Analyses et réflexions

GJK ÉDITO : QUAND DES GANGS TERRITORIAUX S’ENRACINENT ET RUSENT AVEC UN POUVOIR QUI S’USE ET SE DISCRÉDITE

Par GJK

Alors que l’on n’entend presque plus des groupes rebelles revendiquer la sécession ou parler de partition du pays, des gangs territoriaux se sont entretemps créés en RCA, qui ont érigé des frontières internes indépassables et, sans être inquiétés, poursuivent « paisiblement », leur entreprise d’élargissement des zones occupées, qu’ils contrôlent et soumettent à leurs lois. L’état des lieux, ne laisse aucun doute sur une situation qui risque de s’éterniser et même de se normaliser.

Et voici les questions qui me brûlent les lèvres :

  1. Dans quel but, les différentes factions rebelles qui se sont retrouvées autrefois, pour constituer la nébuleuse Séléka, après avoir perdu le pouvoir et échoué à faire admettre l’idée de partition de la RCA, ont-elle, d’une part, décidé d’abandonner leurs revendications sécessionnistes et reconnaître « la Centrafrique une et indivisible », alors que, d’autre part, ils continuent de s’activer à implanter des gangs territoriaux partout?
  2. Face à ces gangs territoriaux ainsi constitués, les Centrafricains, d’une part, devraient-ils passivement attendre l’issue des négociations peu crédibles et toujours recommencées ? Et d’autre part, tels des fidèles catholiques récitant inlassablement et religieusement pendant la messe le « credo in unum deo – je crois en un seul Dieu », les centrafricains devraient- ils éternellement, professer leur foi et sans cesse proclamer, ce qui semble être devenu leur nouvelle devise à savoir, « La RCA est une et indivisible » assorti de temps en temps d’un petit « et elle le restera » ?

Quel aveu d’impuissance !

Mais tout d’abord, qu’entendons- nous ici par gangs territoriaux ?

Il s’agit en effet, de ces groupes armés organisés, souvent hiérarchisés, parfois pyramidales, qui aujourd’hui en RCA, se rendent maîtres de territoires qu’ils contrôlent au moyen de la violence exercée sur des populations. Rejetant l’autorité de l’État, ce qui n’exclut pas une présence nominale de fonctionnaires et autres agents publics exerçant quelques activités de pure forme, leur objectif principal demeure bien établi : mener toutes sortes d’opérations criminelles interdites par le droit national, tel que l’exploitation illégale des mines, l’imposition et la collecte de taxes et autres impôts etc. Enfin, il faut avouer que si l’émergence des gangs territoriaux est le produit d’un état centrafricain failli, leur pérennité me semble-t-il, est la conséquence et même une preuve évidente des complicités existantes, ainsi que des liens tissés à tous les niveaux, entre eux, et certains milieux nationaux et internationaux. Quant au patronage de personnalités du monde politique – dont on ne peut nier en plus, que certaines sont bien connues -, il relève du secret de polichinelle.

Enfin, pour ne citer qu’un exemple, nous prendrons le cas à Bangui du KM5, à la fois l’un des plus grands quartiers populaires de la capitale et surtout, le plus grand centre de toutes les activités commerciales licites et régulières, mais aussi frauduleuses et criminelles. Aujourd’hui, le KM5 et c’est connu, dans sa plus grande partie, est devenu une zone de non-droit, tenue par des gangs territoriaux dont les rivalités internes ont éclaté tout dernièrement au grand jour, entraînant des dizaines d’assassinats dont ceux de quelques uns de leurs principaux chefs les plus redoutés et aussi les plus recherchés. Curieusement, tout semble se passer naturellement, au nez et à la barbe des autorités de l’État, ainsi que de la MINUSCA, cette force internationale de l’ONU en Centrafrique qui inspire aujourd’hui plus de défiance que de confiance de la part  des Centrafricains. Dans tous les cas, il est difficile de croire à l’innocence et à l’ignorance totale de la situation, du côté des officiels, autrement dit, d’affirmer et de soutenir toute absence de complicité et soutien au plus haut niveau. À moins d’être un enfant de chœur exemplaire, ou d’avoir la foi aveugle du charbonnier.

Cela étant, il devient clair, que les rebelles de la Séléka, dès l’instant qu’ils avaient perdu le pouvoir et échoué à faire accepter à la communauté internationale, la très grossière idée d’une partition pure et simple de la RCA, n’ont pas entendu pour autant, perdre en même temps, le bénéfice de leur entreprise criminelle de siphonnage organisé de toutes les richesses des territoires conquis par la force des armes. Ces anciens rebelles, ont en fait opté pour une stratégie d’occupation et d’exploitation illicite des ressources naturelles de la RCA. Et cette stratégie, qu’on peut aisément disséquer, repose notamment,  sur les principaux piliers que voici :

  • Le renforcement de toutes les positions des différents groupes armés sur le terrain, et la poursuite de l’expansion. Ainsi, en cas de négociation, les gangs territoriaux, pourront faire valoir et opposer aux autorités centrafricaines, leurs arguments de force, dans le but à la fois, de peser et de réussir à s’imposer comme les véritables maîtres du jeu ;
  • Le rejet catégorique de toute idée, ou tout discours les invitant à se transformer en une ou plusieurs organisations politiques ordinaires et classiques. Pour eux, une telle mutation, les obligerait à s’inscrire dans la légalité républicaine, c’est-à-dire, à accepter en fin de compte, de se soumettre sans restriction au droit positif national, et partant, de s’engager à défendre toutes les valeurs fondamentales de la RCA. Il va de soi, qu’au change, on l’imagine, les gangs perdraient des avantages et autres privilèges auxquels ils ont pris goût, et tiennent désormais. Sans oublier que certains de ces anciens rebelles devenus des chefs de gangs, seraient bien contraints, de retrouver malgré eux, le chemin des pays d’où ils sont arrivés.
  • L’abandon total de toute revendication à caractère sécessionniste, ainsi que l’acceptation et la proclamation du principe unique et « universel » exigé par les autorités de l’État : « La RCA est une et indivisible et elle le restera ». Ce faisant, les gangs territoriaux, espèrent et arrivent à se racheter une certaine virginité et respectabilité. Mieux, ils réussissent de cette façon, à faire oublier que les gangs territoriaux restent des organisations criminelles, plus est, majoritairement composées de non-Centrafricains, et d’individus en rupture de ban avec leurs propres pays d’origine. Pour le dire autrement : qui êtes-vous pour combattre celui qui se dit Centrafricain – sachant que vous ne disposez pas des moyens de prouver son statut d’étranger -, et qui de surcroît, proclame urbi et orbi, ensemble et en même temps que vous – même sans trop y croire – , que « La RCA est une et indivisible et elle le restera ! » ;
  • L’introduction volontaire d’éléments de langage tronqués, et la création d’une situation de confusion totale, entraînant des difficultés quant à la détermination des activités et à la définition même des groupes Séléka transformés en gangs territoriaux. Et bizarrement, cet état de fait très « convenable » à ces groupes qui en jouissent et en profitent largement, semble priver pratiquement les autorités de l’État, des moyens de présenter exactement le visage de la crise centrafricaine et de maîtriser « l’identité » de ceux qui sont à la base ;  car il ne s’agit plus, ni de rebelles revendiquant leur volonté de prendre le pouvoir, ni de partis politiques régulièrement formés, ni de groupe d’opposition politique armée etc. Ils sont tout et rien à la fois ;
  • Le rejet catégorique et la mise en difficulté par tous les moyens – en invoquant diverses raisons -, de toutes les étapes du fonctionnement normal du processus de DDR. D’ailleurs, est-il encore besoin d’argumenter ou d’ergoter sur ce point quand les réalités et les faits parlent d’eux-mêmes? Tout sauf le DDR.

Alors, cette question à nouveau : qu’est-ce donc au fond ces groupes et factions armées qui occupent des territoires entiers  de la RCA et, quelles sont leur revendications?
Et je réponds : il s’agit ni plus ni moins, que des ramassis de criminels désormais constitués en gangs territoriaux. Pour en savoir plus, il suffit de revenir à notre essai de définition et de présentation du début de cette réflexion.

Au demeurant, n’avez-vous pas remarqué que la RCA donne aujourd’hui et de plus en plus, l’impression, sinon de partir en lambeaux sous nos yeux, du moins, de voguer au gré des choix politiques dont la crédibilité semble s’évaporer à l’œil nu, au fur et à mesure que le temps file à toute vitesse, et que les négociations et toutes sortes d’initiatives nationales et internationales – en particulier le DDR -, peinent à se concrétiser sur le terrain ?

Étonnamment, depuis le début de la transition jusqu’à ce jour, plus de trois années se sont écoulées. Et la réplique de toutes les autorités dirigeantes de la RCA, face à ceux qui hier étaient des rebelles de la Séléka, et aujourd’hui des gangs territoriaux, cette réplique dis-je, se résume et tourne autour de la même et unique incantation : « La RCA est une et indivisible et elle le restera »

Tenez !

Si l’on peut se priver ici, de rappeler inutilement les mille et un galimatias des dirigeants de la défunte transition centrafricaine, relatifs à « la RCA est une et indivisible et elle le restera », il nous faut retenir et citer cependant les autorités actuellement au  pouvoir :

Ainsi, dans une interview donnée à l’hebdomadaire Jeune Afrique en décembre 2015, Abdou Karim Meckassoua, l’actuel Président de l’Assemblée Nationale, alors candidat à la présidentielle, répondait de manière très catégorique à l’une des interrogations du journaliste : « Pas question de partition, la Centrafrique est une et indivisible ». Et plus loin, il ajoutait : « Noureddine Adam est un criminel, sa place est devant les institutions judiciaires »

Lors de son discours à l’occasion de la fête du 13 Août 2016 dernier, Faustin Archange Touadera le Chef de l’Etat, déclarait lui-même: « La République Centrafricaine étant une et indivisible, nous devons toujours chercher un terrain d’entente en montrant notre disponibilité à la concordance, en cherchant le compromis car en démocratie directe le compromis est un signe de force et non de faiblesse. »

Mieux, c’est le Président de la République en personne, qui reçoit et discute avec les chefs des gangs. Il aurait pu se garder d’une telle sortie, lui qui incarne l’ordre, l’autorité, l’ultime recours et dont la décision devrait en principe s’imposer à tous sans appel

Mais qu’à cela ne tienne : jusqu’à quand, les Centrafricains resteront-ils là, à ressasser ce discours désuet de l’indivisibilité de la RCA, et à brandir la négociation, cet instrument d’impuissance face à des individus qui n’ont rien à négocier

Espérons simplement que les autorités arriveront bientôt à s’engager dans une réflexion stratégique complètement différente, susceptible d’entraîner rapidement un changement visible de la donne actuelle sur le terrain. Il faut en fait, recourir à des arguments efficaces plutôt destinés à faire plier les gangs territoriaux qui ne comprennent ni le langage de la négociation paisible, moins encore celui du DDR proposé.

Du coup, quand des gangs territoriaux s’enracinent et rusent, cest le pouvoir qui s’use et se discrédite !

GJK-Guy José KOSSA
L’Élève Certifié du Village Guitilitimö.

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