Grand format de J.Gréla

GRAND FORMAT : LA CARTE POSTALE DE BANGUI, VILLE DE PARI, « KODRO TI KITÉ NA KITÉ » (1)

Par Joseph GRELA

Une déambulation dans la ville de Bangui

Bangui, ce matin, se réveille sous les yeux de son ange-gardien désabusé, les collines de Bazoubangui. « Bangui ti acentrafricain, Bangui pèndèrè, Bangui, la grande coquette», chantait l’orchestre Tropical Fiesta. Bangui a vu défiler des pouvoirs politiques, des dictateurs, des « démocratiquement élus », « des libérateurs » arrivés par les armes à la tête de l’Etat. Elle les a, tous, abrités puis défiés et chassés mais ne les a jamais poursuivis en justice. Un seul a eu le courage de se présenter devant les juges de son pays.

Aucun de ces pouvoirs politiques n’a songé à la rendre belle, à l’embellir et la rendre attrayante comme le rappelle précédemment son sobriquet. Bangui est devenue une ville oubliée, une ville martyre avec des cicatrices indélébiles. Bangui a perdu son éclat, sa vivacité, son ambiance. Que dire de celles des provinces ! Le son de ses musiques suaves, envoûtants, distillé par ses bars dancing toute une partie de la nuit, a disparu. Ce son appartient désormais au passé nostalgique, la déception de ses badauds, de ses noctambules, de ses nouvelles générations. La nouvelle mélodie s’appelle détonations ; les détonations des armes lourdes et légères. Le tympan des banguissois s’est adapté aux rafales qui crépitent et le brutalisent, telles un radio-réveil mal réglé. Cette nouvelle mélodie meurtrière a rendu les habitants insensibles et moqueurs : « Si tu entends les rafales, ne te plains pas, c’est que tu es encore en vie », ironisent les banguissois. Bangui est une ville plongée dans la nostalgie.

Dans le quartier, jadis brûlant, animé, du Km5 « quartier du péché », selon l’orchestre Canon Star, les bar-dancing se sont tus, la lumière des salles de cinémas, éteinte « et le rideau sur l’écran est tombé » définitivement, chante Eddy Mitchell. Les « ambianceurs » ont déserté ces lieux où l’on rencontrait toutes sortes de personnages, des étudiants, de chômeurs, des fonctionnaires, des commerçants des vendeurs à la sauvette, des escrocs… C’était le poumon économique de Bangui. Mais depuis environ 3 ans, le « Km5 a toussé, Bangui a attrapé la grippe » selon un adage populaire. Bangui est morne, taciturne, moribonde, l’ombre d’elle-même.

Celui qui voulait faire de Bangui, une ville lumière, une ville coquette se tourne et se retourne dans sa demeure actuelle. Il claque sa langue, mord son index, secoue sa tête, lève les yeux au ciel, soupire, se rallonge éternellement et nerveusement impuissant.

Bangui, le royaume de Mame Randatou la Fée, défigurée

Tous les pouvoirs ont maltraité Bangui, l’ont salie, défigurée, chacun à sa manière comme les autres villes et région de Centrafrique. La transition de Mame Randatou la Fée, Samba Panza n’y pense guère. La prédation est présente et occulte la souffrance des banguissois. Le détournement qui signifie enrichissement illicite occupe sa pensée et celle de ses colistiers. Les murs illégaux des bâtisses en érection avec l’argent de pauvres compatriotes voilent les yeux de cette transition qui perdure et se renferme. La transition dépièce le pays, vivifie l’anarchie, l’insécurité, renforce l’impunité.

Bangui, dans tous ses quartiers, est souillée, polluée, insalubre. Bangui s’écroule sous les maladies. « Ici, tu tombes malade, tu es mort. Ta dépouille ne peut être conservée pour ta famille », assurent les banguissois devant leur bière.Dans cette chaleur humide et tropicale, les morgues emplies des cadavres souffrent de délestage chronique. D’autres ferment parce qu’elles ne sont pas frigorifiées. Jusqu’à la mort, le corps du banguissois continue de souffrir. Le pouvoir s’en moque.

Les fonctionnaires n’ont plus le droit de réclamé leur droit. La réponse paraphrasée de la présidente de transition « Dites-moi, dans quel pays au monde, une femme a ses menstruations deux fois dans le mois ? » Cela arrive parfois. La présidente de transition n’est pas dupe. Elle le sait. Mais une telle réponse présidentielle à ses compatriotes affamés, malades, émaciés qui réclament du pain est caractéristique d’un langage insolent, d’un pouvoir irrévérencieux, éloigné de son peuple ! Cette réponse rappelle celle de Bozizé aux enseignants en grève pour leurs salaires : « Les enseignants peuvent continuer la grève. Mes enfants ne sont pas à l’université ». Sans commentaires.

Bangui baigne sans cesse dans le sang de ses enfants, de ses travailleurs, de ses délinquants, de ses commerçants, de toutes ses mères « wali gala » qui ont, quotidiennement, combattu pour vivre. Méconnaissable, elle ressemble à un fantôme, ou plutôt à un vampire toujours à la recherche du sang à cause de ces anti-balles AK, les enfants de Mame Randatou la Fée, transformés en gangs citadins conventionnels confondus aux populations ; à cause des inimitiés, des règlements de comptes ; à cause de ces sélékas, amis de Mame Randatou la Fée, qui sèment l’insécurité et la terreur dans les lieux publics et privés : les gargotes, les bars, les stations-services, là où la vie tente de renaître, … Bangui, comme ces autres régions de Centrafrique, est emprisonnée, embrigadée, ensorcelée par les ennemis de la paix, hostiles à l’ordre et l’autorité.

La délinquance sévit impunément. La peur et le désespoir s’installent durablement. L’avenir s’éloigne et disparait à l’horizon. Bangui, tous les jours, se tortille de douleurs devant les yeux de ses représentants de la transition préoccupée par leurs profits, leur « ventre ».

Bangui est infectée, intoxiquée par la prolifération d’armes de tout calibre. Au détour de la de la corniche, le quartier Ngaragba se découvre avec sa triste et célèbre prison gruyère, passoire. Ses prisonniers détiennent des armes pour se défendre. Contre qui et pourquoi ? Les gardes pénitenciers, moins armés, ne contredisent point les prisonniers. L’administration pénitentiaire reste impuissante. Dans cette situation, qui garde qui ? Un monde à l’envers. «C’est l’envers du décor », selon le langage des cinéastes.

Les marchés de Bangui sont devenus de véritables poubelles. La puanteur des eaux usées décapent le nez. La voirie ou les services municipaux de la capitale en déliquescence n’existent pas malgré la collecte des taxes municipales. Des immondices s’entassent ça et là qui aspergent les yeux des odeurs pestilentielles auxquelles les Banguissois se sont acclimatés. Il faut sauter, se frayer un passage entre les détritus de tout genre pour suivre son chemin. Les étals des vendeurs offrent un spectacle rebutant et attendrissant. Les fruits et légumes sont disposés sur de vieilles bâches en plastique défraichies, sur de sacs en toile tissée surannés, poussiéreux, à même le sol sur les trottoirs. Ils n’incitent guère à acheter ou à consommer, mais… c’est la nouvelle « Bangui, ville de pari » dans toute sa splendeur.

Les pages de documents administratifs, des livres, des mémoires de recherches des étudiants ont disparu des bibliothèques et des archives. Les documents terminent leurs courses sempiternelles non pas dans le cerveau des chercheurs mais entre les mains des vendeurs de cacahuètes, des vendeurs des méchouis en guise d’emballages.

La transition de Mame Randatou la Fée est déficitaire de confiance.

Aussi dans les rues et ruelles de quartiers de Bangui, des flaques d’eaux, véritables puits puantes, nids d’insectes, tanières de grenouilles garnissent et tapissent le paysage. Il en va de mêmes pour les herbes sauvages envahissantes un peu partout, transformées en demeures des moustiques. Ces herbes récalcitrantes s’invitent dans les espaces incultes, dans les égouts, les « caniveaux ». Des feuilles mortes, de vieux cartons usés craquent sous les pieds des passants. De la boue colle aux chaussures, en cas de pluie diluvienne. Des eaux boueuses éclaboussent les piétons au passage des minibus, taxis et autres véhicules habitués à slalomer entre les crevasses surnommées « dou ti kissoro ». « Le code de rousseau » est mis à mal ou plutôt inconnu dans cette jungle de la circulation urbaine banguissoise. Ce qui représente un danger permanent pour les piétons qui discutent la chaussée avec les deux, trois, quatre roues… Partout de la gadoue, sinon de la poussière. Les trottoirs n’ont pas de nom, ils n’existent pas. Le peu de kilomètre de goudron jamais entretenu s’est détérioré au vu et au su de ces pouvoirs inconséquents. C’est le cas de l’avenue de l’indépendance, fierté des Banguissois du nord, qui se dégrade inéluctablement tous les jours.

Le camp de l’aéroport Bangui-Mpoko, le plus grand et le plus connu surnommé « hôtel ledger » à ciel ouvert, où vivent les déplacés, familles, enfants, femmes et hommes, devient de plus en plus un taudis, un baraquement. Ce qui rappelle de vieux souvenirs sans nom. Ce camp est gangrené. De petits profiteurs font régner leur loi, propagent et amplifient l’insécurité : Une trahison, et la famille est menacée. L’auteur soupçonné est passé à tabac. La quiétude s’évapore et cède le pas à l’inquiétude puis à la peur. Le couple vulnérable mère-enfant en est la première victime.

Les pouvoirs n’ont jamais honte de circuler avec leurs homologues étrangers sur ces routes urbaines. Mame Randatou la Fée Catherine Samba Panza, non plus. Dans cette pétaudière banguissoise, elle ne se contente que de son pouvoir de transition ; le polir, le rallonger, le câliner, le protéger souvent avec hardiesse et impétuosité.

L’insalubrité de la ville a gagné le cœur de la population banguissoise. La jalousie est galopante. La magouille aussi. Bangui héberge l’escroquerie et l’entretient. Bangui s’empêtre dans la voie sans issue de la médisance.L’égoïsme devient une arme pour survivre. Une nouvelle inimitié est née : le regard des uns sur les autres n’est plus fraternel, il est teinté de mal-être et de la hargne. Bangui, ville chère aux centrafricains, résonne désormais comme un tonneau vide à la recherche de la sécurité, de la dignité et du nectar : la paix.

Devant l’orgie des prédateurs, Bangui est aigrie et inconsolable. Les lumières sont éteintes dans les cœurs. Même celui qui voulait faire de Bangui, une ville lumière, une ville coquette se tourne et se retourne dans sa demeure actuelle ; claque sa langue, se mord le doigt, secoue la tête, lève les yeux au ciel. Puisqu’il vit dans un pays de non-retour, il se résigne ferme les yeux et se rallonge impuissamment.

Des véhicules calcinés, en panne ou abandonnés transforment les avenues en cimetières. Personne n’est finalement responsable de rien. Le politique non plus. Il a déserté. Mais l’on sait que, par lui, le danger et le chaos sont arrivés à cause sa gestion calamiteuse de la chose publique et par son égoïsme. Ces grandes avenues ne vivent plus. Leurs lampadaires rouillés, tordus, défraichis soit, à cause de l’âge, soit, à cause des balles perdues ou des actes de vandalisme, ont perdu leur ampoule et leur éclat. Tout cela témoigne du délabrement de cette ville mythique, sanctifiée par tout centrafricain. Cette ville somnole dans sa souffrance et dans l’indifférence. Elle a trouvé une nouvelle occupation : le braquage, le kidnapping. Les groupes armés, les exploiteurs, les politiques, la transition ne lui laissent pas le temps de vivre ou plutôt de revivre.

Bangui a quitté son costume de douceur et de « l’ambianceur ». Mais Bangui refuse de rendre son dernier souffle.

Joseph GRÉLA
L’élève du cours moyen
De l’école indigène de brousse de Bakouté

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