Tribune de A.Pakoua

CENTRAFRIQUE : QU’EST-CE QUI A POUSSÉ BOKASSA A DEVENIR DICTATEUR ?

Par Adolpe PAKOUA

Voilà une question qui ne peut pas avoir de réponse sans un rappel de l’histoire de cette partie de l’Afrique d’abord sauvage, avant de devenir une colonie puis un pays « indépendant ». Mais nous n’allons pas retracer l’histoire car chacun peut simplement la retrouver à travers les bibliothèques, internet et autres réseaux sociaux où spécialistes et néophytes se croisent pour échanger les informations, nous ne le ferons pas pour gagner du temps et aller à l’essentiel.

Et pour aller à l’essentiel, il faut encore se poser deux questions : Pourquoi Félix Eboué s’était-il retrouvé bombardé Gouverneur de l’AEF et pourquoi, Boganda était-il l’un des rares artisans africains de l’indépendance (sinon le seul) à ne pas avoir savouré les fruits de l’indépendance de son pays ?

A ces deux questions, seule une réponse suffit : la mentalité des peuples de cet Oubangui-Chari devenu République Centrafricaine.

En Afrique, la République Centrafricaine ne fait pas exception quant à la composition de sa population qui regroupe différentes ethnies. Ces ethnies ont vécu à différents moments de leur histoire, de manière pacifique, avec des alliances qui se faisaient sans la moindre anicroche, permettant une cohésion sociale irréprochable, sans que les problèmes de coutumes ou de croyances viennent interférer dans ces unions.

L’époque coloniale, avec le RPF à travers les travaux forcés, a eu des effets tellement incommensurables sur les populations que les hommes avaient (ont jusqu’ici) perdu toute notion de responsabilité, pour ne suivre que les ordres venus de l’administration, à un point tel qu’on pourrait parler de déshumanisation des populations. L’homme ne réfléchissait plus, pour répondre aux ordres donnés.

En dépit de toutes les exactions enregistrées pendant les travaux forcés, il y avait de la résistance, une résistance qu’il fallait étouffer assez souvent et assez rapidement. Et la nomination de Félix Eboué dans cette partie de l’Afrique en tant que Gouverneur Général était pour redonner un peu de confiance aux indigènes et les amener à respecter les ordres descendus de l’autorité administrative. Il faut cependant rappeler que ce travail administratif bénéficiait davantage aux entreprises concessionnaires installées dans le pays. Nous ne parlerons pas des aspects éducatifs (écoles) ou sanitaires dont les populations étaient les bénéficiaires, pour la simple raison que ces deux volets méritent des développements plus élargis.

Dans cette période au cours de laquelle Boganda va émerger pour commencer à dénoncer les exactions faites sur les populations ougbanguiennes, il fustigeait déjà le comportement des « tourougous » qu’étaient les gardes territoriaux, ces hommes en uniforme au service de l’administration, mais dont la rapidité à la bastonnade et aux coups de fouet était légendaire. C’est cette petite frange de la population qui aidait l’administration ou les chefs des entreprises concessionnaires à maintenir les populations dans l’état de soumission.

Ainsi, à y voir de très près, l’histoire du Centrafrique n’a pas changé d’un iota depuis l’époque coloniale car on continue de trouver des « tourougous » partout. Ces tourougous qui ne sont rien d’autre que ces nationaux prêts à collaborer avec l’extérieur pour assouvir leurs intérêts personnels et faire plaisir à leurs maîtres.

Bokassa est devenu empereur à cause des « tourougous », les traîtres, qui voulaient avoir plus de galons militaires, plus de nominations administratives en trahissant et en faisant éliminer ceux qui pouvaient leur faire de l’ombre. Il est devenu empereur parce que le centrafricain est prêt à accepter l’inacceptable, pourvu que cela lui profite. Ainsi, de braves officiers supérieurs ont perdu la vie parce que trahis par d’autres qui voulaient prendre leur place. Peut-on y voir la genèse de la déchéance de l’armée centrafricaine à partir de ces trahisons et de cette époque ?

Un tourougou n’est pas le militaire auquel le centrafricain fait allusion, mais le terme est emprunté à l’expression de l' »école » coloniale, pour désigner de nos jours tous ces centrafricains capables de vendre leur pays pour un morceau de pain.

Qu’est-ce qui a poussé Bokassa à devenir dictateur ? Telle est la question posée, mais comment y répondre ?

Si Bokassa est devenu dictateur, c’est bien à cause de la trahison des uns par les autres et en homme averti, Bokassa s’en méfiait. Ne dit-on pas, à juste raison, que celui qui tue par l’épée périt par le fer ou par l’épée ? Le comportement des centrafricains par rapport à la trahison est tel que Bokassa, pour se préserver, avait tissé un réseau de renseignements si efficace qu’à cette époque, l’époque des jeunes « révo », le père avait peur de sa fille, de son fils, de sa femme ; l’aîné avait peur de son cadet, de sa sœur et de la copine de sa sœur, tout le monde avait peur de tout le monde.

Le système était si efficace que Bokassa était informé de tout et de rien. La trahison avait fait son chemin et son œuvre. Tout cela à cause des centrafricains, incapables de se dépenser pour, et de s’investir dans le bon sens.

Il n’est donc pas surprenant qu’aujourd’hui, il est impossible de faire quoi que ce soit, avec la certitude qu’on a la confiance de ceux avec qui on voudrait avancer dans la même direction.

Les autres, ces autres qui nous veulent tant de bien, ont compris notre malléabilité, en usent et en abusent pour obtenir ce qu’ils veulent, sans la moindre monnaie d’échange. Et nous, centrafricains, quand bien même nous le savons, continuons à entretenir cette réputation par trop négative, pour nous faire mener par le bout du nez. Les partis politiques naissent tous les jours, il n’y a plus de place pour inscrire les noms des candidats à la présidence et on demande aux autres de nous donner des feuilles pour pouvoir finir la liste des candidatures. Dans cette forêt d’aberrations, chacun sait qu’il ne votera pas pour un candidat qui n’est pas de sa famille, quand bien même ce candidat n’est pas connu par les voisins qui vivent juste à côté.

Pauvre pays, pauvres compatriotes miens. Quand comprendrons-nous que tout cet aveuglement ne conduit qu’à notre perte ? Nos ennemis sont déjà à nos portes. Ne pouvons-nous pas tous regarder dans la même direction, pour fuir ensemble ou rester ensemble et résister ?

Cette direction, c’est celle qui nous dit que nous avons assez souffert, nous avons perdu assez de parents, nous seuls pouvons arrêter notre calvaire, et le seul moyen, c’est de s’unir, s’unir dans le bon sens.

Aussi, ayons le courage de nous unir sans tenir compte de qui nous sommes « régionalement » ou « tribalement », sans tenir compte de quel Dieu régit nos croyances car nous avions Ngakola à nos origines. Débarrassés de toutes ces pesanteurs absurdes, nous pouvons y arriver, et c’est possible.

Adolphe PAKOUA

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