EN VEDETTE

EN CENTRAFRIQUE, ADIEU LA COURTOISIE ET LA TOLÉRANCE ?

Par Ben Wilson NGASSAN

Mardi 02 Janvier 2023. 18h30 précises. J’arrive au restaurant à Sica 1, le temps de prendre un bon plat d’atiéké qu’une de mes amies ivoiriennes a préparé pour moi, à l’occasion du nouvel an. Plus de vingt minutes après mon installation, je vois débarquer un jeune homme, visiblement un trentenaire. Il a l’allure d’un sportif. Assis juste derrière ma chaise, il commence en allumant sa cigarette. Difficile pour moi de supporter la fumée qui se dégage, alors, je demande gentiment à mon voisin s’il peut orienter vers la droite sa cigarette, ou au mieux s’éloigner de moi afin de m’éviter cette odeur. Furieux de la demande que j’ai faite, mon interlocuteur me répond : « Monsieur, ici c’est un restaurant, je suis client au même titre que toi, donc libre de faire ce que je veux. Si tu es fâché avec la fumée que dégage ma cigarette, tu feras mieux de ne pas venir dans des lieux publics, ta femme à la maison pourrait ainsi te faire de quoi à manger« .
Sans blague ! J’étais touché au fond de moi par la virulence de ces propos. Malgré le calme et la pédagogie dont j’ai fait montre afin d’expliquer à mon interlocuteur les conséquences de la fumée suscitée par « sa » cigarette sur son entourage, il me réserva un mépris souverain. Et chaque fois que je monte, c’est de la grossièreté qui sort de lui. Inutile de vous dire dans quelle ambiance j’ai terminé la soirée. En rentrant à la maison, j’ai retenu que définitivement la courtoisie et la tolérance ont fait leur adieu à la Centrafrique. Sinon, comment comprendre aujourd’hui que les centrafricains deviennent de plus en plus violents dans les faits et les gestes?
Arrivé à la maison, j’ai commencé un long questionnement sur les raisons de ce phénomène social qui nous menace. Je retiens que c’est depuis dix ans que l’espace public s’est dangereusement transformé dans notre pays. Pour se rendre à l’évidence, regardez comment les centrafricains trouvent aujourd’hui aisé de s’insulter sur internet.
Il y a encore quelques années, la courtoisie et le respect faisaient vraiment partie des valeurs cardinales de notre société. Il était inconcevable d’injurier une femme, une mère, pire en public, car nous disaient nos mamans « a zonga ka ouali apè« , littéralement  » on n’insulte pas une femme ». Ou encore, on ne manque pas de respect à plus âgé que soi. Dites-moi où sont ces valeurs aujourd’hui ?
J’ai fini par trouver quelques explications à cette crise de vertus.
D’abord, l’avènement des réseaux sociaux qui a systématiquement démoli nos valeurs culturelles. Ensuite, c’est un doux euphémisme que de dire que la tragédie a toujours de graves conséquences sur les comportements sociaux. La République centrafricaine qui a connu une grave crise en 2013 n’est pas épargnée de ce principe si cher aux sociologues.
Cette crise de vertus a malheureusement aussi durement frappé le milieu politique centrafricain, milieu qui devait servir de boussole pour la société entière. Par exemple, je suis profondément attristé par les dernières « passes d’armes » entre l’éminent Professeur Gaston MANDATA NGUREKATAM et son collègue, le Dr Bertrand KENGUETONA. Pr NGUEREKATA est un esprit très brillant, et, beaucoup de jeunes comme moi le prennent en modèle, aussi bien dans le domaine de la science que de la politique. Son dernier « clash » avec son « frère » laissera des tâches indélébiles. J’espère que mon bien-aimé « père » Gaston pourra vite se rendre compte de la « faute » afin de se réconcilier avec son collègue. Et ceci, inversement. Je crois encore aux vertus du pardon et de la réconciliation.
Je suis foncièrement opposé aux extrêmes. Et peu importe d’où viennent les contrevaleurs je m’y opposerais. Vous vous souviendrez d’ailleurs que je m’étais dernièrement insurgé contre les « liveurs » qui ont fait un procès malencontreux contre Me Crépin MBOLI-GOUMBA. Cela m’a valu encore davantage des inimitiés, mais j’assume pleinement. On ne bâtit pas une société forte avec les « insulteurs publics ». Autant je condamne le fait que le pouvoir de Bangui se sert des  » insulteurs » pour s’en prendre aux acteurs politiques, aux chancelleries, autant je refuse que l’opposition fasse pareil.
Comme toujours, très chers lecteurs, je ne veux pas simplement me limiter à l’explication et aux conséquences de ce phénomène qui menace gravement ce pays que nous avons en partage. Je souhaite qu’ensemble nous tentons d’y apporter des solutions. De ma petite expérience, les valeurs de la tolérance étaient naguère transmises, dans notre société, à travers l’éducation à la citoyenneté qui était inscrite dans les programmes officiels. Qui pour me dire pourquoi cette matière est retirée de notre système éducatif ? Ensuite, il y avait des programmes radiophoniques dédiés à la transmission de nos valeurs culturelles, le cas des contes de Lucien DAMBALÉ (paix à son âme !), l’émission « Wango Ti Nzoni Douti » sur Radio Ndeke Luka. Il y avait aussi une autre émission qui passait sur Radio Centrafrique. Je ne me souviens plus du nom de cette tranche d’antenne, ni de celle qui l’animait. Si nous devons recourir aux contes de chez nous afin de réenseigner les valeurs traditionnelles centrafricaines. Je proposerais à une radio de la place de s’attacher les services de Gervais LAKOSSO. C’est un conteur moderne, qui a fait plusieurs régions de la République centrafricaine et qui s’y connaît mieux en ce qui concerne les traditions de notre pays. Après, les réseaux sociaux peuvent être mis à profit, pour que les centrafricains de tous âges, de toutes couches sociales, puissent se réconcilier avec les valeurs de leur pays. Les médias doivent jouer leur rôle en sanctionnant ceux qui prônent les antivaleurs sociales, le cas de ce Conseiller du Président de la République qui appelait au génocide dans ce pays déjà tant meurtri.
Pour finir, l’ancienne Ministre Gisèle BEDAN, avec qui j’ai toujours le plaisir d’échanger sur l’actualité du pays, m’avait dit un jour « mon fils, ce pays devrait normalement avoir un département consacré à la rééducation et à la promotion de la citoyenneté« . Aujourd’hui, je lui donne totalement raison. Bonne et heureusement année 2024 chez vous !

Ben Wilson NGASSAN

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