Chronique du Village Guitilitimô

SOUVENIRS DES WEEKENDS D’AUTREFOIS

Par GJK
L’Élève Certifié du Village Guitilitimö

C’était autrefois et au temps d’avant. Bien avant que toutes ces choses-là n’arrivent. L’ambiance et les plaisirs du samedi étaient tels qu’ils étaient. Et tels qu’ils avaient été, on aurait voulu que tels, cette ambiance et ces plaisirs-là demeurent encore et toujours. Mais  c’était autrefois et au temps passé.  Et c’était  donc il y’a  fort longtemps.

En ces temps-là, je n’étais encore qu’un gamin, un innocent bambin pas plus haut que cinq épis de maïs. Quel âge avais-je à ce moment-là ? Sept, huit ou neuf ans ? Peut-être dix. Je ne me rappelle plus exactement. Mais à l’évidence, j’étais déjà un enfant assez mûr et suffisamment agile, que les yayas, mama-kèttè, baba-kèttè , koya  et leurs amis d’alors, aimaient bien envoyer accomplir leurs « missions secrètes » du samedi et des weekends.

En fait de « missions secrètes », il s’agissait d’aller remettre en toute discrétion, de petites lettres d’amour ou d’invitation, rédigées généralement sur des bouts de papier par des « grands frères » en pleine conquête, et adressées aux « grandes sœurs » des concessions voisines ou du quartier.

Pardi ! Quelles aventures ce fut pour moi et mes jeunes camarades de cette époque.

D’abord en chemin, le curieux polisson que j’étais, ne pouvait s’empêcher de dévorer subrepticement le contenu de ces plis remplis de batifolages enflammés et autres déclarations enfiévrées faites à leurs dulcinées, par de fins dragueurs du samedi et baratineurs impénitents ou « jeunes premiers » d’alors . En voici  quelques spécimens :

« Nata mon cœur percé d’amour, sans toi je ne pourrai plus vivre…à ce soir comme convenu…Ton chéri Toubouge – Là où je passe l’herbe ne pousse plus »

 « Ada mon ski bonbon glacé alaska…je t’aime plus que moi-même…Tout à l’heure dans notre nouveau coin caché…Tivanos l’homme né avant son père et sa mère »

« Coco mon biscuit au chocolat…si tu me refuses j’irai me jeter dans la mer du fleuve Oubangui …Calao l’homme qui tire plus vite que son ombre»

« Ma très chère Ana…j’ai pensé à toi toute cette nuit. Je suis prêt à t’offrir tout ce que ton cœur désire…Satanic Bracelet des jeunes filles »

 « Lyly mon Soleil qui ne s’éteindra jamais… je te jure que je ne te tromperai jamais avec une autre fille… Jackson l’homme qui traverse la mer sans bateau »

 «  Mimi mon trésor…on n’aime qu’une seule fois dans la vie. Si tu es un arbre je suis  l’écorce… Tokis – Ami des filles – ennemi des garçons »

 Et patati et patata.

Le plus terrible et le plus atypique du groupe des « apprentis amoureux », était indiscutablement l’oncle Kengougba, un petit villageois du bled, arrivé dans la capitale sur le tard, pour y poursuivre ses études en classe de troisième à l’âge de 22 ans. Il s’était donné pour surnom «  Kengs L’homme qu’on peut  haïr mais qu’il faut surtout craindre ». Et  comme s’il avait une vengeance personnelle à prendre sur  son passé et le temps perdu, oncle Kengougba détonnait sur toute la ligne. En tout, pour tout  et partout, il ajoutait toujours une fantastique et prodigieuse touche d’excentricités : il mangeait à l’excès,  buvait plus que de raison, fumait comme une cheminée, draguait en tirant sur tout ce qui bouge, et bavardait sans arrêt comme une pie. Ses habits et chaussures hors norme, obligeaient tous ceux qui le  croisaient en chemin, à se retourner et à s’y reprendre une paire de fois, avant de se convaincre qu’ils n’étaient ni en présence d’un extra-terrestre, ni en train de faire eux-mêmes un cauchemar en marchant. Pour tout dire, Kengs travaillait et étudiait aussi à l’excès. Au lycée, il s’appliquait tant et si bien que même ses professeurs et ses collègues, avaient  fini par croire qu’il était « anormalement intelligent ». Il avait terminé sa carrière de brillant juriste comme avocat. Aux dernières nouvelles, la « poussière » de création qu’il fut, est retournée  à cette terre jalouse, pour  redevenir poussière par la volonté du Créateur suprême. C’est le destin de tous.

Ceci dit,  mes missions secrètes ou opérations commandos, n’étaient pas toujours aussi simples. Elles  m’obligeaient souvent, à pénétrer – même par effraction -, dans des concessions privées pour remettre aux « grandes sœurs » les bouts de papiers des « grands frères » dragueurs. Et ces missions se passaient quelques fois très mal. Souvent, j’avais  été accueilli par des chiens méchants. Dans ces cas, je ne devais mon salut qu’à mes petites jambes et à mon agilité de bambin. Par ailleurs et à plusieurs reprises,  il m’était arrivé, de tomber sur des « grandes sœurs » fort peu sympathiques. Celles-là ne me donnaient même pas l’occasion d’ouvrir la bouche pour exposer l’objet de mes visites impromptues. Immédiatement, elles se mettaient à me pourchasser comme un malpropre,  pilon et  kèkè ti gozo – grande spatule – en mains, si ce n’est une bassine remplie d’eau chaude ou froide. Des fois encore, c’était  les « parents vigilants » ou des  aînés jaloux de leurs sœurs,  qui me faisaient détaler comme un petit lapin. Mais avec les cadets des « grandes sœurs », des garçons de mon âge, tout finissait par s’arranger. On arrivait toujours à s’entendre à travers un échange de bons procédés, car ces petits garçons aussi, partaient de temps en temps remplir des « missions secrètes » à notre domicile, et donc étaient  aussi porteurs de bouts de papiers adressés aux « grandes sœurs » de chez moi. Quoiqu’il en soit, nous nous surprenions de constater la plupart du temps, que les « grandes sœurs » qui aimaient jouer les saintes nitouches ou les « cœurs incorruptibles », finissaient presque toujours à batifoler en galante compagnie de ceux qu’elles avaient auparavant envoyé « se faire foutre »  à travers nos petites personnes.

Au demeurant,  mes amis et moi, si nous aimions bien les samedis et les weekends, c’était aussi  à cause des « missions secrètes ». Et si nous prenions tant de risques à les accomplir malgré tout, c’était surtout parce qu’elles nous permettaient de gagner quelques pièces d’argent que les indécrottables dragueurs nous tendaient pour nous encourager et nous pousser auprès des « grandes sœurs ». Alors, plus nous prétextions de « gros risques » que nous encourrions,  plus nous nous  faisions prier, et plus cela  nous rapportait de petites pièces d’argent.

Ainsi, chaque weekend, grâce à toutes les sommes perçues  suite à nos diverses opérations, mes amis et moi, pouvions nous permettre d’organiser nos petites sorties et nous faire pleinement plaisir. Nous nous achetions d’abord, des friandises, du yaourt et des bonbons. Puis l’après midi aux environs de 15 heures, nous nous rendions aux abords des avenues Barthélémy Boganda ou David Dacko, où, assis ou debout, nous passions le temps à bavarder, mais surtout à admirer toutes ces grandes personnes en train de partir pour le weekend, à bord de leurs belles voitures d’autrefois : Wolskwagen, Peugeot 403, 404, Citroën 2 CV ou 3 CV, Ami 8, « LN divorcé », Renault 6, 12 ou 16 etc. Il y’avait aussi des vélos Solex, des files de mobylettes plus ou moins neuves qui nous attiraient, et plus particulièrement, le célèbre cortège que formaient les amis du « club Peugeot » de l’époque. Toujours habillés à la mode, chaussures bien cirées et impeccablement assis au guidon de leurs engins, ces « crâneurs » d’avant, roulaient lentement sur la chaussée, dans le but de susciter toute l’admiration des foules de petits badauds auxquels nous nous mêlions. Le clou du spectacle des weekends sur les avenues,  c’était le passage sous nos applaudissements nourris, des amis du « club Vespa » : Attila, Ebenezer, Coplan, Salut les Copains, Joe Dassin, Mike Brant et tant d’autres. Pendant tous ces moments, l’on pouvait nous entendre lancer à  tue-tête des cris accompagnés de « mbi-la, mbi-la » – c’est moi c’est moi-, ou « ti mbi la, ti mbi la » – C’est à moi c’est à moi -, question  de nous identifier à telle ou telle autre de ces vedettes banguissoisss d’hier, ou de nous attribuer, rien que  pour le plaisir, tel ou tel engin de notre rêve d’enfant. Le soir venu, nous nous dirigions tous en groupe, dans une ambiance bonne enfant, vers la salle de cinéma du Centre Jean XXIII. Nous payions chacun environ 25 FCFA l’entrée, pour regarder les films de notre âge, dont la plupart racontaient des histoires de jeunes héros. Quant aux scènes les plus spectaculaires, nous étions très loin de nous douter que certaines n’étaient que d’ingénieux montages.

De cette manière, se passaient  simplement nos samedis et nos weekends de mômes, avec tous ses plaisirs et toutes ses joies. Mais malgré tout, qui à sept, huit, neuf ou dix ans, en contemplant la splendeur factice de l’univers des adultes, pouvaient s’empêcher de rêver ? Et enfants, tous, nous avions rêvé de grandir rapidement. Tous, nous avions souhaité et attendu avec une grande impatience, l’avènement de l’adolescence puis de l’âge adulte. Nous espérions pouvoir enfin être libres, et avoir  tous les moyens de faire à notre tour, tout ce que seules pouvaient se permettre les grandes personnes, qui faisaient l’objet de notre admiration juvénile, ou de notre « innocente et sainte jalousie».

Hélas!  Il y’a longtemps, très longtemps même que beaucoup d’entre nous, ont perdu toutes leurs illusions d’enfance et de jeunesse. Le temps a fait ses ravages sur nos chairs mortelles, les responsabilités, les déceptions et les soucis, ont pris quotidiennement du volume et du poids ; l’adversité, « la sottise, l’erreur, le péché, la lésine, occupent nos esprits et travaillent nos corps, et nous alimentons nos aimables remords, comme les mendiants nourrissent leur vermine ».

Qu’à cela ne tienne, chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses mœurs.

GJK-Guy José KOSSA
L’Élève Certifié du Village Guitilitimö

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