EN VEDETTE

SACRÉES MÉMÉS

Tara Katé était la tante de ma mère. Elle était la cousine de ma grand-mère maternelle. Elle habitait dans notre rue. Cette mamie était souvent sujette à des crises d’hypertension artérielles et autres maladies avoisinantes. Elle envoyait souvent appeler sa nièce, ma mère, pour venir contrôler sa tension artérielle ou lui prodiguer certains soins. Bon gré, mal gré, ma mère se rendait au chevet de cette tante dès qu’elle la sollicitait.
Tara Katé fut à son “corps consentant “ l’héroïne d’une histoire rocambolesque. J’étais encore un jeune lycéen. Les faits se passaient durant les vacances scolaires. Le beau-père d’une cousine venait de rendre l’âme.
Tôt le matin, le jour des funérailles, nous reçûmes la visite impromptue de la grand-mère en question. Elle semblait plutôt mal en point. Elle se trainait plus qu’elle ne semblait marcher. Elle geignit en disant à sa nièce qu’elle ne se sentait pas très en forme. Il suffisait d’un coup d’œil pour la croire sur parole ! Elle tenait toutefois, à aller vaille que vaille rendre un dernier hommage à l’illustre disparu. Ma mère lui fit remarquer que ce n’était pas très judicieux compte tenu de sa santé chancelante ! Mais essayez de raisonner une personne âgée, de ne pas se rendre à des obsèques… Sacrilège !
Cette “ sacralisation“ de la mort n’était pas l’apanage des personnes âgées. Hommes, femmes, jeunes, vieux, tous vouent un quasi-culte à Dame Mort. Il suffit, un jour de funérailles, de faire un tour dans les bureaux ou départements des services publics pour s’en rendre compte. Ils sont quasiment vides. Le temps a semblé s’arrêter.
Les funérailles en terre bantou… Un moment bien triste qui a également des allures de fête. Les cérémonies funéraires sont des événements qui rassemblent toute la famille ainsi que les amis et connaissances des uns et des autres. C’est “THE place to be“. On y pleure. On y prie. On y chante. On y danse et on y fait ripaille.
La grand-mère nous précéda car tenant à arriver tôt. Quelques temps plus tard, nous étions, ma mère, ses grandes sœurs, mes cousins et moi, tous assis ensemble et suivions le déroulé du cérémonial en cours. Après les prières, les temps de recueillement, les chants et les danses, arriva le moment réservé aux danses traditionnelles. Nous assistâmes à la formation d’une « procession” chantante dans la langue vernaculaire du défunt, à savoir le Sango. Non pas la version simplifiée et enrichie des autres locales et qui est devenue l’une des deux langues officielles. Mais plutôt celle, originelle, tirant sa source de la langue Mogbandi parlée le long des rives de l’Oubangui.
Les danseurs formèrent un cercle et se mouvaient en respectant le rythme et la cadence imposés par les musiciens improvisés qui jouaient du tam-tam et d’ustensiles en métal sur lesquels ils cognaient. J’éclatais subitement de rires en désignant à ma mère la principale cheffe de file des danseurs de circonstance. Il s’agissait de la grand-tante en question. Celle qui quelques heures plus tôt, marchait péniblement. Celle qui tantôt geignait que son corps semblait la lâcher. Celle qui, se lamentait et disait, devoir fournir un effort surhumain pour aller rendre un dernier hommage au De cujus !
Il fallait la voir bouger de tout son corps et donner le « La » des pas de la danse traditionnelle communément appelée le Lengue ou encore le Gbadouma. A ses côtés, comme co-lead, mémé Sidonie, une autre grand-mère de ma parentèle. Mémé Sidonie avait le bras maintenu en bandoulière par une écharpe. Elle aussi était sujette à des poussées de tension artérielle. Elle souffrait en outre de la maladie de la goutte et était une bonne cliente d’autres sympathiques malaises. Il serait difficile, pour qui ne les connaissait pas, de croire le bilan sanitaire que je viens de vous partager.
Ma mère soupira en disant qu’il y a vraiment des gens qui n’ont pas pitié d’elles-mêmes ! Elle n’avait nullement besoin de lire dans une boule de cristal ou de consulter les génies des ancêtres pour savoir ce qui allait se passer. Elle allait devoir jouer les infirmières bénévoles pour ces dames. J’étais mort de rire. Nous ne fûmes pas déçus. Le soir même, les deux danseuses étoiles du troisième âge étaient alitées en bien piteux état !
Notre voisine envoya chercher sa nièce pour prendre son « attention », c’est-à-dire, vérifier l’exactitude de la poussée de sa tension artérielle. Il s’en suivra des soins, des injections et autres traitements. L’autre diva du ballet traditionnel improvisé de la matinée n’en menait pas large non plus puisqu’étant sujette aux mêmes malaises.
Cet « incident » provoquera pendant un bon bout de temps bien de fous rires et plaisanteries lorsque nous l’évoquerions. Vous penseriez que cela servirait de leçons à nos chères mémés… Que nenni ! C’était plus fort qu’elles ! Sacrées mémés ! Que leurs âmes reposent en paix.

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