Chronique de GJK

CENTRAFRICAIN ! UNE NATIONALITÉ IMPROPRE ET UNE IDENTITÉ AUSSI DÉPASSÉE QU’INADAPTÉE

Par GJK Le Villageois
www.levillageoisdeguitilitimo.com

  • S’il vous plaît Monsieur, puis-je connaître votre nationalité ?
  • Je suis Centrafricain Madame
  • Ok ! Centrafricain d’où ?
  • Centrafricain de Centrafrique Madame
  • D’accord, Centrafricain de Centrafrique. C’est bien compris et noté Monsieur. Vous êtes donc originaire du centre de l’Afrique ou de l’Afrique centrale comme on l’appelle. Mais je voudrais s’il vous plaît, que vous me précisiez de quel pays d’Afrique du centre exactement vous venez. Est-ce du Congo, du Tchad, du Gabon, du Cameroun ou encore d’ailleurs ?
  • Non, Madame je ne suis d’aucun de ces pays que vous avez énumérés. Mon pays s’appelle République Centrafricaine. On l’appelle aussi Centrafrique.
  • Ah je vois ! Comme l’Afrique du Sud ou la République Sud Africaine et ses Sud Africains ?
  • Oui Madame, c’est un peu cela. Mais moi je ne suis pas Sud Africain. Je vous dis que je suis Cen-tra-fri-cain de la République centrafricaine; ou si vous voulez je suis Centrafricain de Centrafrique. Je viens d’un pays d’Afrique centrale qui n’est pas très connu je le reconnais. De manière générale, on ne parle de nous sur les chaînes internationales, que lorsqu’il y’a de mauvaises nouvelles ou des événements malheureux. Par exemple tout dernièrement, on a beaucoup parlé des centrafricains, quand ils ont commencé à s’égorger et à s’entretuer par centaines comme des bêtes sauvages. Après cela, on oublie tout de ce pays, jusqu’au prochain « début de génocide » .
  • J’essaie de vous suivre et de vous comprendre ; mais c’est un peu compliqué tout cela cher Monsieur. Voyez-vous, je reçois ici habituellement beaucoup d’Africains et pour la plupart, ils arrivent d’Afrique de l’Ouest. Ce sont donc des Ouestafricains, mais originaires soit du Sénégal, du Mali, du Burkina-Faso, du Niger, du Togo, du Bénin, de la Côte d’Ivoire etc…Là c’est plus facile à comprendre. Je n’ai pas encore rencontré un « Ouestafricain » qui soit venu de la « République Ouestafricaine » ou de « Ouestafrique ». Moi par exemple, je suis française et donc européenne. Mon pays ne s’appelle pas la « République européenne », mais plutôt la France. Je ne sais pas si vous comprenez un peu mon embarras Monsieur ?
  • Oui Madame, je vous comprends. Mais retenez tout de même Madame, que chez nous, tout Centrafricain est forcément un originaire d’Afrique Centrale. A contrario, tout originaire d’Afrique du Centre ou d’Afrique Centrale n’est pas obligatoirement Centrafricain ! C’est comme ça. Il y’a presque 60 ans, les ressortissants des autres territoires de l’ex Afrique Equatoriale Française (AEF) qui sont les Etats d’Afrique Centrale aujourd’hui, avaient refusé de s’intégrer au projet de la grande République centrafricaine que leur proposait Bathélémy Boganda notre Président- Fondateur. Alors, Boganda s’était fâché à l’époque et a décidé tout seul d’attribuer à l’unique territoire de l’Oubangui-Chari le nom de « République Centrafricaine ». Par conséquent, seuls les ressortissants de la Centrafrique de Boganda ou la nouvelle République centrafricaine, sont appelés Centrafricains jusqu’à nos jours. Tant pis pour les autres. Plus est, tous les pays d’Afrique centrale sont symboliquement représentés par chacune des couleurs qui forment notre drapeau ! Vous me suivez Madame ?
  • Je vois Monsieur. Mais tout ça m’a l’air compliqué. Votre Président –Fondateur, ne pouvait-il pas garder le beau nom de « Oubangui-Chari », ou proclamer une république portant un autre nom local et donc plus significatif ? Regarder par exemple : Congo, Tchad, Gabon, Cameroun, ce sont là vraiment des appellations originales, n’est-ce pas ? Enfin Monsieur, dois-je comprendre que la République centrafricaine appartient aussi à tous les centrafricains d’Afrique centrale ?
  • Euuuh, s’il vous plaît Madame, permettez que je vous dise à mon tour : tout ça m’a l’air compliqué…

Ce type d’échanges, de conversation ou plutôt d’interrogatoire, vous en conviendrez avec moi, chères lectrices et amis lecteurs, peu de Centrafricains y ont échappé. Personnellement, il m’est arrivé assez souvent, de m’y prendre à plusieurs reprises, avant de faire comprendre à certains de mes interlocuteurs, que je suis Cen-tra-fri-cain et non Sud-a-fri-cain. Quelques fois, il m’a fallu aller jusqu’à même évoquer le nom et les frasques du Centrafricain le plus connu au monde – feu sa Majesté Empereur Bokassa 1er -, pour qu’on arrive bon an, mal an – et non sans railleries -, à situer mon pays, à se rassurer de mon identité, et enfin, à se laisser convaincre de ma nationalité. Et quand des fois, toutes ces explications se révèlent insuffisantes, je recours immédiatement à l’inoubliable épisode des diamants centrafricains, autrefois offerts en cadeau à un ancien Président français. Vous vous en souvenez, si ce cadeau de diamants, avait finalement contribué à « soulager » de sa réélection ledit chef d’Etat, il lui avait toutefois, fournit l’occasion de garnir le répertoire des expressions françaises, grâce à sa très belle et mémorable réplique que voici : « il faut laisser les choses basses mourir de leur propre poison ».

A la vérité, je me suis souvent demandé, pour quelles raisons les Sénégalais, les Maliens, les Burkinabé, les Togolais et d’autres nationalités de cette région d’Afrique de l’Ouest, sont tous des « Ouestafricains », alors que le Tchadien, le Congolais, le Gabonais, le Camerounais et d’autres, ont du mal à se dire « centrafricain », ce qui, « étymologiquement » signifie ressortissant d’Afrique centrale. Et puisqu’un Centrafricain en vaut un autre, cela aurait suffit à faire d’eux – fut il abusivement ou par effraction -, des Centrafricains de Centrafrique notre pays. D’ailleurs, dans les faits, n’est-ce pas ce qui se passe actuellement avec tous ceux qui ont envahi la RCA et tiennent mordicus, qu’ils sont des Centrafricains et donc chez eux?

Au bout de mon raisonnement, il y’a l’idée que se dire « centrafricain » aujourd’hui, revient presque à se prévaloir d’une nationalité sans réelle identité territoriale. La République Centrafricaine n’a jamais vu le jour et donc n’a jamais existé en tant que réalité géographique concrète. Le territoire de l’ex Oubangui-Chari sur lequel nous vivons aujourd’hui, porte en fait un nom impropre et inadapté, qui plus est, le dépasse largement. Dès lors, pourquoi continuer à se complaire et à se satisfaire de ce nom de République centrafricaine qui appartient désormais à l’histoire? En effet, la grande République centrafricaine à laquelle Barthélémy Boganda avait rêvé, si elle devait encore se réaliser de nos jours, ne saurait ignorer les réalités actuelles, qui ne sont plus celles d’avant les indépendances. Aujourd’hui plus qu’hier, il nous faut veiller par tous les moyens, à ne pas laisser disparaître notre patrie, qui est cette terre de nos ancêtres, cette terre sur laquelle nous vivons.

Ceci dit, il y’a donc nécessité de dépasser cette appellation de RCA, pour aller vers quelque chose de plus significatif. Les Centrafricains doivent se résoudre aujourd’hui, à débaptiser la Centrafrique pour la rebaptiser d’un nouveau nom, plus original et plus adapté à leur identité propre, et à leurs propres réalités socio-culturelles. Nous devons nous rendre à cette dure réalité. Notre destin et notre avenir, sont aussi à ce prix.

Si je puis m’exprimer encore autrement, je commencerai par poser cette question: pourquoi faille-t-il que les Centrafricains s’entêtent à conserver encore de nos jours, cette appellation de « République Centrafricaine » que porte notre pays ?

A vrai dire, cette utopie de Barthélémy Boganda, en même qu’elle était devenue irréalisable, suite au rejet et au refus des autres chefs de gouvernement des pays de l’ex AEF, d’adhérer au projet qui leur était proposé , vidait ipso facto de tout son sens, l’intitulé « République centrafricaine ». Du coup, la RCA attribuée au seul territoire de l’ancien Oubangui-chari, devient un non-sens, fut-il pour le symbole.

D’ailleurs, une juste lecture de quelques déclarations ci-dessous de Barthélémy Boganda lui-même, retranscrites à partir de l’émission « Archives d’Afrique » d’Alain FOKA qui lui fut consacrée -, donne à comprendre qu’après l’échec du projet initial, l’actuelle République centrafricaine ne fut proclamée que par dépit, en même temps qu’elle se voulait un défi pour l’avenir :

« Il est tout de même surprenant que le territoire de l’Oubangui-Chari connu sous ce nom depuis une cinquante d’année, change brusquement et devienne République centrafricaine… Cela est un symbole »
« Je suis né congolais, je suis devenu oubanguien et aujourd’hui, je ne sais plus ce que je suis. Et c’est la raison pour laquelle, j’ai choisi le terme RCA pour désigner ce pays de l’Oubangui-Chari qui est devenu le mien »
« Du côté historique, ethnique et coutumier, nous avons des tribus identiques…Et c’est la raison pour laquelle, j’ai préféré donné à la République de l’Oubangui l’étiquette de RCA …nous avons espoir d’en arriver un jour à faire un grand ensemble avec tous ces territoires qui en somme ont toujours été sinon de même tribus, du moins de même vision.»

En tout état de cause, aujourd’hui, il nous faut avoir le courage de tourner la page. La République centrafricaine de Boganda est dépassée ou doit être dépassée. Mais, comme le disait si brillamment Léopold sédar Senghor « dépasser n’est pas renier, d’autant que dépassement n’est pas forcément supériorité, mais différence dans la qualité : nouvelle manière de voir, de vivre et de dire selon les nouvelles circonstances »

Et pour mettre tout le monde d’accord, pourquoi ne pas penser à proclamer la République de Zokwezo où vivra le peuple zokwezo de nationalité zokwezo ?

Vous avez dit authenticité ? Oui, mais pas seulement. Il s’agit d’opérer aujourd’hui une rupture vertueuse avec un certain passé qui nous cause insidieusement de graves préjudices. La véritable révolution, c’est aussi cela. Elle doit commencer par un réajustement de l’état civil !

Guy José KOSSA
GJK Le Villageois
Élève Certifié de l’Enseignement
Primaire,Tropicale et Indigène (CEP-TI)
Écrivain Public du Village Guitilitimö

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