Religion

CENTRAFRIQUE : LE BATEAU BATTANT « PAVILLON CENTRAFRICAIN ». RAMER ENSEMBLE ! ENSEMBLE DANS LE MEME SENS !

« Chacun doit se dépasser pour être artisan de paix, en surmontant les égoïsmes personnels, et surtout l’orgueil qui est à la racine des discordes ».

Homélie de Monseigneur Joachim Ndayen à l’occasion de la messe pour la paix en Centrafrique et dans le monde, le dimanche, 21 juin en l’Eglise Sainte Bernadette de Champigny sur Marne (94). 12èmedimanche ordinaire, (Job 38, 1, 8-11 ; II Cor. 5, 14-17 ; Evangile de St Marc 4, 35-41

Mes chers compatriotes,

Monsieur l’Ambassadeur de Centrafrique,

Chers amis,

Il est agréable d’observer que c’est toujours avec le même empressement que nous nous retrouvons au mois de juin pour cette célébration « centrafricaine » de l’eucharistie.  Elle a dérivé de l’église St Merri de Paris, vers celle de Bry-sur-Marne, pour se stabiliser ces derniers temps à Ste Bernadette de Champigny, que le Père Irénée met volontiers à notre disposition. Qu’il en soit remercié.

«Maître (ou Seigneur), nous sommes perdus. Cela ne te fait rien ? »

L’évangile de ce jour nous raconte l’épisode de la tempête apaisée, comme il y a trois ans. Dans quel contexte Jésus apaise-t-il cette mer déchainée ? Jésus vient de prêcher longuement à des foules nombreuses au bord de la mer de Galilée, qui mesure 21 km de long sur 12 dans sa plus grande largeur. Il parle du Royaume des cieux, en se servant des paraboles. Il s’inspire surtout des exemples de la nature, car son auditoire et majoritairement des paysans, cultivateurs et éleveurs. D’où, la parabole du Semeur (Mc 4), celle du grain qui pousse tout seul (Mc 4, 26) du grain de sénevé (Mc 4, 30). Auparavant, il avait guéri des malades (Mc 1. 2 et 3) et affronté la mauvaise foi des Scribes qui attribuaient sa puissance à la force du prince des démons (Mc 3,22). Bref, il y a de quoi en être fatigué.

Comme tout homme normal, qui aspire quelque peu au repos, il propose à ses disciples de passer sur l’autre rive du lac. Même là encore, il continuera les guérisons, et recevra un peu plus de reconnaissance des personnes guéries (Mc 5 et 5, 21 ss). Le voici dans la barque, d’autres suivent. Ils étaient quasiment en cortège, car Jésus ne les laissait pas indifférent.

Jean relate la stupéfaction des gardes envoyés par les pharisiens et les grands prêtres pour arrêter Jésus, et qui sont retournés bredouilles en leur disant (Jn 7, 46) : « Jamais homme n’a parlé comme cela ».

La bible présente habituellement la mer comme un élément dangereux, symbole du mal, habitacle des monstres marins (Ps 74/73 ; Is. 27, 1 ; Ap. 12-13). Ce coup-ci, c’est l’équipe de Jésus qui en fait les frais.

Nous retrouvons un peu dans cet épisode, nos représentations traditionnelles de Nyama-ti-Ngou, de Mami-wata qui attaquent l’homme de bien dans nos fleuves et rivières.  Pendant que la barque se remplit d’eau, et que la tempête est à son comble, Jésus, lui, dort paisiblement et à l’arrière. C’est à se demander comment il fait, malgré tout ce branle-bas !

Jonas dormait aussi de la sorte dans la cale d’un bateau, alors que durant une traversée périlleuse de la mer de Tharsis, chaque matelot, effrayé, priait son propre dieu pour implorer le sauvetage du navire (Jon. 1). La tempête ne se calma que lorsqu’on jeta Jonas à la mer et qu’un poisson énorme l’engloutit pour 3 jours et 3 nuits. Ce signe de Jonas, Jésus se l’appliquera pour signifier sa mort et sa résurrection, dans les mêmes temps (Mt 12, 39-40) : Trois jours dans la tombe avant de ressusciter le 3ème jour.

Ce sommeil de Jésus, ne l’expérimentons-nous pas souvent, lorsqu’il semble indifférent à nos problèmes ? Qu’il paraît absent alors que son peuple dépérit ?
Mais savons-nous crier comme les disciples : «Maître (ou Seigneur), nous sommes perdus. Cela ne te fait rien ? »

Les Psaumes reprennent à satiété ces refrains d’appels au secours (Ps.44, 24-Ps.35, 23). De même les prophètes (Is. 51, 9-10). Il est vrai que nous nous sentons démunis devant les forces dévastatrices des catastrophes naturelles : tremblements de terre, inondations, foudre… Le silence du ciel paraît aussi mystérieux que Dieu lui-même, dont nous disons qu’il est bon ! Il me semble que notre petite intelligence se posera toujours cette question jusqu’à la fin des temps. Il faut tout de même se dire que si certaines calamités ne dépendent pas de nous : typhon, cyclone, tsunamis, foudre, d’autres répondent à notre négligence : feux de brousse, ébola, sida. Pensons par exemple à ces villes construites au pied des volcans, dont on sait qu’ils se réveilleront un jour !…

Dieu n’interviendra pas miraculeusement pour nous arracher à tous les périls des forces de la nature. Il laisse aussi la liberté des hommes s’exprimer contre sa propre volonté. Ainsi les juifs pouvaient-ils assassiner son fils sans qu’il envoie des cohortes d’anges pour le défendre (Jn. 18,36 – Mt. 26, 33). Jésus a accepté cette mort cruelle par amour pour nous. Il donne sa vie pour ceux qu’il aime et il la reprend de lui-même.

Le navire Centrafricain prend l’eau de toute part.

Retournons-nous à nouveau dans le bateau battant « pavillon Centrafricain ». Il est construit depuis 1958 par le peuple lui-même, avec la barre de premier prêtre de leur pays. Lorsqu’il donnait l’impression de dormir sur un coussin à l’arrière, parce que fatigué, et que le peuple criait au secours, sa parole ramenait le calme. Mais ce n’est qu’une comparaison avec l’époque coloniale.

Le navire Centrafricain prend l’eau de toute part. Dieu nous donne la capacité de colmater les brèches et de le lancer au large. Mais attention, en ramant ensemble ! Ensemble dans le même sens. Ici, riverains ou pas riverains, nous avons des pagaies dans tout le pays, une action commune est possible. Des pays voisins qui ont connu pendant des décennies des soubresauts semblables se sont dit : Plus jamais ça ! Ils se sont remis à ramer pour aller sur l’autre rive et semblent y être parvenus.

Dieu respecte notre liberté. Il ne nous forcera pas à aller où nous ne voulons pas aller. Il ne nous offrira pas la paix malgré nous. Il ne suffit pas de prier du bout des lèvres. Ces supplications doivent se traduire en actes concrets d’attitudes positives, dans la gestion des personnes et des biens, dans la lutte contre la corruption et le tribalisme, dans le refus de la guerre et de la dissémination des armes.  Bref, dans le développement du pays.

Il semble que pour les jours à venir, il y ait une petite centaine de compatriotes à vouloir briguer la responsabilité suprême en Centrafrique. On ne peut que les encourager, s’ils veulent suivre BOGANDA et catalyser en eux un peu de ce qu’il y avait de bien chez tous les successeurs! Ils n’étaient pas tous mauvais à 100%.

Mais je crains fort que nous ayons du mal à comprendre, comme St Paul nous dit dans la lettre aux Corinthiens qui nous a été lue, que « le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né » (II Co. 5, 17).

Ils doivent vraiment se parer de vertus pour tout renouveler.

Jésus lui-même, de riche qu’il était,
s’est fait pauvre afin de nous enrichir de sa pauvreté

Un certain nombre de compatriotes encore semblent avoir compris qu’il faut agir. D’où l’explosion des associations. Certains pour expédier des colis d’habits, des livres. C’est l’urgence. C’est bien ! Mais on les habitue à recevoir et à ne pas faire quoi que ce soit pour eux-mêmes… D’autres pensent à la formation par l’édification d’écoles. C’est mieux. D’autres encore pensent aux dispensaires à réaliser ou à équiper en lits et en médicaments.

Je ne connais pas beaucoup de projets dans le domaine de l’agriculture et de l’élevage ! Il est vrai que c’est une activité que n’aiment pas tellement les diplômés ! Or, c’est là qu’est l’avenir de notre pays. Les futurs chefs d’Etat devront commencer par là, me semble-t-il.

On constate donc que nous cherchons à sortir notre peuple de la pauvreté, c’est du moins ce que l’on entend dire. Même les Nations Unies ont un programme pour réduire la Pauvreté de moitié, à une date donnée, dans les pays du tiers Monde.

Et pourtant dans l’esprit de la Bible, la pauvreté est une vertu (Sir.11, 14 ; 13, 24), car pauvreté et richesse, dit le livre de l’Ecclésiastique, viennent de Dieu. Jésus lui-même, de riche qu’il était, s’est fait pauvre afin de nous enrichir de sa pauvreté (II Cor.8, 9). Mais de la richesse, il y a danger. C’est pourquoi, volontairement, les religieux font vœu de pauvreté et vivent en communauté, mettant leurs biens ensembles, en se refusant l’appropriation de possessions importantes. La vierge Marie, dans le magnificat chante la louange des affamés qui sont comblés de biens, tandis que les riches sont renvoyés les mains vides (Lc 1, 53). Ce sont les pauvres qui héritent du Royaume des cieux. « Des pauvres, dit Jésus, vous en aurez toujours avec vous » (Jn.12, 8).

Vous me direz peut-être que l’ensemble des Centrafricains ira au ciel en raison de leur pauvreté ? Non, car il y a des pauvres qui s’accrochent au peu qu’ils ont, au point d’en être aveuglés et avoir des comportements de riches qui ne partagent pas ! Dans ce cas, le pauvre doit avoir un cœur dépouillé et orné de vertus pour mériter le Royaume (Mt.5, 3). C’est la misère qui est socialement et humainement dégradante, pas la pauvreté comme telle.

Comme nous ne sommes pas que mauvais !…

J’ai appris, par ouï-dire, que vous vouliez prier particulièrement pour moi en ce jour, à l’occasion de ma 80ème année de vie. C’est bien sympathique de votre part. Comme nous ne sommes pas que mauvais !…

Excursus pa.12 : « Le soir venu, Jésus dit à ses disciples : Passons sur l’autre rives »

Quatre-vingts ans venus, c’est le soir !… C’est le temps de passer sur l’autre rive, car c’est le soir de la vie. Je dis généralement que je n’ai pas d’avenir terrestre devant moi. J’ai amorcé la dernière ligne droite, mais elle est verglacée. En revanche, je regarde souvent dans le rétroviseur de mon parcours, ou plus prosaïquement les changements de mon pays.

Je me souviens très bien du 13 août 1960. J’étais avec le Père Dobozendi, à minuit, au Palais de la Renaissance, à écouter le discours d’Adama Tamboux, celui du Ministre Malraux, représentant du Général de Gaulle, les 21 coups de l’indépendance de la République Centrafricaine… Quelle promesse ?

C’est un beau pays qui va à la dérive, parce que nous ne ramons pas tous dans le même sens pour faire avancer la barque. Ceux qui le font en sens inverse ont des bras plus musclés. Non seulement, on n’avance pas, mais on recule.

D’abord les centrafricains, heureusement, se retrouvent facilement ensemble pour des fêtes, des deuils. C’est bien ; mais ne vous y trompez pas, ils sont en train de dire du mal de celui-ci, de celui-là, gratuitement ; sans qu’ils soient obligés de la faire. Dire du bien des autres ? Vous croyez au miracle vous ? Abandonnons ces vilaines et vielles habitudes.

Nos familles, nos foyers se disloquent à souhait. Que de mésententes entre les parents eux-mêmes, puis entre les parents et les enfants ; et entre les enfants. Que faire ?

Chacun doit se dépasser pour être artisan de paix, en surmontant les égoïsmes personnels, et surtout l’orgueil qui est à la racine des discordes. Les personnes, les familles, la nation, c’est un tout.

Je dirais que je pensais souvent au passé et au présent de notre pays, de la manière dont il a été gouverné, des entrechocs des partis, des groupes d’influence, des tribus, des intérêts financiers, la course au diamant et à l’or…

Nous ne faisons pas confiance aux responsables que nous plaçons aux postes de responsabilité. Nous faisons des procès en sorcellerie au premier venu, dès qu’il apporte un peu plus de sérieux dans le travail ; et surtout, s’il a la caisse et qu’il l’a verrouillée. Je me souviens encore, comme si c’était d’hier, de la longue et pathétique lettre qu’un premier Ministre d’alors, actuellement Ambassadeur de Centrafrique à Paris (que je ressalue), avait publiée (en m’envoyant amicalement une copie), pour se plaindre de l’impossibilité dans laquelle il se trouvait de travailler librement. !

Il se trouve qu’il existe souvent une lutte sourde ou ouverte entre le clan qui emprisonne le Chef de l’Etat et le gouvernement qui, lui, est au travail en principe. Alors, comment ramer ensemble, surtout dans la tempête pour traverser la mer ? C’est une situation qui est endémique chez nous. Il arrive parfois qu’il y a parfaite harmonie entre le groupe du Chef du gouvernement, et s’ils sont d’accord pour vider la caisse, c’est alors la dévastation.

Chers compatriotes, chers amis,

Merci de cette célébration, qui actualise mon anniversaire (qui a eu lieu le 22 décembre).

Mais merci surtout pour être venus solliciter au Seigneur la Paix dans notre pays.

Que ces rassemblements ne deviennent pas un simple rite. Nous devons nous imposer un engagement pour une vie meilleure, en faveur de nos enfants, de nos familles, de nos couples et pour notre Centrafrique déchiré.

Que Dieu nous aide et nous garde.

Amen

Joachim Ndayen

Transcription :
Joseph GRÉLA
L’élève du cours moyen
de l’école indigène
de brousse de Bakouté

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