Libre opinion

Le retour de la paix et de la sécurité en Centrafrique, une équation à plusieurs inconnues

Par Mario AZOU PASSONDA

La Centrafrique est un pays qui, depuis son indépendance en 1960, n’a connu que des cycles de coups d’Etat organisés par la France, jusqu’au dernier coup d’Etat du 24 mars 2013 contre le régime du président François BOZIZE (1). Les hostilités proprement dites se sont déclenchées en décembre 2012 dans les fiefs de la SELEKA composée en une écrasante majorité des Centrafricains de confession musulmane. Depuis lors, les SELEKA, lourdement armés, ont commencé à conquérir les différentes villes des provinces jusque dans la capitale Bangui, en passant par le centre et l’Est du pays. Les SELEKA se sont pris violemment aux chrétiens, semant le chaos et la désolation sur leur passage. Les SELEKA ont orchestré des assassinats de grande envergure et employé les pillages des biens publics et privés comme armes de guerre avec une dose à suffisance des viols organisés ainsi que d’incendies de maisons.

Ces exactions de la SELEKA ont engendré le mouvement ANTIBALAKA composé des personnes qui ont tout perdu à cause des éléments de la SELEKA qui n’ont ni idéologie ni programme concret de la gestion de la res publica. Après la prise du pouvoir par la SELEKA, les exactions se sont intensifiées, devenant le lot quotidien des Centrafricains sur presque toute l’étendue du territoire national y compris dans Bangui, la capitale. Le mouvement ANTIBALAKA, né en réaction aux exactions de la SELEKA, a également gagné plusieurs villes jusque dans la capitale entraînant à son tour, non seulement des assassinats des sujets musulmans ainsi que la destruction de leurs biens, mais aussi l’abandon du pouvoir par Michel Djotodja et la SELEKA, suite au déclenchement de l’opération SANGARIS ainsi que la pression de la Communauté internationale. S’en est suivie une période transitoire de deux ans avec la présidente Catherine SAMBA PANZA ayant abouti aux élections groupées de décembre 2015 qui a porté au pouvoir le Mathématicien de l’Université de Bangui, le professeur Faustin Archange TOUADERA.

Ces élections qualifiées d’élections de dernière chance par la France qui ne cherchait qu’à planifier la fin de l’opération Sangaris étaient apparues comme une baguette magique française susceptible de ramener la paix et la sécurité en Centrafrique. Plusieurs mois aujourd’hui, la paix apparaît comme une utopie, tant le conflit centrafricain a acquiert une portée internationale d’où la qualification en Droit international de « Conflit interne internationalisé « .

Depuis la veille des élections, l’ennemi numéro un de la SELEKA qui se trouve être le mouvement ANTIBALAKA n’existe plus, les ANTIBALAKA ayant décidé de s’intégrer dans le processus DDRR (Désarmement Démobilisation Réinsertion et Rapatriement) et dès lors participant massivement au programme pré-DDRR. Les SELEKA de leur côté ont choisi le langage de la force, car décidant de reprendre les hostilités bien que le mandat de la MINUSCA soit «renforcé» et que le pays demeure encore sous un embargo total sur les armes.

Tout ceci, non seulement fait craindre le pire, mais aussi fait comprendre que la paix est un vain mot au pays de BOKASSA d’où la nécessité de savoir : en quoi le retour de la paix et de la sécurité en Centrafrique constitue-t-il une équation à plusieurs inconnues? Les lignes qui suivent éclaireront nos lanternes sur la raison de la persistance du conflit centrafricain, tel un bourbier ou une «boîte de Pandore» faisant même fuir l’opération Sangaris déclenchée par la France en décembre 2013 avec pour objectif de mettre un terme au conflit.

1- L’absence de concessions de la part de la SELEKA

La SELEKA est un mouvement qui avait déjà été dissoute par le président Michel Djotodja fin 2013 alors au pouvoir. Mais, les récentes convergences des ex-Seleka dans les villes du nord où la SELEKA avait pris naissance et la réoccupation des administrations ainsi que la volonté d’en découdre avec les autorités légitimes font  montre de la renaissance de la SELEKA et de la reprise imminente des hostilités avec même des risques réels de partition du pays. Pas plus longtemps, à bord de 7 véhicules, certains membres de la SELEKA qui se sont retranchés dans le Km 5 ont traversé toute la capitale d’un bout à l’autre, forçant des barrages pour regagner leurs compagnons d’armes et de crimes dans le nord.

D’après les leaders de la SELEKA, leurs revendications n’ont jamais été satisfaites. En effet, la SELEKA a posé des revendications à la fois politiques, sociales et religieuses. Entre autres, les éléments de la SELEKA accusent les différents Gouvernements au pouvoir au fil des années de discrimination à l’égard des musulmans et de la région du nord, le non accès des musulmans à la fonction publique. En ce qui concerne le DDRR, les SELEKA préfèrent aller à la réconciliation d’abord avant de déposer les armes.

Si nous revenons point par point sur ces revendications, nous pouvons dire que sur le plan religieux, le problème a déjà été résolu puisque les grandes fêtes musulmanes étaient déjà légalisées comme fêtes nationales sous la période de la transition. Sur le plan social la région du nord fait effectivement partie de nombreuses régions de la RCA laissées à l’abandon depuis des décennies, à l’exemple de la région du Nord et de l’Est avec les villes telles que Rafaï, Zémio Obo, et j’en passe. Donc cet abandon n’est nullement spécifique à la région du nord. Dans toutes ces localités abandonnées, il n’y a pratiquement pas d’infrastructures routières, hospitalières ou scolaires en bon état ; ce que tout centrafricain déplore. Mais, est-il que dans le cadre scolaire les instructeurs y ont toujours été envoyés, si l’on en croit les Inspecteurs académiques.

Toutefois, les musulmans en RCA sont tous connus du fait du manque d’intérêt pour les écoles publiques. En effet, jusque dans un passé très récent, les musulmans en Centrafrique préféraient beaucoup plus envoyer leurs enfants à l’école coranique qu’à «l’école des Blancs». Ce n’est que vers la fin des années 1990 que les musulmans ont commencé à envoyer leurs enfants à l’école moderne. Aujourd’hui, dire qu’effectivement la communauté musulmane est marginalisée quant à son accès à la fonction publique revient à être sans ignorer que les études à l’école coranique ne sont jamais sanctionnées par aucun diplôme quelconque pouvant permettre un accès à la fonction publique.

En Centrafrique, si la grande majorité des musulmans, jusque dans la seconde moitié des années 1990, n’ont fait preuve d’aucun engouement pour l’école publique, ils ont cependant exceller dans le commerce, puisque la quasi totalité des établissements commerciaux en Centrafrique sont détenus par des Centrafricains musulmans sur presque toute l’étendue du territoire national, à l’exception de ceux détenus par des commerçants étrangers tels que Libanais, Français, Tchadiens et ou Camerounais. Les musulmans Centrafricains sont également présents dans le commerce du diamant où ils procédaient systématiquement à une certaine exploitation des non musulmans et des atteintes aux droits de l’homme (2). Jusque là, presqu’aucun non musulman ne possède un bureau d’achat de diamants en Centrafrique.

En ce qui concerne les revendications d’ordre politique, les SELEKA réclament des portefeuilles ministériels dans le Gouvernement SARANDJI comme si on était encore dans une période de  transition. Depuis les accords de paix de Libreville, les SELEKA ont intégré le Gouvernement TOUADERA avant de renverser le président BOZIZE en 2013. Ils ont pris les rênes du pouvoir avec Michel Djotodja. Malheureusement, comme eux-mêmes l’ont constaté et que certains d’entre eux l’ont confirmé, ils ont lamentablement échoué dans la gestion de la chose publique. Ils n’en étaient pas à la hauteur pour pouvoir assurer la sécurité des Centrafricains sans discrimination. Ce sont les chrétiens qui sont les victimes comme pouvait le déclarer David CAMERON, le Premier ministre britannique devant les dirigeants européens à Bruxelles en 2014 en réaction aux propos de François Hollande qui tentait de leur faire croire le contraire; ce que le président Français a décrié au nom de la nécessité d’une communion de points de vue sur la crise centrafricaine.

La SELEKA était également présente dans les différents gouvernements transitoires sous la présidente Catherine SAMBA PANZA. Malgré leur présence permanente dans ces différents gouvernements, rien a jamais évolué positivement dans le sens du retour à la normale. Ils profitaient de leurs positions dans le Gouvernement pour se préparer à la guerre pendant que le gouvernement, lui, il dormait, dépourvu de toute stratégie possible permettant de parer toute  éventualité. Nos autorités et hommes politiques sont les seuls au monde à ne pas connaître le proverbe selon lequel «Qui veut la paix, prépare la guerre». Mais, les SELEKA, eux, ils l’ont compris et aujourd’hui c’est le gouvernement et tout le peuple qui sont acculés.

En ce qui concerne le DDRR, les SELEKA préfèrent aller à la réconciliation d’abord avant de pouvoir déposer les armes. Comme bon nombre de Centrafricains, je trouve ça simplement ridicule et aberrant. Personne ne peut accepter de participer à une réunion de réconciliation pendant que l’une des parties se présente lourdement armée et surtout pas les éléments de la SELEKA qui sont tristement connus pour avoir la gâchette facile. Leurs ennemis ANTIBALAKA ont déjà déposé les armes. C’est pourquoi, exiger une telle stratégie du gouvernement revient à prendre toute la population en otage. C’est dire que la réconciliation est imposée par la force des armes.

Ce que les SELEKA ont oublié, c’est qu’ils n’auront pas à se réconcilier avec le gouvernement, mais plutôt avec une population victimes de leurs exactions qui garde encore de mauvais souvenirs d’eux. Par conséquent, il revient aux éléments de la SELEKA de donner des gages de bonne volonté en acceptant de rencontrer leurs victimes avec sincérité, complètement désarmés. Du côté des ANTIBALAKA, les signes sont encourageants; car, ils étaient déjà entrés dans la logique du désarmement; ce que les experts des Nations Unies ont qualifié banalement dans leur rapport de «profil bas» ; comme si ces experts s’attendaient à un acharnement des ANTIBALAKA contre les SELEKA qui continuent de prôner la violence et la désolation dans le pays. Aujourd’hui, aucun musulman n’est plus une cible des ANTIBALAKA tant à Bangui que dans l’arrière-pays; car même les musulmans peuls vivent en ce moment en harmonie avec les populations non musulmanes dans les localités où ils ont décidé de reprendre leurs activités de menus bétail. Autoriser les SELEKA à reprendre les violences revient à endeuiller à nouveau les foyers, entraînant inévitablement à nouveau une volonté de résistance de la part des victimes.

Toutes ces raisons évoquées par les SELEKA pour continuer à déstabiliser le pays ne sont que des échappatoires afin d’éviter de répondre de leurs actes devant la justice. Les SELEKA sont conscients des exactions qu’ils ont perpétrées et ils savent que si jamais ils déposaient les armes, la justice les rattrapera. Alors pour mieux éviter ce déshonneur, il vaut mieux continuer à entretenir le climat de la violence afin de gagner du temps et, au cas où ils sont acculés de tout côté, ils auront, soit à opter pour une disparition pure et simple dans la nature à partir du Tchad, se soustrayant ainsi à la justice; soit à opter pour le djihadisme pur et dur comme dans le Delta du Niger ou encore dans le Gao au Mali.

Pour parvenir à une paix durable dans le pays, la SELEKA doit apprendre à faire des concessions. Or, présentement,  pour les SELEKA, seule la force est leur unique moyen de se faire entendre. Et ce conflit est le seul à ne disposer d’aucun médiateur. Le président Sassou-Nguesso, après son coup de force électorale est apparemment mis au banc des touches et les Nations Unies ne cherchent même pas à en mandater quelqu’un d’autre alors que le président Debby, lui, se sent mieux dans son costume de parrain des SELEKA plutôt que de jouer au médiateur impartial. Le président Centrafricain Faustin Archange TOUADERA a tendu la main à tous les rebelles sans exception ; car privilégiant le dialogue. Mais, les SELEKA ont pour objectif la reprise du pouvoir par la force tout en prônant la semence du chaos sur leur passage comme d’habitude.

2- Le manque de détermination de la MINUSCA à appliquer les résolutions onusiennes

Madame Diane Corner de la MINUSCA avait déjà affirmé auparavant que la MINUSCA va exécuter les mandats d’arrêt émis par la justice centrafricaine contre les éléments de la SELEKA et des ANTIBALAKA.

Seulement, lorsque les membres de la SELEKA ont forcer les barrages pour regagner leurs compagnons dans le nord, la MINUSCA a été publiquement accusée de les avoir aidés; car, comment comprendre que la MINUSCA puisse de son propre chef diffuser des informations selon lesquelles elle même a procédé à l’arrestation de ces bandits au nombre de 35 et que curieusement le lendemain elle revient dire que 28 d’entre eux se sont déjà évaporés dans la nature et que seulement 7 criminels, qui n’étaient rien d’autres que d’anciens détenus évadés de prison, soient remis au gouvernement? Ce qui est écœurant est d’entendre le porte-parole de la MINUSCA réagir à ces accusations en estimant en des termes aussi lapidaires que comiques que le Gouvernement Centrafricain ne comprend rien de son mandat. Ce qui nous fait comprendre aisément que la MINUSCA dispose d’un mandat caché en République Centrafricaine. Ce climat de méfiance à l’égard de la MINUSCA ne date pas d’aujourd’hui et risque de se transformer en une hostilité vis-à-vis du personnel onusien en Centrafrique car aucun peuple au monde ne pourrait accepter de continuer à être roulé dans la farine.

Par ailleurs, Madame Diane Corner, suite à l’affaire des évadés du Pk 5, a affirmé devant les responsables politiques centrafricains qu’il n’y a pas de solution militaire à la crise centrafricaine. Ce qui signifie que les résolutions onusiennes prises dans le cadre du chapitre 7 se sont purement et simplement transformées pour s’intégrer dans le cadre d’une simple opération de maintien de la paix couvertes par l’article 33 de la Charte des Nations Unies.. Aujourd’hui, toutes les villes du nord ainsi que toutes les administrations sont réoccupées par les éléments de la SELEKA qui ont rétabli des administrations parallèles.

Le Gouvernement ainsi que tout le peuple reconnaissent en la MINUSCA leur seule force de protection contre les bandes armées de la SELEKA. Mais aujourd’hui, les Centrafricains n’ont que leurs yeux pour pleurer le sort de la RCA: reprise des hostilités où seuls les populations civiles en feront les frais (assassinats, pillages, incendies des maisons, …) ou pire encore, la reprise des velléités partitionistes du nord. Vladimir MONTEIRO, porte-parole de la MINUSCA, dans un communiqué, pouvait affirmer: « nous suivons avec beaucoup d’attention le mouvement de ces hommes en armes  dans la région de Bria. Nous ne tolérerons pas la circulation des armes dans cette région » et que « la MINUSCA prendra des mesures  contre la violation ». Le Gouvernement et le peuple Centrafricain qui ne comprennent rien du mandat de la MINUSCA savent une chose : c’est que le paragraphe 48 de la Résolution 2134 du Conseil de sécurité « souligne que toutes les forces militaires présentes en RCA doivent agir, dans l’exécution de leur mandat, en respectant pleinement la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’unité de la RCA ainsi que les dispositions applicables du DIH, DIDH et du DIR […]». Ces dispositions sont reprises intégralement par le paragraphe 42 de la résolution 2149 du 10 avril 2014 du Conseil de sécurité des Nations Unies créant la MINUSCA ainsi que par le paragraphe 33 de la Résolution 2127 ; pendant que le paragraphe 5 de la Résolution 2149 «souligne qu’il importe de préserver l’unité et l’intégrité territoriale de la République centrafricaine».

Étant toujours dupés par les Nations Unies, le Gouvernement et le peuple centrafricain doivent envisager les choses autrement du fait de la crise de confiance qui s’enracine avec la force onusienne. À y voir de près, si le gouvernement doit s’en tenir qu’à la force onusienne, la paix ne reviendra jamais en République Centrafricaine, puisque le malheur des uns fait le bonheur des autres; étant donné que chacun est venu dans l’objectif de se servir dans un jardin d’Éden en plein cœur de l’Afrique où coulent le diamant et l’or (pour ne pas dire le lait et le miel, sans oublier la faune sauvage bien sûr).

En RDC, le Gouvernement congolais avait démontré sa fermeté face à la MONUSCO concernant le M23 et aujourd’hui tout va pour le mieux pour la RDC. Le comble du malheur pour la RCA est justement que la communauté internationale la prive de son armée. Pour parvenir à la paix en RCA et si la communauté internationale travaille réellement à cela, la MINUSCA doit rester ferme avec les rebelles. S’ils acceptent le désarmement, ils auront une place dans le Gouvernement et c’était déjà garanti par le président TOUADERA. Pourquoi doit-on pactiser avec le diable et ensuite demander à ce qu’il soit arrêté pour être jeté en enfer ? Il n’y aura pas de paix en RCA si la SELEKA ne trouve aucune force de dissuasion en face d’eux ; car il s’agit d’un groupe armé composé en écrasante majorité d’analphabètes.

3- L’ingérence effective des Etats limitrophes et puissances étrangères

Pendant que les pays limitrophes de la RCA jouent à l’ingérence et à la politique d’occupation d’une certaine partie du territoire centrafricain les puissances étrangères font leur entrée dans la danse, tel des vautours. En effet, les Centrafricains sont entrain d’être tournés en bourrique par ce que l’on a l’habitude d’appeler la Communauté internationale pour ne pas dire la communauté des charognards intéressés par les richesses minières et énergétiques.

Primo, il importe de savoir que les frontières Centrafrique/Cameroun n’ont plus la même configuration. c’est le cas des préfectures de la Nana-Mambéré avec la petite ville de Cantonnier et de la Mambéré-Kadéï avec la Sous-préfectures de Dédé-Mokouba de la Haute-Kadéï où la rivière Koudengue est occupée par l’armée camerounaise et se retrouve désormais du côté camerounais (3). Récemment, les  députés Centrafricains comme Jonas Donon (député de Bouar 4) et Euzeb Ngaïssé (député de Koui) ont donné la sonnette d’alarme sur l’occupation de la République Centrafricaine par les forces camerounaises qui ont même progressé à l’intérieur de la RCA vers la commune de Niem Yéléwa et, selon le député de Koui « Depuis le 22 juillet dernier, les forces camerounaises ont tracé une route sur une distance de 15 km sur le sol centrafricain dans les villages de Gaigo, Minime et Ngaoui »(4).

Pour les Camerounais, il ne s’agit pas d’une occupation, mais d’un avant-poste afin, d’une part, de mieux faire face aux infiltrations sur le sol Camerounais des groupes armés qui déstabilisent la Centrafrique ; ce qui a permis d’arrêter ou de tuer plusieurs généraux de la SELEKA dans la région Est du Cameroun. D’autre part, la stratégie camerounaise vise, en l’absence d’une armée centrafricaine opérationnelle, de contrer les combattants de Boko Haram à s’offrir une base arrière dans les régions de la Nana-Mambere et l’Ouham-Pende qui «deviendront les nouvelles cibles des terroristes».

Par ailleurs, dans le nord de la RCA, les régions frontalières avec le Tchad, telles que l’Ouham et autres, sont aujourd’hui à la merci de l’armée tchadienne et des bandes armées qui bénéficient du soutien tactique et multiformes du Tchad. En outre, certains villages du sud-ouest comme dans la Préfecture de la Sangha-Mbaéré seraient déjà annexés à la juridiction de Ouesso au Congo-Brazzaville.

Il est clair que si les voisins de la RCA se comportent de telle manière, ils n’ont pas intérêt à ce que la paix revienne en RCA car leur présence est fonction des richesses minières et forestières dont regorge la RCA. Pouvait-on déjà entendre parler des Camerounais qui exploitaient à volonté les arbres dans la Mambéré Kadéï et la Nana-Mambéré ou les Congolais avec le braconnage de la faune sauvage dans la Sangha-Mbaéré ; et tout cela rien qu’à la faveur de ces événements. Même les contingents Camerounais de la MINUSCA se sont déjà rendus tristement célèbres à plusieurs reprises dans des actes de sabotage de la mission onusienne. Même si la RCA était en situation difficile, l’empêchant d’assurer la sécurité de son territoire, tout stationnement militaire dans un État indépendant devait se faire avec l’accord des autorités en place; mais pas se comporter d’une manière sauvage comme si l’on s’aventurait sur une terra nullius!

Secundo, il est clair que la stupidité de la France dans sa gestion de la RCA en tant que pré-carré français a finalement drainé toutes les puissances étrangères à s’intéresser à la RCA au point que l’on soit en mesure de parler d’intérêts internationaux dans le pays.

Les États-Unis, un de nos traditionnels alliés, n’avaient aucune raison de nous soutenir pendant ces événements vu qu’à la veille de l’entrée en vigueur du Statut de Rome en 2002, créant la Cour Pénale Internationale, la RCA avait refusé, sous la pression et les menaces de sanctions de la diplomatie française, de signer un accord avec les États-Unis permettant de ne pas traduire les militaires américains à la CPI s’ils intervenaient un jour en Centrafrique et que des délits relevant de la compétence de la Cour devaient leur être reprochés. Cependant, lorsque les maisons des Centrafricains les avaient vomis en 2013, ce sont les États-Unis qui ont mis leur poids dans la balance pour transporter les contingents de la MISCA et effets militaires sur le théâtre du conflit centrafricain. Et si la MINUSCA a été créée et déployée, c’était grâce à l’accord des États-Unis et aux efforts de son Ambassadrice à l’ONU, Samantha Power, qui a fait plusieurs fois le voyage de la Centrafrique pendant cette période douloureuse. Même si l’application des résolutions onusiennes a du plomb dans l’aile, l’on peut dire que les Américains ont pu donner le meilleur d’eux-mêmes.

Toutefois, les États-Unis en ont profiter pour prendre position avec le stationnement de son Armée dans le Mbomou, officiellement pour traquer Joseph KONI, le chef de la LRA. Mais, en réalité, il s’agissait simplement pour les États-Unis d’avoir un regard direct sur toute la zone Est qui regorge d’uranium afin d’éviter des exploitations frauduleuses pouvant tomber en de mauvaises mains (l’Iran, la Corée du Nord et les Etats du golf, etc).

Aussi, La Chine est devenue une influence non négligeable et sa présence se fait de plus en plus sentir tant en Afrique que dans le monde. Est-il que la Chine ne sera pas toujours d’accord avec les occidentaux, donateurs soient-ils, sur la meilleure façon d’aborder les questions africaines. Mais, si la guerre a éclaté en Centrafrique, c’est parce que la Centrafrique a signé un contrat d’exploitation du bloc pétrolier du nord avec la Chine, ce qui n’était pas du goût de la France qui a parrainé cet ultime coup d’État qui va désintégrer complètement la Centrafrique avec ses lots d’assassinats, de destructions et pillages des biens publics et privés, des viols sur tout ce qui est de sexe féminin (femmes enceintes ou non, mineurs, sauf les chèvres qui ne feront l’objet que de pillages).

En quelque sorte, la RCA a payé le prix fort de son amitié avec la Chine de Mao et si les choses perdurent encore aujourd’hui c’est toujours pour cette raison. Dès l’entrée en fonction des nouvelles autorités, la France aurait mis et continuerait de mettre la pression sur elles afin d’obtenir la suspension de cet accord d’exploitation du pétrole avec les Chinois et de, par la suite, pouvoir le confier à Total; ce qui n’est pas du goût des nouvelles autorités ; d’autant plus que la volonté populaire en RCA est de procéder rapidement à l’exploitation de cette manne pétrolière qui se trouve être le moyen le plus rapide de rattraper le retard accusé par ce pays dans la bataille du développement. Il faut noter que la RCA est tout sauf un pays ; car elle est le seul pays de l’Afrique où toutes les infrastructures (routières, scolaires, sanitaires, etc) sont quasi inexistantes après près de 60 ans d’indépendance et d’exploitation par la seule France.

Retirer ce contrat aux Chinois revient à plonger la RCA dans une nouvelle dimension du conflit du fait de la forte présence chinoise au Soudan. D’ores et déjà, les Chinois ne sont pas passés par Quatre Chemins pour poursuivre leurs objectifs en RCA, en allant même jusqu’à embaucher les rebelles de la SELEKA pour assurer la sécurité du chantier pétrolier, alors que le gouvernement devait exiger un accord avec tant avec les Chinois qu’avec les rebelles afin de permettre un couloir sécuritaire aux forces de sécurité centrafricaine qui seront les seules à y assurer la sécurité.

En outre, après la prise du pouvoir par la SELEKA et l’amplification des exactions par la seule SELEKA, la Russie de Poutine s’en était déjà préoccupée. Ainsi, Novosti Mikhaïl Marguelov, représentant spécial du président russe pour l’Afrique et chef de la Commission des Affaires internationales du Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement) pouvait affirmer le 25 septembre 2013 que la Centrafrique, «est un Etat en décomposition dirigé par les chefs de guerre de la coalition amorphe Séléka. On est en présence d’une militarisation vertigineuse et d’une « somalisation » du pays»(5). Participant à une réunion sur la crise en Centrafrique, organisé par Ban Ki-Moon, le Secrétaire général de l’ONU, en compagnie de certains Chefs d’Etat de l’Afrique avec des représentants d’autres Etats et institutions, la Russie, par le biais de Mikhaïl Bogdanov, Représentant spécial du président russe pour le Proche-Orient et vice-ministre russe des Affaires Étrangères, a, entre autres, souligné l’importance de la sauvegarde de l’intégrité territoriale de la Centrafrique. Du fait de la crise humanitaire en RCA, la Russie a même envoyé un convoi de KAMAZ pour transporter les aides humanitaires et les vivres depuis le port de Douala (Cameroun) vers Bangui.

Seulement, la Russie, contre toute attente, lors du vote pour le renouvellement du mandat de la MINUSCA en août 2016, a bloqué un passage du texte de la résolution qui accordait des capacités de surveillance et d’écoutes ainsi que l’utilisation des drones par la MINUSCA. Tout le monde sait que le Tchad a une très grande responsabilité dans la déstabilisation de la Centrafrique et que les éléments de la SELEKA ont bénéficié des formations de la part des instructeurs Tchadiens. ils sont dotés en matériels et effets militaires de tout genre par le régime de Ndjamena. La Russie est alliée au Tchad et les relations entre les deux pays sont très renforcées au point où la Russie «apprécie l’importance du rôle du Tchad et son influence dans la sous-région» (6). En plus, il faut noter que Gazcom la plus grande firme gazière russe est très bien implantée au Tchad et le Tchad est maintenant assuré du soutien russe sur tous les plans. Voilà pourquoi le président Idriss Deby Itno  pouvait avoir le courage d’aborder l’unique question jusque-là évitée par les dirigeants africains, à savoir la monnaie unique africaine.

En effet, il y a justement un an, le président Deby a appelé les Africains à se débarrasser du Franc CFA. Il faut être assuré d’une couverture en béton pour pouvoir faire une telle déclaration, vu que le Colonel Khaddafi y a déjà laissé sa peau. A cela s’ajoute la question de la disparition des militaires Tchadiens qui n’ont pas voté pour le président Deby lors de la présidentielle de 2016. Alors, qu’a fait la France, champion des droits de l’homme en Afrique à ce sujet ? Qu’a fait les États-Unis, champion de la démocratie dans le monde? Ils s’en sont tous réduits à quelques condamnations et préoccupations  ; et aujourd’hui, où en est-on ? La question est déjà jetée aux oubliettes.

Tout ceci pour dire que la Russie, d’une manière ou d’une autre, veut aujourd’hui avoir un rôle à jouer dans la résolution de la crise en Centrafrique. Et il n’y a que Poutine seul qui peut stopper les agissements des SELEKA à travers son allié Debby. Si non, pourquoi la Russie s’opposerait-elle au déploiement des drones et moyens de surveillance contre des rebelles qui sont clairement responsables des crimes que toute la Communauté internationale est censée combattre?  Donc, il ne faut pas seulement voir la main de la France derrière les agissements du Tchad, mais aussi celle de la Russie et, chacun se trouve dans la logique de ses intérêts. À quoi servent ces dispositions de la Résolution 2149 du Conseil de sécurité qui disposent que le Conseil de sécurité, «Réaffirmant son ferme attachement à la souveraineté, à l’indépendance, à l’intégrité territoriale et à l’unité de la République centrafricaine, et rappelant l’importance des principes de bon voisinage et de coopération régionale […]»?

4- La faiblesse militaire de l’Etat centrafricain.

À quoi servent les militaires qui sont à la disposition de l’Etat et qui perçoivent chaque mois leurs soldes sur le budget de l’Etat Centrafricain ? La Communauté internationale a choisi de rendre l’armée centrafricaine inutilisable sans contre partie. Les éléments de la SELEKA (nouvelle version) sont lourdement armées au détriment de l’Etat. On comprend aisément que si les militaires Centrafricains sont en ce moment cantonnés et leurs soldes versés chaque mois, c’est pour faire régner le calme de leur côté et ainsi,  éviter la reprise des hostilités. Mais, tout le monde sait maintenant qu’à la fin, ces militaires seront tous abandonnés au profit de la réforme du secteur de sécurité ; créant du coup une autre source d’instabilité. Voilà pourquoi, les Nations Unies ne veulent pas les voir reprendre du service. La vérité est que parmi  ces militaires, il y en a qui sont neutres, car ne faisant partie ni des ANTIBALAKA ni des SELEKA et moins encore du clan BOZIZE. Alors pourquoi ne pas les trier maintenant et les utiliser plutôt que de les abandonner tous comme un objet de rébus ?

Que font les Nations Unies pour que la SELEKA puisse se conformer à ses dispositions ? Si la Communauté internationale doit continuer à jouer avec le feu, se sont les mêmes bêtises qui vont se répéter. En 2003, Jean-Jacques LOUARN, dans l’un de ses reportages sur RFI, suite au coup d’Etat de François BOZIZE contre Ange Félix PATASSE, disait: «Omar Bongo va devoir manger son chapeau» parce que l’objectif du soutien de la France et de la sous-région à la rébellion de BOZIZE n’était pas d’aboutir à un coup d’Etat, mais que BOZIZE devait positionner ses hommes aux portes de Bangui pour mettre la pression sur le président PATASSE afin de le pousser à la négociation. Voilà qu’en arrivant aux portes de Bangui, PATASSE était resté intraitable et têtu, alors que toute l’armée ainsi que la population l’avaient déjà abandonné.

Aujourd’hui, la Communauté internationale a choisi d’instrumentaliser les SELEKA contre les nouvelles autorités. Il n’y a pas d’embargo sur les armes à destination de la RCA, mais un embargo sur les armes à destination de Bangui seule et contre les FACA; et donc contre le Gouvernement légitime et contre le peuple Centrafricain. Pendant ce temps, les rebelles sont chéris, formés et dotés en armes et moyens militaires avec la complicité de la Communauté internationale.

Lorsque Djotodja a été écarté en janvier 2014, les SELEKA se sont sentis véritablement affaiblis et ils ont commencé à ranger leurs armes eux-mêmes. Aujourd’hui, tout le monde sait que l’arrestation de Nourredine ADAM est un facteur déterminant pour la résolution de la crise en Centrafrique. Mais, la Communauté internationale n’en veut pas, le considérant comme une solution. Soit, parce que la Communauté internationale a peur des représailles qui n’existeront que de la part du Tchad et peut-être de la Russie; soit parce qu’il faut diviser pour mieux régner et, tout le monde sait que la seconde option est une option de prédilection pour les puissances regroupées au sein des Nations Unies.

Si non, pourquoi la Chine à cause de qui, ce malheur s’est abattu sur la RCA, n’a pas pu lever le petit doigt pour nous appuyer sur ce dossier. Pourquoi les États-Unis se sont arrangés tranquillement pour nous faire perdurer dans cette vulnérabilité, sans chercher à nous soutenir ? Pour la simple raison que chacun ne cherche qu’à préserver ses propres intérêts. Tout le monde s’arrange à caresser les SELEKA au détriment du gouvernement légitime et de tout un peuple.

Finalement, je suis obliger de poser la question de savoir: quelle est l’importance pour ne pas dire les avantages d’avoir un Gouvernement légitime dans un conflit armé, si ce gouvernement ne doit disposer d’aucune force de dissuasion ? Le gouvernement est privé de son armée afin de mieux privilégier le dialogue avec les rebelles; mais, que fait la communauté internationale pour faire infléchir la position des rebelles, puisque toute négociation ne peut aboutir que lorsque les protagonistes s’accordent mutuellement des concessions?

Dans un conflit armé, seul celui qui est fort militairement, est à même de dicter sa volonté et l’Etat qui est faible cherche toujours à négocier comme le disait Thucydide au 5ème siècle dans « Histoire de la guerre de Péloponnèse« . Voilà où la Communauté internationale a décidé de positionner le Gouvernement centrafricain face aux rebelles. Cette attitude aussi banale que méprisable de la Communauté internationale nous fait comprendre que ça ne sert à rien de parler de justice à l’égard des rebelles SELEKA, puisque cette Communauté internationale n’hésite pas à les entretenir pour bien malmener tout un peuple. Et les experts sont là entrain de nous parler de justice, alors qu’eux mêmes travaillent dans l’ombre contre la justice.

La connivence de la MINUSCA avec les courageux évadés du Pk 5 était un véritable coup monté permettant de continuer à les entretenir contre le Gouvernement. Dans Invité Afrique sur RFI diffusé le 17 août dernier où Paul-Simon Handy, un des experts mandatés par l’ONU répondait aux questions de RFI, on voit clairement que les discordes et la division survenue entre les SELEKA n’étaient pas du goût de certains. Donc, il devait rester unis afin de mieux continuer à malmener le peuple. Et après les avoir suffisamment instrumentalisés, cette même Communauté internationale va demander au Gouvernement de les arrêter pour les traduire en justice.

5- Recommandations au Gouvernement

  • Eu égard à la faiblesse militaire du Gouvernement et l’instrumentalisation des rebelles par la Communauté internationale contre le Gouvernement et contre le peuple centrafricain, Il serait judicieux pour le Gouvernement d’opter pour un processus de réconciliation nationale du type Vérité et Réconciliation à la manière Sud-africaine en 1994, avec une amnistie totale pour les protagonistes. Pour traduire quelqu’un devant les tribunaux, il faut d’abord qu’il soit désarmé et arrêté. Mais, comment désarmement quelqu’un qui est surarmé, et surtout plus que soi?

La paix n’a pas de prix et présentement ce peuple a besoin de la paix avec les SELEKA et non de la justice. Quelquefois, il faut accepter de se passer de la justice afin de maintenir une paix sociale ; si non, il y aura encore des morts et la Communauté internationale des puissances s’en foutra toujours, et tout le monde le sait. Monsieur le président, il est maintenant de votre devoir de donner du répit au peuple centrafricain, il le mérite bien. Le seul moyen d’y parvenir est de suspendre le processus de mise en place de la Cour Pénale Spéciale en offrant une amnistie général à tous les bourreaux des deux camps (SELEKA et ANTIBALAKA). Ceux qui sont morts, le sont déjà et ce n’est pas une quelconque justice qui les ramènera à la vie. Je suis pour la justice, mais pas au détriment de la paix. La Communauté internationale pourrait bien les poursuivre devant la Cour Pénale Internationale (et elle en a les moyens) lorsqu’elle aura cessé de les instrumentaliser. Mais, le peuple centrafricain, lui, veut vaquer librement à ses occupations.

  • Il importe que le Gouvernement puisse veiller à ce que les trois blocs pétroliers connus soient partagés entre les États-Unis, la Chine et la France ; et la paix reviendra d’elle-même. Ça ne sert à rien de dormir sur les richesses et ne pas les utiliser et mourir en fin de compte comme des mouches. La France n’a pas hésité à semer le chaos à cause du contrat pétrolier avec les Chinois et elle continuera si elle n’obtient rien en contrepartie. Les relations internationales sont des relations d’intérêt. Puisse le Gouvernement veiller à obtenir le minimum qui puisse permettre au peuple Centrafricain de vivre en paix et de développer ses infrastructures (routières, hospitalières, scolaires, etc.).

Mario AZOU PASSONDA

Enseignant-Chercheur à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Bangui

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Un commentaire

  1. Bonne analyse faite avec beaucoup de lucidité même si je ne partage pas entièrement l’intégralité du volet « RECOMMANDATIONS »

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