À vous la parole

AIMER LE PEUPLE, C’EST AMÉLIORER SES CONDITIONS DE VIE

1-    Un ancien étudiant pas comme les autres

De Boali, nous avons fixé le cap vers Kouzindro où nous sommes arrivés aux environs de 10h30. Après les tralalas habituels, faits de danses folkloriques et de discours convenus, nous avons choisi de visiter l’école primaire. Grande fut ma surprise d’être reconnu par l’instituteur que, par contre, je n’ai pas reconnu au premier abord.

–  Bonjour Monsieur LAMESSI !

–  On se connaît ?

–  Oui, vous m’avez enseigné la Psychologie générale quand j’étais en DEUG 1 de Sociologie, à l’Université de Bangui. J’aimais bien votre matière. Après deux années d’échec, j’ai passé le concours des instituteurs de Bambari. Je fais partie, après cinq années d’attente, de la dernière vague d’intégration et je suis affecté ici. C’est depuis six mois que j’attends le premier salaire qui ne vient toujours pas. Mes enfants sont restés avec mes parents à Bossangoa et ma femme est partie à la rivière mettre le manioc à l’eau. Il faut bien se débrouiller. A la guerre comme à la guerre.

En à peine quelques secondes, il m’a raconté toute sa biographie. Mais qu’est-ce que je l’admire. Mais qu’est-ce que je l’aime. Spectacle insolite ! Spectacle, hors du temps ! Une classe surchargée de 120 à 130 élèves, assis à même le sol. Deux classes réunies en une seule, CE1 et CE2. Il n’y avait ni tableau, ni craie. L’instituteur, un homme maigre et sale, écrivait sur un carton avec  du charbon de bois pour enseigner sa leçon du jour. De tels compatriotes sont de véritables héros que nous devons honorer.

J’ai dû lui donner un ou deux billets de je ne sais combien de francs CFA. Il a pu manger peut-être un ou deux jours. Et puis après ? Qu’est-ce qu’il est devenu ? Je me suis toujours demandé pourquoi un pays qui exporte du Bois ne peut pas offrir des tables-bancs dans toutes nos écoles ?

La meilleure manière de prévenir le drame que connait malheureusement aujourd’hui le peuple centrafricain, c’est d’offrir à la jeunesse l’enseignement et la culture. C’est pourquoi il faut beaucoup investir dans l’éducation.

2-    Le village où tout le monde est malade

Hier, de la Sous-Préfecture de Mbrés nous n’avons pu aller à Koukourou, le dernier village de la Nana Gribizi avant Ndélé. Il nous était fortement déconseillé de continuer parce que les Zaraguinas avaient déjà fait remarquer leur présence la veille en assassinant des voyageurs et pillant leurs biens. Après avoir évalué les risques, nous avons pris la seule décision qui vaille : il ne faut pas tenter le diable. Mais alors, les compatriotes qui vivent tous les jours en compagnie de ces bandits de grand chemin, qui les protège ? Ce sont ces pensées saugrenues qui me trottaient dans la tête sur le chemin de retour. Un Etat qui ne peut protéger ses ressortissants, n’est pas digne de respect.

Pour parcourir 60 kilomètres qui séparent Kaga Bandoro à Ndénga, nous avons passé quatre heures en route. Quatre heures de calvaire, de misère et de souffrance. Il fallait sortir du véhicule de temps-en-temps, pour couper les hautes herbes et les troncs d’arbres qui barraient carrément la route. Il y avait des crevasses partout. Le chauffeur musulman, un véritable génie, roulait à 10 ou 20 km/h pour nous empêcher le vol plané dans le précipice. Ce qui aurait signifié la mort certaine.

Arrivés enfin à Ndénga, nous avons remarqué que tout le monde était malade : hommes, femmes, enfants, notables, etc. C’était à l’évidence une épidémie de grippe qui a sévi. Personne ne pouvait parler. Tout le monde était triste, se tenant la tête et fatigué, toussant et se mouchant. Nous avons distribué nos provisions de comprimés de paracétamol, d’aspirine et quelques antipaludéens. C’est un village qui est loin de tout : pas de dispensaire, ni de centre de santé. Que veut dire politique pour cette population ? Comment solliciter la voix de ceux qui sont privés de tout ? Le moment est venu de rendre la santé accessible à tout le monde.

Sur le chemin de retour, nous sommes arrêtés dans un village dont je n’ai plus le souvenir du nom. Au contraire de Ndénga, tout le monde est heureux et euphorique. C’est la danse et le chant qui dominent. Les jeunes et les moins jeunes, les femmes et les hommes, viennent de rentrer des champs où ils ont travaillé dur. Ils se distraient. Tout le monde a beaucoup bu du « douma », cet alcool de mil et du miel. Tout le monde est saoul. Notre présence en soi était un spectacle. Tout le monde nous a applaudis et accouru pour nous accueillir. Nous avions eu droit à toutes les embrassades et à toutes les marques de sympathie. Pas question de dire quoique ce soit, personne n’est disposée à écouter. Une jeunesse livrée à elle-même, sans objectif et sans moyens, se console comme elle peut.

3-    La belle dame de Takara

Takara est le dernier village de Kaga-Bandoro avant l’Ouham. Bouca et Batangafo ne sont pas loin. Le Tchad, c’est tout juste à côté. Takara est peuplé majoritairement des Lutos, une minorité dont on parle très peu.

Lorsque nous sommes arrivés à Takara, le village était vide. Tout le monde était parti au champ et les enfants certainement à l’école. Seuls quelques cabris et des chiens galeux et paresseux se prélassaient à l’ombre des arbres. Il faisait excessivement chaud. J’avais soif. J’avais très, très soif. Nous avions tout bu. Il n’y avait aucune bouteille d’eau.

Il y avait une femme qui pilait du manioc. Son enfant de presque 5 ans lui tétait désespérément un sein flasque et vide. Je sortis du véhicule, suivi de mes compagnons de route. Je m’approchai de la dame et lui demandai si elle pouvait me donner de l’eau à boire non sans l’avoir saluée au préalable.

La belle dame de Takara se leva d’un bond. Elle jeta le pilon et arracha brutalement l’enfant de son sein qui se mit à vociférer. Elle courut vers un demi-fût contenant une eau de pluie sale, de couleur métallique où surnageaient des précipités noirs. Elle prit un gobelet en aluminium cabossé, sale et plein de mouches, qui traînait par terre et dont elle avait pris soin de nettoyer le fond sur son pagne qui était loin d’être propre. Elle puisa l’eau qu’elle me tendit avec deux mains,en baissant légèrement la tête, en signe de respect et de considération.

En voyant l’eau tellement sale, je n’avais plus envie de boire. J’avais pris le gobelet d’eau et je l’ai tendu à la Présidente des Ouali-gara. Elle avait refusé de boire, prétextant qu’elle n’avait pas soif. Je l’avais tendu au Président des bouchers, il avait refusé de boire prétextant qu’il était en ramadan. Je l’avais tendu à la représentante des femmes, elle s’était carrément détournée et était allée cracher. Et le représentant de la jeunesse? « Je ne peux pas boire avant les vieux, je respecte la tradition », me dit-il, l’air vraiment convaincu. Argument imparable mais combien fallacieux.

J’étais en face de la belle dame de Takara qui me regardait, toute souriante. Allais-je aussi refuser de boire cette eau qu’elle m’avait donnée avec une si grande générosité ? Comment aurai-je pu refuser sans l’offenser surtout que c’était bien moi qui le lui avait demandé ? Et eux qui boivent cette eau toute l’année, pourquoi ne pas boire ce qu’ils boivent ?

J’ai bu toute l’eau. Et j’avais encore soif. La belle femme de Takara me demanda : En voulez-vous encore ? Je dis oui. Elle me donna un autre gobelet sale rempli d’eau sale que j’ai bu jusqu’à ne plus avoir soif. Il faut dire que j’avais bu malgré moi. Dieu merci, je suis encore en vie. En me souvenant de la belle dame de takara, je me dis quecreuser des puits dans tous les villages, c’est donner de l’eau potable à nos compatriotes. C’est améliorer les conditions de vie de nos compatriotes.

Alain_Lamessi2

Alain LAMESSI

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2 commentaires

  1. J’ai pris soins de lire vos écrits,je suis épleuré,malheureusement pour nos compatriotes qui sont privée de tous.Que Dieu les assistent,nous devrions dénoncer ces genres de l’injustices.Travailler durement pour sauver des vies est salutaire.

  2. Cela remonte à quand cette histoire contée par Mr Lamessi? De l’année 2013, 2014?…;on aimerait bien savoir car c’est très émouvant.

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