ce qu’on voulait lui laisser entendre. Le chirurgien lui répondit, plein de candeur et de suffisance, que ce n’était pas nécessaire. Il l’exhortait à prendre son mal en patience. La douleur finirait par s’estomper.
Face à cette indifférence, le malade lui dira que s’il ne prenait pas ses responsabilités et ne le faisait pas repasser immédiatement sur le « billard », il lui faisait le serment qu’il n’allait plus jamais opérer de sa vie. Il lui jura qu’il ne verrait pas le lever du soleil du lendemain ! Nul besoin d’une arme quelconque. Il n’avait qu’à continuer à faire son petit malin. Un gentil sortilège, une incantation à dessein suffiront pour lui régler son compte. On se comprenait entre africains…
Le médecin eu un moment d’hésitation mais, mû par l’instinct de survie, il finit par programmer séance tenante l’opération chirurgicale exigée par son patient. Tout ceci pour découvrir que la plaie de la précédente opération s’était à nouveau ouverte en interne et était devenue purulente ! Encore quelques jours et c’en était fait du pauvre patient.
Mon cousin de conclure : « Tu te rends compte ? Il a fallu qu’il menace de mort pour avoir gain de cause et sauver sa vie !!! »

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