« ENTRE LE MONDE ET MOI – LETTRE À MON FILS » DE TA-NEHISI COATES – ÉCRIVAIN AFRO-AMERICAIN
UNE COLÈRE NOIRE
En 2015, paraissait un ouvrage d’une rare intensité émotionnelle, politique, et historique, écrit sous forme de lettre à son fils de 15 ans, par un homme, un jeune afro-américain d’une quarantaine d’année à l’époque, né le 30 septembre 1975 à Baltimore (Maryland), diplômé de l’université Howard de Washington, brillant intellectuel parmi les plus écoutés aux Etats-Unis – il a notamment plaidé devant le Congrès pour l’indemnisation des victimes de l’esclavage -, journaliste et écrivain, dont certaines des ses feuilles ont été consacrées à Kanye West, Trump, Obama etc.<
J’ai nommé ici : Monsieur TA-NEHISI COATES, auteur de « BETWEEN THE WORLD AND ME », le livre phénomène que toute l’Amérique s’arrachait, et qui, il y’a à peine 8 ans, fut classé N°1 des ventes ; salué par Barack Obama ; couronné par le National Book Award (le Goncourt américain) ; et encensé par l’immense écrivaine et Prix Nobel de littérature Toni Morrison, dont les mots de félicitation adressés au digne héritier et continuateur des œuvres de ses illustres devanciers, furent les suivants : « Je me suis demandé qui remplirait le vide intellectuel après la mort de James Baldwin. Sans aucun doute, c’est Ta-Nehisi ».
À elle seule, cette phrase vaut mille feux d’artifice et des milliers de volume sur l’histoire mouvementée des noirs d’Amérique, de l’esclavage aux luttes pour les droits civiques, en passant par la ségrégation et son pendant le racisme – conscient ou inconscient -, dont se servent « ceux qui se croient blancs », pour torturer, casser ou détruire « les corps noirs ».
Et c’est ici que se pose la problématique fondamentale au cœur du livre de TA-NEHISI COATES, ou disons plutôt, de la longue lettre qu’il écrit à son fils, et que lui-même a su si bien circonscrire en quelques lignes:
« Voilà ce qu’il faut que tu saches : en Amérique, la destruction du corps noir est une tradition ? Un héritage.
Je ne voudrais pas que tu te couches dans un rêve. Je voudrais que tu sois un citoyen de ce monde beau et terrible à la fois, un citoyen conscient. J’ai décidé de ne rien te cacher. »
« Agréable colère ! Digne ressentiment à ma douleur…!», aurait répliqué Don Diègue à Rodrigue. Mais ici les rôles de père et de fils sont inversés. Bref.
On peut bien le voir, TA-NEHISI COATES est un père, un citoyen, tout simplement un homme en colère. D’où cette question que beaucoup de lecteurs se sont posés sur la version française du l’ouvrage : pourquoi a-t-on traduit « BETWEEN THE WORLD AND ME », le titre original du livre en anglais, par « UNE COLÈRE NOIRE » ? Une expression qui de toute évidence sonne brut, et manque de poésie. Peut-on de la même manière prétendre qu’il existe une colère blanche, jaune, rouge ? Et pendant que nous y sommes, pourquoi pas d’une colère africaine, musulmane, juive…On voit où tout cela peut mener.
Tout compte fait, c’est sous son titre original « ENTRE LE MONDE ET MOI – Lettre à mon fils », que vient de paraître la nouvelle version française du livre de TA-NEHISI COATES, qui signe par ailleurs un avant- propos inédit, aussi dense que « Lettre à mon frère d’Amérique » d’Alain Mabanckou, préfaceà la précédente édition du « livre phénomène » qui désormais, est érigé en classique de la littérature américaine. Alors qu’au contraire, la tradition de violence et de destruction des corps noirs en Amérique peine à se démentir.
Au final, si « ENTRE LE MONDE ET MOI – Lettre à mon fils », est plein de colère, de douleur mais aussi de peur, l’auteur parvient malgré tout à dénicher au fond de lui-même, des mots qui souffrent, des mots qui résistent, des mots qui combattent, des mots qui chantent, des mots simples, mais des mots justes qui s’expriment pour dénoncer le racisme systémique aux États-Unis, des mots qui crient pour réveiller les consciences endormies, et interroger tous ces faits ainsi que ces situations injustes que depuis enfant, TA-NEHISI COATES n’a cessé de vivre personnellement ou d’observer tout autour de lui.
Et voici quelques extraits du livre qui en disent assez long :
“En Amérique, la blessure ne vient pas du fait de naître avec une peau plus foncée que la moyenne, des lèvres plus épaisses que la moyenne, un nez plus large que la moyenne, elle vient de tout ce qui se passe après.”
“La race naît du racisme, et non le contraire. La façon dont on nomme les gens n’a jamais été une affaire de généalogie ni de physiognomonie. Elle est plutôt une affaire de hiérarchie.”
“J’avais devant moi, sous mes yeux, le monde noir. Je me rendais compte que ce monde était bien plus qu’un négatif du monde de ceux qui se croient blancs. “L’Amérique blanche” est une sorte de syndicat, déployé pour protéger son pouvoir exclusif de domination et de contrôle sur nos corps. Parfois ce pouvoir est direct (lynchage), parfois il est insidieux (discrimination). Mais quelle que soit la manière dont il se présente, le pouvoir de domination et d’exclusion est au centre de la croyance dans le fait d’être blanc. Sans lui, “les Blancs” cesseraient d’exister, faute de raison d’exister.”
“Le pillage de la vie noire a été inscrit dans ce pays dès sa petite enfance et renforcé tout au long de son histoire. Ce pillage est ainsi devenu un trésor familial, une intelligence, un état de conscience, un réglage par défaut vers lequel, sans doute pour le restant de nos jours, nous devons invariablement revenir”
Parce qu’“il y a que vivre parmi les Rêveurs est un fardeau, et que c’est un fardeau supplémentaire que d’entendre ton pays t’expliquer que le Rêve est juste, noble, réel, et que tu es fou d’y voir de la corruption et d’y sentir l’odeur du souffre. Pour préserver leur innocence, ils invalident ta colère et ta peur jusqu’à ce que tu te mettes à aller et venir dans tous les sens, à fulminer contre toi-même – “Il n’y a que les Noirs qui…” -, à fulminer réellement contre ta propre humanité et à enrager contre le crime qui a eu lieu dans ton ghetto, parce que tu es impuissant devant l’immense crime historique qui a permis l’existence même des ghettos.”
“Nous aimerions pouvoir dire que de telles personnes ne peuvent pas exister, qu’il n’en existe pas, écrit Soljennitsyne. Pour faire le mal, un être humain doit croire tout d’abord que ce qu’il fait est bon, ou bien que c’est un acte mûrement réfléchi et conforme aux lois naturelles”. C’est le fondement du Rêve.
“ceci est ton pays, ton monde, ton corps, et tu dois trouver une manière, quelle qu’elle soit, d’y vivre, de vivre avec. Je te le dis : cette question – comment vivre avec un corps noir dans un pays perdu dans le Rêve – est la question de toute ma vie, et cette quête, je l’ai compris, trouve au bout du compte sa réponse en elle-même.”
GOD BLESS AMERICA
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