Chronique du Village Guitilitimô

MIRACULÉ


Par GJK

L’Élève Certifié du village Guitilitimö

Le village Kouâkêmbi n’était que désolation. La horde de meurtriers – pillards qui s’était introduite en ce temps-là, avait tout incendié, tout détruit : cases, maisons et hangars, champs et greniers. En un clin d’œil, ils avaient également tout emporté : vaches, veaux, cochons, cabris, chèvres, moutons, chiens et volaille, ainsi que les récoltes, les réserves et tous les sacs remplis des semences de cultivateur.

Mais l’agression s’était surtout soldée par une hécatombe. En un instant, notre petit village d’ordinaire si vivant, fut défiguré et transformé en un ruisseau de lymphe écarlate, dégoulinant des chairs humaines en lambeaux. Le sol était parsemé de dizaines de cadavres d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards, tous, atrocement tués à l’arme blanche, ou froidement abattus au pistolet-mitrailleur.

À l’exception de quelques cris d’oiseaux, toute vie avait cessé. Il régnait sur le village Kouâkêmbi, un silence funeste et triste, en permanence troublé par le bourdonnement des abeilles en nuées multicolores, et les vrombissements de grosses mouches bleu-vert, voltigeant sans arrêt au-dessus des restes humains. Entre les cadavres, un canard en chaleur poursuivait sa femelle, tandis qu’une poule et sa couvée ayant échappé aux malfrats, tournoyaient gaiement en picorant distraitement dans des tas grouillant d’asticots.

Un peu plus à l’écart des tou, se trouvait allongé, le corps sans vie d’une pauvre paysanne gisant dans sa mare de sang coagulé. C’est à cet endroit, qu’on avait retrouvé le bébé âgé à l’époque de trois mois à peine. Les yeux mi-clos et la bouche entrebâillée, il souffrait de déshydratation avancée et n’avait visiblement plus aucune force. Cependant, comme un naufragé cramponné à sa bouée de sauvetage crevée, l’enfant gardait ainsi les deux mains solidement accrochées, aux deux seins flasques et desséchés de sa maman. Celle-ci avait été sauvagement égorgée la veille. De la même manière que son mari et leurs trois grands enfants qui n’avaient pu atteindre, les forêts lointaines comme certains villageois.

Moi, j’étais laissé pour mort, dans un trou derrière la case. Les quatre membres brisés à coups de pilon.

Un groupe de paysans alertés, arriva le lendemain, du village frère de Guitilitimö, situé non loin de kouâkembi. Ils nous retrovèrent à demi-morts parmi les morts.

Aussitôt, grâce à quelques outils abandonnés sur place et ceux qu’ils avaient emmenés avec eux, ces braves hommes se mirent à creuser plusieurs fosses suffisamment larges, dans lesquelles ils s’empressèrent d’empiler tous les cadavres en putréfaction et d’autres à moitié dévorés par des charognards en fête. Quelques-uns des paysans, se mirent à fabriquer à la hâte, des brancards de branchages, sur lesquels furent placés la dizaine de survivants que nous étions, avant de se dépêcher d’atteindre l’église de la ville la plus proche. Là s’entassaient déjà des centaines de réfugiés venus des campagnes environnantes. Entretemps en chemin, il y ‘eut encore des morts parmi les blessés les plus graves du village Kouâkembi.

Tant bien que mal, l’on s’occupait de nous. Et au bout d’un peu plus d’une année de soins, nous serons seulement cinq à être sauvés : le vieux couple assis devant la case juste à côté de la mienne. Il s’agit des grands-parents de la fillette que vous voyez en train de courir là-bas. Ses parents font partie des victimes enfouies dans la fosse commune. En même temps que ma fille, son mari et leurs trois grands enfants.

Il eut un silence et la voix en larmes reprit calmement: « Je suis resté seul au monde avec mon unique petit-fils qui joue avec la fillette dans la cour. »

À ce point de sa narration, le vieux Sionitrèkoua, ne put refouler le torrent de ljaillissant de ses yeux de septuagénaire atteint de cataracte.

Déodate et Benoîte, profondément émus, n’avaient quant à eux, cessé de pleurer chaudement depuis le début de ce récit. L’histoire de Bienvenu Opéré, ce petit garçon miraculé, alors âgé d’un peu plus de trois ans au moment de l’arrivée en octobre 2015 au village Kouâkembi du couple venu de Paris, avait en effet défrayé la chronique dans de nombreux journaux qui eurent à traiter de ces événements tragiques survenus en fin 2012, au cours de la marche sur Bangui, des criminels de la nébuleuse Séléka. Une randonnée sanglante, suivie quelques mois plus tard, par l’éclosion des non moins criminels groupes antibalaka.

Déodate et Benoîte, eux, avait lu l’histoire du « Miraculé de Kôuâkembi », racontée dans le journal La Croix, par une missionnaire chirurgienne et pédiatre évacuée de Bangui. Celle-là même qui avait pris le bébé en charge lorsque, à demi-mort d’inanition, il fut amené au Centre sanitaire catholique du coin. C’est à cette époque que remontait la décision du couple sans enfant, d’adopter si possible un orphelin centrafricain. Au moins.

Arrivés seulement la veille à Kouâkembi – samedi soir -, il fallait pourtant à Déodate et Benoîte, reprendre la route aussitôt, ce dimanche aux environs de 14heures, le temps de rouler encore trois jours pour parcourir à peine 800 km. Ils devaient ensuite prendre leur vol Bangui-Paris le vendredi suivant, afin d’être sûr de regagner La Ferté-Gaucher, leur petit coin de paradis. Ils tenaient absolument reprendre le travail lundi matin.

Le vieux Sionitrèkoua reprit son récit.

« Bienvenu que vous voyez courir, il vivra très longtemps. C’est l’une des fortes convictions que j’emporterai dans ma tombe. En fait, son deuxième prénom « Opéré », il le doit à son arrivée difficile dans ce monde de vivants : une intervention chirurgicale qui avait failli mal tourner, et pour sa maman et pour lui. Dieu merci, ils furent sauvés tous les deux par la même « Sœur Hélène » qui allait le ramener à la vie trois mois plus tard, quand il fut retrouvé presque mort, allongé auprès du cadavre de sa maman.

Si Bienvenu Opéré est encore vivant aujourd’hui, c’est qu’il n’est pas mort. S’il n’est pas mort c’est qu’il est né pour vivre. C’est un mort vivant. Lui-même pourra un jour le raconter à tous et dire : LA MORT NE VEUT PAS DE MOI ou plus exactement J’AI RESISTÉ À LA MORT. C’est d’ailleurs ce que veut signifier KOUÂKEMBI, le nom de ce village.

Du reste, vous êtes arrivés de la France où vous vivez. Vous êtes venus jusqu’à moi, un vieux qui n’attend que la fin de ses jours. Vous m’avez raconté votre propre histoire. Vous voulez partir avec mon petit fils Opéré. Le même que personne, même pas les Blancs de la mission catholique, n’ont pu me convaincre de l’emmener. Je vous ai entendu. Sachez-le, dès que vous êtes entrés sous mon toit délabré, une voix intérieure m’a parlé. Ma fille et son mari, s’ils avaient vécu en France, peut-être seraient-ils vous. Vous êtes donc mes enfants. N’insistez plus. Je vous remets sans condition votre fils Bienvenu Opéré. Faites-en sorte qu’il vive comme lui-même a pu s’accrocher à la vie ».

Spontanément, Déodate et Benoîte tombèrent les deux genoux à terre. Les bras levés, ils plongèrent leurs yeux dans l’immensité céleste, et plusieurs fois, leur front alla du sol vers le ciel, et du ciel vers le sol. Dans un mouvement si rythmé et synchronisé, qu’on eut dit que le couple s’était soumis à une répétition de quelques jours, avant de se décider à « atterrir » au village Kouâkembi.

Quand Benoîte – qui avait épousé la vilaine manie des dames blanches toujours prêtes à intervenir avant ou à la place de leur mari -, tenta d’ouvrir la bouche pour dire quelques mots au vieux Sionitrèkoua, sa voix s’était éteinte. Ce fut alors Déodate qui réussit, mais non sans difficultés, à placer dans son « sango-moundjou », quelques mots, véritable condensé d’une litanie de « merci »

On était aux environs de 13H30. Plus que 30 minutes, et il faudra bien rentrer à Bangui. Benoîte fit signe à Joseph, le chauffeur qui les avaient amenés. Il se mit aussitôt à décharger les tas de cartons remplis d’effets divers – habits, chaussures, boîtes de conserve, sacs de riz, livres, médicaments, matelas,couvertures, draps, jouets, radio, télévision…-, que le couple avait ramené de France. Déodate sorti une petite enveloppe pleine de billets « craquants » de 500 FCA qu’il tendit au vieux Sionitrèkoua. Mais celui-ci déclina l’offre, faisant valoir qu’il ne voyait et ne savait pas à quoi tout cela pouvait désormais lui servir. Aussi, il a fallu l’intervention du chauffeur et toute la sagesse du vieux couple de la case voisine. Ils firent comprendre calmement au vieux Sionitrèkoua, qu’un refus de sa part, attirerait de multiples malédictions sur son petit-fils que lui-même avait volontairement accepter de confier au couple. C’est alors que Sionitrèkoua tendit les deux mains, prit l’enveloppe d’argent, la bénit et remit à garder au vieux couple voisin.

Bienvenu Opéré lui, était déjà prêt, bien « sapé » dans son pantalon Jeans’s, un T-shirt Lacoste et aux pieds, une belle paire de mocassin. On le plaça sur le siège arrière de la 4/4 que le chauffeur était en train de manœuvrer pour placer en position de départ. Avant que Déodate et Benoîte ne prennent place à leur tour. C’est à ce moment que le vieux Sionitrèkoua, leur souffla quelques mots en même temps qu’ils leur demandaient d’attendre un instant sur le petit banc où ils étaient assis depuis le matin.

Le vieux Sionitrèkoua s’en alla deviser quelques instants avec ses voisins, le seul vieux couple encore en vie dans le village Kouâkêmbi. Dès leur retour, les trois villageois demandèrent à Déodate et Benoîte, s’ils accepteraient de prendre également avec eux Viviane, la petite fille du vieux couple. Elle paraissait déjà si rongée par la tristesse à l’idée de n’avoir plus aucun enfant avec qui s’amuser dans ce village de trois vieillards et quelques grandes personnes toujours occupés par les travaux champêtres.

Déodate et Benoîte n’en croyaient pas leurs oreilles. N’avaient-ils pas projeté de faire une fille et un garçon après leur mariage ? N’avaient-ils pas envisagé d’adopter deux enfants pour combler leur infécondité ?

Quand le bonheur abonde et que la joie surabonde, les larmes débordent. C’était le cas de notre couple du paisible village de La Ferté-Gaucher en France. Déodate et Benoite, deux amoureux si heureux, et dont les yeux s’étaient transformés en vannes de robinets grandes ouvertes, d’où jaillissaient des larmes pétillantes d’allégresse!

Enfin, la 4/4 moteur allumée, était prête à se lancer, transportant à son bord, outre Joseph le chauffeur, Déodate et Benoîte, un couple definitivement comblé de deux enfants, Bienvenu Opéré et sa sœur Viviane.

Le vieux Sionitrèkoua s’approcha une dernière fois du véhicule, fit des bénédictions, et souffla quelques mots à Déodate et Benoîte.

« Mes enfants, si la mort ne m’emporte pas avant, je vous enverrai une lettre. Au revoir et merci d’être venu jusqu’à nous ».

Que va contenir la lettre du vieux Sionitrèkoua ? (À suivre)

GJK-Guy José KOSSA
L’Élève Certifié du village Guitilitimö

 

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