Chronique du Village GuitilitimôCoup de coeur

CVG-10 : LA DIGNITÉ DES VILLAGEOIS EN QUÊTE DE STABILITÉ

A l’instar des autochtones du village Guitilitimô, beaucoup de paysans réfugiés en brousse, décidèrent également, de revenir s’installer à nouveau, sur les terres de leurs ancêtres, qu’ils avaient été contraints d’abandonner. C’est le cas notamment des villageois des agglomérations rurales de Ba-na-lè, Kanga-bê et Zia-ala-tènè. Depuis bientôt une année, ils étaient obligés de partir vivre dans des campements de fortune, érigés en pleine forêt équatoriale, pour fuir les nombreuses exactions des Séléka et des Antiballes-a-ka. Tout compte fait, les habitants de ces petites communautés rurales de la RCA et bien d’autres encore, en sont arrivés, pourtant sans concertation, à la même conclusion en se disant: « à quoi bon rester là à gémir sur nos malheurs, surtout quand on ne peut absolument rien attendre, rien demander et rien espérer de qui que ce soit ? De toute évidence, le gouvernement de transition, et les autorités de Bangui, semblent s’être finalement résignés à reconnaître et à accepter que la situation de plusieurs provinces du pays, échappe désormais à leur contrôle. De ce fait, même si ces provinces font toujours théoriquement  partie de l’espace territoriale centrafricain, elles ne constituent plus cependant, des motifs de  préoccupation majeure pour le gouvernement ». Aussi, afin de conjurer le sort si cruel qui veut les anéantir, les paysans dans chaque village, entendent à tout prix transformer eux-mêmes, leur existence quotidienne. Voilà pourquoi, ils ont commencé à se réorganiser sérieusement. Ils se remirent à travailler beaucoup plus durement qu’auparavant, afin disent-ils, « de rattraper non seulement le temps perdu, mais surtout, d’honorer la mémoire de nos morts qui ne sont pas morts, qui ne sont pas partis ».

Mais alors qu’ils avaient pris de très bonnes résolutions par rapport à l’avenir, les habitants de Ba-na-lè, Kanga-bê, Zia-ala-tènè, Guitilitimô, se trouvèrent bien vite en face à de problèmes graves et inattendus de cohabitation. En effet, tous les villageois de toutes les agglomérations, ont  jusqu’ici vécu en parfaite harmonie. Avant les événements qui ont provoqué la grande crise, la religion, l’ethnie d’origine et les activités de chacun, passaient pour ainsi dire inaperçues. Des familles entières regroupent encore aujourd’hui, des chrétiens, musulmans, incroyants, animistes ; tout comme on peut compter dans ces mêmes familles, des cultivateurs, des éleveurs, des ouvriers et des marchands. Tout le monde s’est toujours senti centrafricain et il était inconcevable de traiter l’autre d’étranger, « sale musulman » ou de « chrétien kirdi ». Pour ne citer que l’exemple de Guitilitimô, prenons ces quelques cas symptomatiques : la plus grande boutique et le plus grand commerce du coin, sont tenus depuis plus de quatre générations, par Adadji Bonbon et son frère Aladji Garba. Nul ne doute, qu’il s’agit là de la famille la plus riche du village, mais aussi de loin, la plus grande, compte tenu du nombre d’épouses, d’enfants et de petits enfants etc… Avec les événements, ils furent obligés comme tout le monde, de se mettre à l’abri. Va- t-on aujourd’hui, leur refuser de rentrer chez eux dans le village de leurs grands-parents, comme font tous les autres villageois ? Par ailleurs, Kolabingui et son ami Deganaï, ainsi que Adama et Youssoufa, les deux garçons de la famille Adadji Souleyman, furent parmi les premiers jeunes villageois qui, face aux graves exactions de la Séléka, ont décidé de se constituer en milice d’auto-défense pour protéger Guitilitimô. Ces braves garçons, de « victoire en victoire », petit à petit, s’éloignèrent tous les quatre du village, pour se retrouver au final à Bangui. Aux dernières nouvelles, Kolabingui et son ami Deganaï auraient été embrigadés et font désormais partie de « l’aile dure » des Antiballes-à-Ka. Quant à Adama et Youssoufa, on les a aperçus dernièrement tous les deux, en première ligne des combats qui ont opposé les troupes de la Séléka aux forces internationales de Sangaris et Misca. Si ces jeunes gens ne sont pas morts dans les batailles, et décident demain de rentrer dans leur village, les habitants de Guitilitimô ne devraient-ils plus les laisser revenir chez eux ? Et que dire des orphelins égarés, du malheureux Mustapha, le peul éleveur du village, dépouillé de son argent et tué par son « frère » Nguigaza, qui lui-même a été abattu par des Sélékas qui l’ont surpris ? Tout cela, la grande majorité des villageois de Guitilitimô refugiés en forêt, l’ignoraient. C’est dire que dans tous les villages, chacun avait choisi son camp, et chaque village se révèle être un condensé de tous les choix. La débandade provoquée à l’époque, par les bandits Séléka et les voyous Antiballes-à-kala, était telle que pendant les « razzias » et le sauve- qui-peut général, déclenché à chaque « convoi de la mort », personne n’avait le temps de choisir ou réfléchir à la direction à prendre. Au sein d’une même famille, les uns partaient d’un côté, les autres de l’autre côté; au bout de la course, personne ne se souciait plus de personne, et les membres des familles ne cherchaient plus à savoir ce qu’étaient devenus les leurs.

Avec les retours dans les villages et le rétablissement progressif de la paix, s’annonce aussi l’heure des véritables bilans et des comptes à rendre. Comment les villageois devront-ils se comporter ? Quelles solutions proposées en vue de rassurer les uns et de dissuader les autres ? Le vieux Mbi-na-ala-Midowa, était totalement absorbé à ses pensées, ce qui lui fit manquer cet après-midi, les enseignements de l’Université Populaire de Guitilitimô (UPG), pour préparer la réunion du conseil villageois qui devait se tenir à l’aube.

Juste au moment de sortir de sa case pour aller chercher le jeune Kparakongo, il vit arriver, un cortège d’environ cinq véhicules 4X4 tout-terrain. En sortirent, d’abord, Tante Sioni-yanga-c’est-notre-tour, suivie de Oncle Ganatênê. Il aperçu également descendre outre les chauffeurs, plusieurs autres personnes dont notamment, l’affable Têka-mö-Têgue, le boulimique Wara-mô-tê, et son frère Wara-mô-yon, le super alcoolo-résistant.

Tante Sioni-yanga-c’est-notre-tour, rayonnante et richement vêtue, ainsi que toute sa délégation, avançaient d’un pas rassuré vers les cases du village. Quand elle ne fut plus qu’à quelques mètres, elle se mit à crier le nom du vieux, Mbi-na-ala-Midowa et disait : « merci, merci papa, merci à toi pour ce que tu as fait pour moi ta fille; merci pour toutes les fétiches que tu m’avais remises papa ! Ça a marché papa ça vraiment bien marché! Macathy n’est plus qu’une bébête ! Elle n’est plus qu’une marionnette, un jouet, un pion entre mes mains ! La véritable Présidente c’est moi !!! Je décide tout, je fais tout, même si elle croit décider elle-même. Je suis riche, très riche ! Le ciel, la terre, l’argent, l’or, les richesses de ce monde, la puissance  m’appartiennent, je… ».

Tante Sioni-yanga-c’est-notre-tour, continuait de se livrer à ses délires, et elle arriva à la hauteur du grand hangar de l’Université Populaire de Guitilitimô (UPG). Guimowara-le-savant, poursuivait tranquillement son exposé du jour. Alors, Vieux Mbi-na-ala-Midowa, fit un grand signe ferme à Sioni-yanga-c’est-notre-tour et sa délégation, et leur enjoignit de garder le silence et de le suivre dans un endroit éloigné, où était dressée la paillotte réservée aux hôtes du village. Là, vieux Mbi-na-ala-Midowa, qu’avait suivi le jeune Kparakongo, se mit à écouter les visiteurs, sans dire un seul mot.

En effet, loin des légitimes et honnêtes préoccupations paysannes, la bande constituée par Ganatênê et sa sœur aînée, Tante Sioni-yanga-c’est-notre-tour, les deux co-fondateurs et dirigeants du fameux Cabinet TK-TG (Tèka-mo-Tèguè), sévissait et sévissait de mieux en mieux, surtout après l’annonce du remaniement de l’équipe gouvernementale. Le nombre des victimes de cette supercherie, cette association de malfaiteurs, augmentait, et augmentait de plus en plus. Curieusement, c’était pour la plupart, des victimes surtout consentantes et fières de l’être. Et comme il arrive souvent pour ce genre d’entreprise, plus Ganatênê et sa sœur aînée, Tante Sioni-yanga-c’est-notre-tour, devenaient puissants financièrement, plus ils prenaient des risques, se montraient aussi arrogants qu’imprudents. Le fameux Cabinet TK-TG (Tèka-mo-Tèguè), avait atteint en moins de deux mois, un rythme de croisière jamais égalé en matière de crime financier. Tant qu’ils pouvaient soutirer le maximum, plus rien n’empêchait Ganatênê et Sioni-yanga-c’est-notre-tour, de jouer les stratégistes et les analystes pour les relations présidentielles et gouvernementales d’un côté, et de l’autre, les barons des transactions nauséabondes d’un secteur nauséabond que celui des richesses minières en Centrafrique. Il est étonnant, à ne rien y comprendre, qu’en RCA, les présidents et membres des familles présidentielles, ne s’inspirent que des mauvais exemples de leurs prédécesseurs. Ainsi par exemple, on entend souvent Sioni-yanga-c’est-notre-tour se prendre pour la véritable détentrice des véritables pouvoirs présidentiels, comme le furent naguère, Gbagalama la soeur de Bokassa 1er, Piliwa la sœur de Kolingba, ou encore Kéléfio, la sœur de Bozizé. S’agissant des signes extérieurs de richesse, l’on touche au summum de l’insolence du pouvoir en Centrafrique : 4X4 rutilantes, bijoux en or massif, voyages, et soirées mondaines, rythment désormais la vie des membres de la famille présidentielle de Saint Kouango. Ce qui paraît étonnant sans l’être au fond, c’est qu’au pays des blancs où il se trouve, le propre fils de Macathy que tout le monde a vu il n’ ya pas si longtemps, veut en moins de quatre mois, absolument ressembler à Teodoro Nguema Obiang Mangué, le fils pétro milliardaire du Président Equato-guinéen. Aussi, on le voit afficher exactement les mêmes comportements que ses cousins et cousines analphabètes. On le voit se déplacer désormais en voiture conduite par un chauffeur, fils d’un ancien ministre ; organiser régulièrement des nuits arrosées en boîte de nuit avec des dizaines d’amis à sa charge; effectuer chaque weekend, des allers et retours Paris-Bangui-Paris, uniquement pour venir puiser dans les coffres de la République, des dizaines de milliers d’euros à satisfaire ses « folies ». On comprend alors aisément pourquoi, à n’importe quel prix, y compris celui du ridicule, de vieux routiers séniles et serviles, grands habitués des mangeoires présidentielles, se sont acoquinés les uns aux autres, au sein de l’ACDP (Alliance des Conspirateurs pour le Détournement de Pouvoir), dans le but de noyauter le système Macathy, qu’ils encouragent à se porter candidate à la présidentielle, dans l’unique dessein de lui soutirer le maximum d’avantages financiers et matériels et d’accéder à des postes ministériels.

Tante Sioni-yanga-c’est-notre-tour, n’avait pas encore fini de raconter tous les motifs de sa visite, au patriarche vieux Mbi-na-ala-Midowa, quand  de l’autre côté, elle vit arriver Guimowara-le-savant. Les deux cousins, ne s’appréciaient pas du tout et le courant n’est vraiment jamais passé entre eux, à cause de leur caractère et de leur conception diamétralement opposée de la vie. Tante Sioni-yanga-c’est-notre-tour se leva brusquement et sans dire au revoir, et ordonna à sa délégation de la suivre. Sous les yeux médusés des villageois qui suivaient attentivement la scène, Guimowara-le-savant rattrapa les visiteurs et les obligea à s’arrêter. Alors, de sa voix de stentor, il s’adressa à sa cousine tranquillement en disant :

« A toi, ton mari et tes enfants je voudrais dire ceci : Vanité des vanités, tout est vanité. Quel avantage revient-il à l’homme de toute la peine qu’il se donne sous le soleil? Une génération s’en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours ».

Le soir était tombé sur le village de Guitilitimô. Une brise légère souffla, et toute l’atmosphère du village paraissait pénétrée par des effluves magnétiques. Tandis que les villageois semblaient éprouver une félicité sans borne, a contrario, les gens venus de Bangui, étaient visiblement mal à l’aise et honteux d’étaler tant de luxe face à tant de misères matérielles. Tante Sioni-yanga-c’est-notre-tour, suivi de Oncle Ganatênê, se retirèrent avec toute leur délégation, donnant l’impression, malgré tout, de faire plus pitié au lieu de donner envie aux villageois, qui les virent partir au loin.

Retrouvez l’ensemble des chroniques du village Guitilitimôici

 GJK – L’Élève Certifié
De l’École Primaire Tropicale
Et Indigène du Village Guitilitimô
Penseur Social

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