Chronique de GJK

CENTRAFRIQUE: L’ART DE DIALOGUER A BOUT PORTANT

Du lundi 21 au mercredi 23 juillet prochain, va se tenir dans la capitale congolaise, avec ou sans la participation de tous les acteurs et animateurs de la vie socio-politique en RCA, le Forum de Brazzaville, qui se veut être l’ouverture officielle, du processus de dialogue, de paix et de réconciliation de tous les frères Centrafricains. Or, depuis l’annonce de cet événement, l’inquiétude et la peur semblent plutôt gagner de plus en plus tous les milieux nationaux et internationaux. Des entités uniques, aux cercles du pouvoir, en passant par les regroupements divers et différentes missions étrangères, tout le monde y va de sa petite réunion dont les décisions finales et définitives, sont souvent remises à la réunion suivante, sans que l’on ne sache jamais trop pourquoi. Mais de façon globale, l’on sait désormais que deux camps se retrouvent face à face :

D’un côté il y’a le camp de ceux qu’on pourrait appeler des « pro-forum de Brazza ». Il est constitué des principaux organisateurs de la présente rencontre, ainsi que de toutes les personnes physiques ou morales, qui tiennent absolument à la plus grande réussite du forum. A défaut, ceux-ci souhaiteraient néanmoins sortir la tête haute de l’actuel duel ou « bras de fer » qui ne dit pas son nom. Dans tous les cas, un éventuel échec, – inimaginable d’après les « pros » -, risque d’être considéré comme un « parricide » ou un affront, quoiqu’il en soit, comme le plus grand déshonneur et la plus grande ingratitude que ne peuvent « tolérer » le Président Denis Sassou Nguesso et ses autres confrères de la CEEAC, sans parler de certains acteurs internationaux de la crise centrafricaine.

De l’autre côté, il y’a les  « souverainistes », non partisans d’une rencontre en dehors de la Centrafrique. Ceux-ci refusent d’une part, de se rendre sur le sol frère mais étranger de Brazzaville, pour trouver des solutions aux problèmes de leur propre pays ; d’autre part, ils n’entendent pas surtout « honorer » les criminels Sélékas et Antibalakas par leur présence, et de ce fait, se rendre complices de ce qui peut apparaître comme la consécration de l’impunité en Centrafrique. Dans ce camp de « souverainistes », l’on retrouve la plateforme des religieux, la société civile, plusieurs regroupements et associations politiques. En revanche, leur principale crainte et inquiétude, c’est de voir qu’à force de subir d’énormes pressions – y compris celles de l’argent -, et même des menaces à peine voilées exercées chaque jour sur des individus, l’on ne parvienne à les affaiblir en les divisant.

Ceci étant, en face des deux camps ainsi constitués, il faut noter qu’il y’a naturellement les milices Séléka et Antibalaka. En fait, ils sont les véritables vedettes de ce Forum de Brazzaville, dont le principal sujet est bien celui du cessez-le-feu entre leurs deux groupes. Mais que pensent vraiment ces Sélékas et Antibalakas, du dialogue qui leur est proposé et même imposé ? Comment se préparent-ils à participer à cette rencontre de discussion et d’échanges ? Au-delà du cessez-le-feu, quid du désarmement et de la démobilisation, de la justice, du redéploiement de l’administration, et enfin du dialogue et de la réconciliation entre les Centrafricains.?

A bien observer et analyser minutieusement les différents détails des comportements sur le terrain et dans les discours, la Seleka ne semble pas du tout avoir manifesté jusqu’ici, un enthousiasme particulier pour ce forum dont il n’a que faire ! En plus, le fait que Nourredine et Djotodja, les deux principaux leaders de cette nébuleuse n’y sont pas invités, n’arrangent aucunement l’aile dure de la Seleka dont le plus gros avantage et l’imparable argument à faire valoir, demeurent l’occupation et le contrôle des zones entières du pays. Et nul n’est besoin d’être « grand spécialiste de la Centrafrique », pour déterminer et dire, tant qu’elle ne sera pas vaincue militairement, la Séléka n’est pas prête à libérer les régions conquises, et dans lesquelles quoiqu’on dise, elle s’organise administrativement.

De leur côté, les Antibalakas semblent avoir tout perdu. En plus de n’avoir ni le pouvoir, ni de territoire défini, ils ont partout affaire au gouvernement et aux forces internationales, qui les tiennent et les surveillent d’une certaine manière. Mais, qu’ils veuillent l’affirmer clairement ou non, le plus grand « malheur » des Antibalakas, reste l’échec annoncé du grand retour triomphal sur les devants de la scène, de leur champion François Bozize. Au besoin et pour mieux comprendre, il n’y a qu’à lire entre les lignes, tous les échanges sur les réseaux sociaux, ou à (ré) entendre les déclarations relatives audit forum, faites par le coordonnateur général de ce groupe de miliciens. Du coup, la grande  tentation des Antibalaka – vivement que je me trompe – serait de vouloir rééditer à partir du 21 juillet 2014 – date d’ouverture du Forum de Brazza -, les événements des folles nuits du 5 décembre 2013 et des journées qui ont suivi. Tout cela, dans le but de prouver « inutilement » à la Seleka leur puissance de frappe, et d’obliger les uns et les autres à tenir absolument compte d’inacceptables exigences qu’ils se préparent à formuler. Et comme on peut s’y attendre, leurs exactions orientées vers les musulmans, ne resteraient pas sans ripostes de la part de ces derniers et de la Séléka qui elle aussi, peaufine actuellement ses plans et fourbit ses armes au cas où elle serait attaquée directement ou indirectement. A noter en passant, que les derniers mouvements de milliers de personnes de Bambari vers Bangui ne sont pas de très bons signes et peuvent être autrement interprétés et exploités.

Au final, à la faveur du Forum de Brazza, l’entente fragile entre les principaux acteurs nationaux et internationaux de la crise centrafricaine, courent malencontreusement le grave risque de se fissurer en maints endroits. Qu’à cela ne tienne, il convient à tout prix, d’éviter que la RCA – à cause des sombres calculs et ambitions inavouées de la Seléka et des Antibalaka – ne bascule de nouveau et plus gravement cette fois-ci, dans un cycle infernal de violences et  de représailles.

Dès lors, quelles sont les dispositions concrètes que la Misca et l’opération Sangaris, ont-elles prises ou comptent-elles prendre dans les plus prochaines heures, en vue de renforcer la protection des populations centrafricaines, et dissuader les auteurs d’éventuels troubles et violences sur tout le territoire de la RCA? Il y’a de l’électricité dans l’air, et la question mérite bien d’être posée.

Il n’est jamais bon et souhaitable de jouer au prophète de malheur ou à l’oiseau de mauvais augure. Mais qui a été mordu par un serpent, se méfie des cordes. Et dans un pays en guerre comme la Centrafrique, aucune disposition préventive, ne saurait être ni de trop, ni à négliger, tant qu’il sera question de garantir la sécurité des biens et des personnes sans protection. Cela – principe de précaution oblige en un certain sens -, surtout à l’approche de certains événements dont il apparaît bien difficile, de prévoir l’issue de manière absolument certaine.

En effet, comment ne pas se souvenir, de ce fameux jour du 5 décembre 2013, jour du lancement de l’opération Sangaris en RCA, et de cette déclaration de François Hollande : « J’ai pleine confiance en nos soldats pour mener cette opération. Je sais leur sens du devoir, leur grande qualité professionnelle. Cette intervention sera rapide, elle n’a pas vocation à durer. Je suis sûr de son succès. » Et voilà que plus de sept mois après, l’armée française « attendue pour éviter une catastrophe humanitaire », n’arrête pas de patauger dans l’impraticable bourbier centrafricain.

De la même manière, l’on voudra bien se souvenir également, que ce fut en cette même date du 5 décembre 2013, que la milice Antibalaka, avait cru son heure arrivée. Des quartiers entiers furent pris pour cibles et des attaques criminelles déclenchées çà et là. Les troupes de la Séléka ripostèrent violemment, et l’on dénombra au bout du compte, des centaines d’individus massacrés de part et d’autre. Aujourd’hui encore, avec moins d’intensité certes, les mêmes violences se poursuivent, obligeant des centaines de milliers de personnes à se barricader dans des quartiers où ils se sentent plus ou moins en sécurité. Depuis plusieurs mois également, pour de centaines de milliers d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards, les camps de déplacés, les églises, cathédrales et mosquées – plus ou moins protégés – sont devenus à peu près les seuls havres de paix.

C’est alors qu’en définitive, au lieu de soutenir « une force africaine pour apporter la sécurité, rétablir la stabilité en Centrafrique et protéger la population » – et donc permettre par-là de renouer assez rapidement avec la vie démocratique -, comme elle en avait reçu mandat, l’on est obligé de constater que l’implication de l’opération Sangaris en ce 5 décembre 2013, a été l’élément déclencheur qui semble avoir ouvert la voie, à une nouvelle flambée de violences, dont les graves conséquences paraissent de plus en plus impossibles à circonscrire.

Vivement que la Misca et l’opération Sangaris – à l’occasion du Forum de Brazza qui s’ouvrira lundi prochain -, prennent des mesures visibles, susceptibles de rassurer tous les Centrafricains et surtout de les protéger d’éventuels « dégâts collatéraux », de ce dialogue à bout portant qui inquiète plus qu’il ne suscite d’espoirs de « résurrection ».

GJK – L’Élève Certifié
De l’École Primaire Tropicale
Et Indigène du Village Guitilitimô
Penseur Social

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