Chronique de GJK

CENTRAFRIQUE : QUELLE DÉMOCRATIE PEUT-ELLE NAÎTRE DES BAÏONNETTES ET CANONS OU DE CETTE TRANSITION BOITEUSE ?

« Personne ne veut vivre dans un pays où la brutalité et la corruption l’emportent sur les règles de droit. Car cela n’est pas la démocratie, mais de la tyrannie, et il est temps, maintenant, que cela cesse ! » (Barack Obama)

C’est un bien triste destin pour des millions de Centrafricains, de venir au monde, de grandir et vieillir, – voire mourir – dans de telles conditions abjectes de dénuement matériel, mais surtout psychologique et moral. C’est cet environnement sociétal, qu’impose au peuple malheureusement, une éternelle et même engeance de prédateurs politiques boulimiques et insouciants, avidement agrippée au pouvoir depuis plusieurs dizaines d’années. Le murmure des êtres humains qu’on continue de massacrer chaque jour à Bambari ou ailleurs, le silence de ceux qui meurent par centaines dans nos hôpitaux ou à la maison faute de soins, le soupir de tous les exilés internes qui peinent à retrouver leurs habitations ; bref, les inquiétudes et le désespoir des populations centrafricaines, oscillent ainsi depuis des mois, des ténèbres de l’oubli, à la lumière du grand jour, pour s’installer sous la lueur blafarde de l’indifférence collective.

A jamais je me souviendrai de Mutin, ainsi qu’on appelle cet adolescent de 18 ans, à tous points de vue semblable à des centaines de milliers d’autres jeunes de Centrafrique. Le jour agité de sa naissance ce 12 avril 1996, fut tristement aussi celui du décès de la mère de Mutin ; fauchée par une rafale de tirs de kalachnikov d’un soldat mutiné et indiscipliné, ayant pris pour cible le « taxi course », – touché en maints endroits sans sommation – , à bord duquel l’époux et sa femme qui venaient à peine de se marier, avaient eu le malheur de prendre place, contraints qu’ils étaient, de rejoindre de toute urgence la maternité où devait accoucher pour la première fois la jeune dame. Jour fatidique s’il en est, alors que naissait – ainsi à la vie – un être fragile et innocent, sa maman dans la fleur de l’âge, tombait brutalement arrachée à cette même vie, victime d’une arme inintelligemment manipulée par un militaire stupide, imbécile, aveugle et sans doute drogué.

Mutin fut élevé à la fois par une grand-mère qui le chérissait tendrement, et son père demeuré célibataire, fonctionnaire au salaire très modeste, qu’il ne perçoit de surcroît que trois fois en moyenne par année civile. C’est le sort de la grande majorité des fonctionnaires centrafricains. Notre jeune adolescent malgré tout l’amour dont il était couvert par les uns et les autres, ne connut cependant jamais, la douceur et la chaleur, ainsi que les joies et les plaisirs que seule peut procurer au « fruit de ses entrailles » une vraie mère. Par-dessus tout, la société centrafricaine dans laquelle a grandi et vit Mutin, comme tous les enfants de sa génération et de celles qui ont juste précédé, demeure caractérisée depuis sa naissance, par une succession de troubles socio- politiques récurrents, de coups d’état manqués ou réussis, et surtout des bruits de bottes des rébellions qui poussent dans tous les coins de la République Centrafricaine. Tout cela a entraîné pour Mutin, de nombreuses années blanches ou grises, et une scolarité très amoindrie. D’ailleurs, pour le désigner plaisamment, certains des proches amis de notre « héros », ont fini par l’affubler dorénavant du nom de Rebelle – prénom Mutin – ou encore, scolarité « mutinerie », diplôme « rébellion ».

Mais au-delà de l’histoire personnelle et de l’existence atypique de Mutin Rebelle, l’on retrouve exposée en filigrane, la vie du prototype même de certains jeunes, aujourd’hui âgés de 18 à 30 ans, n’ayant presque pas bénéficié d’une éducation scolaire et universitaire véritable, pour ne pas dire simplement sans éducation. Certains, se sont vus « achetés » par leurs parents et tuteurs, les différents passages en classes supérieures, ainsi que tous leurs diplômes, CEPE (Certificat d’Etudes Primaires et Elémentaires), BEPC (Brevet d’Etudes du Premier Cycle), et Baccalauréat. Pour les plus « chanceux », ils se sont retrouvés en fin de cycle de l’université de Bangui, avec une licence ou une maîtrise, vendues « aux enchères aux plus offrants et derniers enchérisseurs ». Que l’on ne soit donc pas étonné de croiser les chemins de jeunes Centrafricains « diplômés », s’exprimant très difficilement ou très mal en français, – langue d’apprentissage scolaire –  et incapables d’écrire ne fut-ce que deux petites lignes d’une rédaction quelconque, sans que l’on ait envie de verser des larmes. Ces jeunes gens, tenez-vous bien, ce sont eux qu’on retrouve, à ne point s’en douter, aux postes de cadres ou agents de maîtrise, en train de donner des ordres dans différents services de l’administration centrafricaine ou du secteur privé. S’ils ne font pas partie des FACA, ou ne sont pas devenus des Anti-balakas ou Séléka, – car la rébellion est un business qui marche à merveilles en RCA, et recrute énormément, en même temps qu’elle permet d’accéder facilement à de hautes responsabilités – la plupart de ceux qui ont osé poursuivre leurs études à l’étranger, ont dû souvent se reconvertir ou trouver d’autres issues. Bref à qui la faute, si ce n’est à un système vicieux et « pourri » à la base, et qui risque de se perpétuer, si l’on y prend garde, pendant encore au moins quatre générations au minimum ?

Il existe des lois de la nature, qui veut que chaque être engendre son semblable, ou que placées dans les mêmes conditions, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Certains philosophes ont entretenu quant à eux, pendant des dizaines d’années, le débat sur la fin et les moyens. Dans la situation actuelle de la RCA, peut-on croire vraiment, qu’une rébellion, quelle qu’elle soit, puisse contribuer de quelque manière, à la restauration de la démocratie ? Les régimes de Bozizé et de Djotodja, ont-ils réussi à instaurer le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ? »

De même, à observer attentivement l’actuel régime de transition en place, et dont le fonctionnement est loin d’être un modèle de gouvernance démocratique, l’on peut à juste titre se demander si un tel régime peut réussir à engendrer le modèle de démocratie que tous les Centrafricains attendent et espèrent ?

Plus j’y pense, plus je me dis que la question n’est plus aujourd’hui de savoir quand est-ce que tout cela prendra fin, mais plutôt, de se demander, si et comment, tout cela finira ? A la vérité, les baïonnettes et canons des rébellions armées peuvent elles imposer par la force le retour à la démocratie ? La réinstauration de celle-ci, peut-elle provenir de cette  transition malade, et dont les principaux acteurs semblent plutôt développer une culture de médiocrité et de prédation ?

Décidément, la Centrafrique rend fou. Et des centrafricains, effectivement fous, tiennent à rendre fous, ceux qui ne sont pas du tout fous, et ceux qui ne sont pas encore totalement fous.

GJK – L’Élève Certifié
De l’École Primaire Tropicale
Et Indigène du Village Guitilitimô
Penseur Social

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