À vous la parole

EXTRAITS DE SOUVENIRS DE L’ÉCOLE INDIGÈNE : UNE JOURNÉE DE CLASSE (2E PARTIE)

Vous avez lu « Le départ pour l’école », il vous a plu.
Vous avez lu «Une journée de classe », 1ère partie, il vous a plu.
Lisez la suite : « Une journée de classe » 2ère partie »

Dans la cour de la récréation, nous organisâmes des jeux de football, de course « à saute-mouton », pour évacuer et rompre momentanément avec les stress. Les filles, faisant bandes à part, se livrèrent  aux jeux d’écolières : la chandelle, gros cailloux, chansons, les devinettes. Ceux qui n’eussent pas révisé leur leçon trouvèrent l’occasion de se retirer dans un coin de la concession de l’école ou suivirent les sentiers des broussailles pour remplir leurs obligations scolaires : apprendre ou réviser tant bien que mal les leçons qui allèrent suivre la récréation. En ce temps-là, il suffisait de connaître sa leçon par cœur pour éviter les crochets du « serpent noir ».

Par ailleurs, l’écolier, dans la cour de l’école, n’eut pas le droit de parler le sango ou son dialecte. Sinon, en guise de punition, il porta autour du cou un carcan en os, hué, raillé par les camarades. Ce collier, il l’arbora jusqu’à la sortie de la classe ou ne put s’en défaire que s’il trouva un condisciple accusé, à son tour.

Après la récréation, vers 10h30, le maître imposa alors à la classe, la correction de la dictée de contrôle de la veille, « Sur le fleuve Congo » de Barot-Forlière tiré de  Le Temps, 1925) et les réponses aux questions. Cette dictée fut une vallée désertique mais complexe, jonchée de règles grammaticales à franchir, des concordances de temps à expliquer, des synonymes, des suffixes et des préfixes… Mais que diable ! Pourquoi tant d’accords ? Pourquoi tant de mots difficiles ? L’auteur ne put-il pas écrire que de phrases simples, aisées ? Pourquoi il ne fit pas usage du présent de l’indicatif ? Qu’alla-t-il chercher dans les mots dans les mots difficiles. Pour maître Apollo, la règle fut simple et décrétée. Une faute d’orthographe valut 2 points en moins sur 20. Une faute de grammaire équivalut à 4 points en moins. Le calcul fut vite ainsi fait. Cinq fautes grammaticales et ton compteur afficha 00/20 sur le cahier des devoirs. Tel nombre de fautes fut égal à tel de nombre coup des étrivières. Aussi, pour chaque faute commise, le condisciple incriminé dut réciter la règle de grammaire correspondante apprise par cœur, sinon, c’est le « dressage ». Pour cela, monsieur Apollo eut une méthode mnémotechnique. Il nous fit chanter les règles pour mieux les retenir et les mettre en pratique.

Il fut ainsi les techniques d’apprentissage par « le dressage ». Furent- elles en adéquation avec la pédagogie de l’enfant développée et mise en lumière par Piaget ? Furent-elles adaptées à l’enfant africain que j’étais ? Fut-ce la peur du  serpent noir ou des « otonos » qui me firent appendre mes leçons ? Nous nourrîmes tous les jours l’espoir de voir arriver l’inspecteur dans notre classe pour être mieux traités. Mais…

Il arriva souvent que monsieur Apollo nous prodiguât des conseils pour la vie : « Je vous dresse ‘entendez, je vous frappe’ pour que vous soyez droits, pour que vous appreniez vos leçons et que vous soyez, un jour, de grands responsables. Vous deviendrez des maîtres comme moi, des médecins, des ministres, des ingénieurs… pour développer la République Centrafricaine ».

Il profita également de cette occasion, pour nous apprendre une poésie ! Non ! Une récitation de Victor HUGO, « Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne » :

Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne.
Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne
Ne sont jamais allés à l’école une fois,

Et ne savent pas lire, et signent d’une croix…
L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme…

Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut
Planer là-haut où l’âme en liberté se meut.
L’école est sanctuaire autant que la chapelle.
L’alphabet que l’enfant avec son doigt épelle
Contient sous chaque lettre une vertu ; le cœur
S’éclaire doucement à cette humble lueur.
Donc au petit enfant donnez le petit livre.
L’intelligence veut être ouverte ici-bas ;

Le germe a droit d’éclore ; et qui ne pense pas
Ne vit pas…

Songeons-y bien, l’école en or change le cuivre,
Tandis que l’ignorance en plomb transforme l’or.

Et la chanson qu’il eut, lui-même, composée, pour nous, en sango « A molengué, RCA a yéké nzoni mingui »

Amolengué, RCA a yéké nzoni mingui
Ababa kwé na amama a inga pèpè
Kodro ti é angba gui na ya ti ngonda
Fadé so, lè ti azo  kwè  a ga gangou
I sala kwa tongana ta zo
Kété kété fadé i ga zo
I kéyé ti a bàbà kwé
I tamboula gangou na legué ti mbéti
I gonda nzoni monsieur ti  i so
Aita, amolengué, i tamboula gangou
Tonga na i  inga mbéti nzoni
Bè ti i a yéké so mbeni pèpè
Mbéni la fadé i tènè :

« Nyè a sala mbi, si mbi londo na l’école sengué
Aita ti mbi a ga zo kwè
Mbi yé ti gwé, mbi yé ti gwé na l’école »

La traduction de l’élève :

Mes enfants, la RCA est un beau pays
Nos parents ne s’en rendent pas compte
Notre pays est encore sous-développé
Maintenant les yeux du peuple sont ouverts
Travaillez obstinément
Petit à petit vous évoluerez
Soyez humbles
Marchez vers l’instruction
Appréciez votre maître
Frères, mes enfants, marchez
L’instruction acquise,
Vous ne serez pas en colère
Sinon, un jour vous direz :
« Pourquoi j’ai quitté l’école ?
Mes condisciples ont évolué
Maintenant, je vais aller à l’école »

Pendant que monsieur Apollo nous enseigna et expliqua les strophes de la récitation et de sa chanson, la cloche de l’école sonna 12h30 et annonça la fin de la classe. « Ramassez les cahiers des devoirs », lança le maître d’une voix teintée de l’ordre, d’un ton de commandement. Les élèves de service s’activèrent, ramassèrent les cahiers, rangèrent le bureau du maître et le reste des étrivières et effacèrent le tableau avant de se joindre à nous.

Nous sortîmes de la classe dans un tohu-bohu effervescent et inqualifiable. Nous fûmes enfin libérés de nos angoisses, de nos anxiétés. Ce fut la fin du calvaire. Nous pûmes délier nos langues, nous bombarder les uns, les autres des quolibets. Vite, en rang devant la classe, des plus petits aux plus grands « les goyos ». « Silence », ordonna-t-il de sa voix grave masculine et autoritaire pour la dernière fois. Autant ! Fixe ! Autant ! Fixe ! Repos ! Gardavou ! Repos ! Gardavou ! Demi-tour droite ! » Nous exécutâmes mouvementés. « En avant ! Marche ! Un ! Deux ! Un deux ! » Il entonna une chanson « Hé ! Garçon, prends la barre ! ». Nous la reprîmes tous en chœur et dans la joie de rejoindre nos familles.

A la sortie de la cour de l’école : « Attentioooon ! Halte !» Nous nous arrêtâmes net. « Rompez les rang », cria-t-il. Ensemble, nous clamâmes : « Au revoir monsieur ! » Dès lors nos cris tonitruants entremêlés aux autres s’intensifièrent. Nous fûmes déjà dans la rue. Nous gambadâmes, sautâmes, courûmes, cherchâmes nos camarades pour reprendre le chemin contraire, celui de nos villages respectifs, dans la même ambiance que celle de ce matin.

Demain sera un autre jour avec les leçons, les corrections des devoirs et toujours les chansons et les récitations pour développer notre esprit, notre  future âme intellectuelle.

« L’école est sanctuaire autant que la chapelle…
Donc au petit enfant donnez le petit livre…
L’intelligence veut être ouverte ici-bas »

Pensons aux générations sacrifiées, à la jeunesse désœuvrée en Centrafrique, enrôlées maintenant dans des violences aveugles.

A suivre

Joseph GRÉLA
L’élève du cours moyen
De l’école indigène de brousse de Bakouté

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