LIRE AVEC GJK : D’UN PLAISIR SOLITAIRE À UN BONHEUR SOLIDAIRE Par GJK
Les amoureux du livre le savent : « lire c’est partir, s’égarer, faire des rencontres, s’arrêter pour réfléchir ou rêver, repartir en jubilant, écouter battre son cœur, se désaltérer, voler des cerises ou des pommes, avoir peur, avoir envie, s’émerveiller, se plaindre, s’interroger, se souvenir, et ainsi poursuivre, voyageur infatigable, jusqu’au bout du livre ».
Parmi les heures les plus heureuses de nos enfances, il y’a certainement ces moments les plus doux de la nuit, pendant lesquels, papa ou maman s’obligeaient à nous lire de belles histoires, des fables et des contes, pour à la fois nous instruire et nous bercer, en attendant l’instant de tomber paisiblement dans les bras de Morphée.
Plus tard, est venu pour les parents à leur tour, le temps de demander à nous entendre leur lire, nos livres et ouvrages scolaires que le maître ou le professeur nous ont commentés à l’école.
Pour ma part, parce que mon père et ma mère ne savaient ni lire ni écrire, je n’avais pas connu le bonheur de la lecture dans ma tendre enfance, et à peine, je pouvais réaliser ce que représentait le privilège d’avoir une bibliothèque à la maison. La nôtre n’en avait pas.
Paradoxalement, mon père en particulier – comme la plupart des parents de sa génération -, avait à cœur d’envoyer ses enfants à l’école, et au-delà de tout, tenait absolument à ce qu’ils appelaient et concevaient à l’époque comme la « réussite »: lire, écrire, parler, français, bref devenir un « Moundjou-vouko« , littéralement un » Blanc-noir » pour dire « fonctionnaire »…Pour cela, je me souviens, dès la maternelle et ensuite pendant mes deux années du primaire – avant que le destin ne nous sépare définitivement -, mon père éprouvait un profond plaisir, et son visage s’illuminait de me voir tracer sur mon ardoise les lettres de l’alphabet « i, u, o, a, e, é è, ê » ou lire les mots du PETIT SYLLABAIRE « papa, nono l’élève » ou encore les phrases du manuel LES PREMIÈRES LECTURES DE MAMADOU ET BINETA : « le poussin vient de naître » ; « les marchands vendent leurs marchandises » ; « chaque matin je vais au marigot » etc.
Quant à ma mère, vendeuse de poisson fumé au marché, je me souviens de l’avoir surpris plusieurs fois les yeux rivés sur des pages – souvent tournées à l’envers -, des journaux qui lui servaient à emballer les produits achetés avant de les remettre aux clients. Que cherchaient-elles sur ces pages ? Certainement le mystère qui se cachait dans les lignes tracées, celui qui permettait aux blancs de « renfermer » dans une feuille de papier la parole et des histoires, de telle sorte que seuls les noirs qui sont allés à leur école pouvaient « découvrir » ces secrets. En revanche, pendant longtemps, je me suis troublé à l’idée que ma mère complètement illettrée, était parfaitement capable d’ouvrir à la bonne page le livret de chants protestants « BIA TI SÉPELA NZAPA » ( Chants pour rendre gloire à Dieu) et chanter exactement le cantique de son choix. Un autre mystère.
Serait–ce pour « venger » mes parents, que j’ai ainsi cultivé mon goût du livre et de la lecture dès que j’ai pu? Peut-être. Quoiqu’il en soit, si j’aime les livres et la lecture, c’est aussi et surtout pour moi une façon de manifester toute ma gratitude et dire merci à mes parents qui m’ont offert cette opportunité et ouvert mes yeux aux prodiges de l’école, eux qui n’avaient pas eu la chance d’y accéder.
Aussi, j’estime aujourd’hui que la lecture devrait cesser d’être seulement une jouissance solitaire. Elle doit être ou devenir un plaisir de groupe, une joie partagée, un sport collectif, un bonheur solidaire. Et cela doit débuter dans la famille. Je crois personnellement que si les parents commençaient à se réconcilier avec la lecture, ils feraient germer chez leurs enfants la graine de cette passion.
Dans son livre “Faites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital”, le neurophysiologiste, Michel Desmurget explique entre autres : “C’est un cri du cœur, c’est-à-dire que quand on va dans la littérature, on s’aperçoit qu’il y a plein de choses qui sont bénéfiques au développement de l’enfant, comme le sport, la musique, l’art, etc. Mais quand on regarde les études, on s’aperçoit qu’il n’y en a aucune qui a des effets aussi profonds, aussi unanimes que la lecture. Du coup, on a envie de dire aux parents: Mettez vos enfants devant des livres, lisez avec eux. »
Mon souhait le plus profond, en lançant l’idée d’un podcast dédié à la lecture, c’est celui d’inciter les parents non seulement à lire pour eux-mêmes, mais surtout à lire pour les enfants, et si possible à publier des vidéo de lecture ou à me les envoyer pour diffusion. Ainsi, les enfants pourraient s’intéresser eux-mêmes à l’activité de lecture et utiliser les différents moyens techniques à leur disposition.
Et pour ne pas laisser le terrain libre à certains de ces « liveurs » qui n’ont rien d’autres à faire sur les réseaux sociaux que de nous abrutir, pourquoi ne lancerions-nous pas des « lives » de lecture à haute voix ?
Enfin, j’ose parier que si au sein des familles l’on parvenait à développer la passion de la lecture, chacun des membres se sentirait moins seul, se détacherait de plus en plus de son téléphone portable, et à table, au lieu de voir le silence s’installer et tout monde les yeux fixés à l’écran du smartphone, peut être préfèrerait-on partager ensemble l’histoire du livre qu’on vient de terminer ou celui qu’on est en train de lire.
Encore une fois, LA VIE EST UN LIVRE.
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