Chronique du Village Guitilitimô

QUESTIONS DE PETITE FILLE

Par GJK

Le weekend dernier, pour recevoir un petit groupe de mes amis de cinquante ans et certains de nos aînés, j’ai choisi de sortir et d’apprêter ma petite collection d’anciennes boîtes de lait guigoz des années soixante. Quelques jours auparavant, nous nous étions convenus, de nous servir en guise de verre et pour l’occasion, de ces mémorables boîtes de notre enfance. Question de déguster comme à l’ancienne, nos bouteilles de bière fraîche et surtout le bon « kangoya » que l’un d’entre nous venait de ramener de Bangui. Mais question aussi, de nous rappeler les souvenirs de l’époque de nos mamans en particulier. En ces temps-là, elles aimaient souvent nous envoyer dans le bistrot du coin, payer et vider leur bouteille de Mocaf « bien glacée », dans une « calissi ». Et aussitôt qu’on était revenus, elles s’emparaient de la « calissi », qu’elles posaient généralement et discrètement en dessous du banc sur lequel elles étaient assises tranquillement. Ainsi, pendant qu’elles bavardaient entre elles, elles pouvaient savourer avec bonheur tout le plaisir de la bière glacée, en même temps qu’elles s’activaient en cuisine et veillaient sur la marmite posée à même le foyer ardent.

De nos jours encore, on peut trouver ces célèbres et inoubliables « calissi » en voie « d’extinction », surtout dans les endroits où le « kangoya » – vin de palme – est vendu, comme le long de la route qui mène vers la ville de Mbaïki.

Ainsi donc, alors que je venais de poser ces minutieuses boîtes de lait guigoz de ma collection sur la tablette, et avais entrepris de les nettoyer, ma petite fille, Maelys Raya de son prénom, toujours aussi curieuse que sa mamie et loquace comme son papy, est venue tout gentiment s’asseoir près de moi.

Aussitôt, s’engagea entre nous le dialogue suivant :

  • Papy qu’est-ce que tu fais là ?
  • Je nettoie mes boites de lait guigoz
  • De lait quoi ?
  • lait guigoz je t’ai dit. C’est le lait que ta mamie et moi buvions quand nous étions bébé (mais à vrai dire moi, j’ai été surtout nourri à l’incontournable bouillie de « koulou » )
  • Hoooooooo papy!

Et je vis la petite Maelys partir d’un rire ; mais alors d’un fou rire auquel sur le coup je ne comprenais rien du tout. Aussi, comme elle n’est pas du genre à arrêter de poser des questions jusqu’à ce qu’elle obtienne les réponses voulues et qu’elle soit satisfaite, Maelys revint s’asseoir à nouveau et le dialogue entre nous deux pouvait reprendre :

  • Toi et mamie, vous étiez des bébés et vous avez bu le biberon ?
  • Oui, nous aussi, nous avions été des bébés, nous avions pleuré, nous avions bu le lait sorti des seins de nos mamans, nous avions pissé dans le lit, nous…

Et Maelys prit subitement l’air grave et attentif, de celle qui ne réalisait pas ce que ses oreilles venaient d’entendre. Alors, avec la détermination de l’enfant qui voulait en savoir toujours un peu plus, elle poursuivit son « interrogatoire » :

  • Mais papy ! je ne vous ai pas vu lorsque vous étiez des bébés toi et mamie
  • Tu ne pouvais pas nous voir bébés, Maelys. Tu étais dans le ventre de ta maman
  • Okééééé donc c’est maman et papa qui vous ont vus quand vous étiez bébés alors ?
  • Non, ton papa était dans le ventre de ta mamie Brigitte ; et ta maman était dans le ventre de ta mamie Sidonie. Donc ton papa et ta maman ne pouvaient pas voir ton papy et tes mamies quand ils étaient des bébés

Maelys était troublée et ne semblait pas comprendre mes explications de vieux garçon.

  • Donc papa et maman aussi étaient des bébés ?
  • Oui ils étaient nos bébés comme toi aussi tu es leur bébé
  • Okééééé

Il eut un long temps de silence pendant lequel j’étais occupé à nettoyer mes boîtes de lait guigoz. Mais la petite Maelys ne tarda pas à revenir à la charge :

  • Papy papy j’ai compris. Donc, après, toi, papa, maman, mamie Brigitte et mamie Sidonie, vous allez encore devenir un jour des bébés ; vous allez pleurer, et on va vous donner du lait guigoz !

À ma place qu’alliez vous vraiment répondre ?

J’étais embarrassé mais il me fallait tout de même trouver une réponse, à la fois pour satisfaire Maelys, mais aussi si je tenais à avoir le temps pour passer à autre chose. Alors je balbutiai :

  • oui oui Maelys tu as raison, mais ce n’est pas exactement comme cela que ça va se passer : ton papa, ta maman, mamie Brigitte et mamie Sidonie, nous tous on va continuer à grandir, grandir jusqu’à vieillir et vieillir encore et on sera fatigués, très fatigués
  • Et moi ?
  • Toi, tu vas grandir aussi, tu seras une jeune et belle fille, et tu auras aussi ton bébé
  • Ohooooo papy ! Et après ?
  • Bon après, papy et les mamies vont devenir des bébés. Mais avant cela, ils vont entrer dans le ventre de la terre
  • Où ?
  • Dans le ventre de la terre. C’est de là-bas que nous sommes tous venus
  • Okéééé. Comme ça j’irai vous voir avec mon bébé. C’est bientôt ?

Je ne pouvais pas dire plus. D’ailleurs que pouvais-je dire ! Néanmoins j’eus le courage de laisser échapper encore quelques mots :

  • Je ne sais pas Maelys si c’est pour bientôt ; vraiment je ne sais pas ; je ne sais pas quand et comment cela arrivera. Mais à vrai dire, tu sais Maelys, personne n’est pressé d’entrer dans le ventre de la terre pour redevenir bébé. Il fait très chaud là-bas. D’ailleurs t’as-vu le ventre de ta maman (presque à terme) ? Ton petit frère est pressé de sortir parce qu’il fait chaud dedans. Et nous aussi, nous ne sommes pas pressés d’entrer dans le ventre de la terre parce qu’il fait chaud là-bas, très chaud, plus chaud que dans le ventre de ta maman. Il nous faut encore rester ensemble avec vous, toi, ton petit frère qui va venir, ta sœur Alysson et tout le monde.
  • Ah tu as raison papy comme ça on va fêter noël et faire tous les jours la fête !

Que dire de plus !

Et Maelys prit la direction de la chambre où se trouvait sa maman. J’en profitai pour finir ce que j’avais à faire et allai ranger mes boîtes de lait guigoz pour attendre le lendemain mes vieux amis. Au bout de dix minutes, j’entendis à nouveau Maelys revenir près de moi et recommencer à dire :

  • Papy papy tu sais ?
  • Je sais quoi encore Maelys?
  • J’ai tout compris et j’ai tout expliqué à maman
  • Maelys ma petite fille ! Qu’est- ce que tu as tout compris et qu’est -ce que tu es allée tout expliquer à ta maman encore?
  • J’ai expliqué à maman ceci : tous, nous étions dans le votre de nos mamans. Elle, papa, papy, mamie Brigitte et mamie Sidonie. Et comme il fait chaud dans le ventre, nous sommes sortis. Nous étions tous bébés. Nous avons pleuré, pissé dans le lit, bu le biberon. Après, vous avez grandi et fait des bébés. Maman est le bébé de Mamie Sidonie et papa le bébé de Mamie Brigitte. Après, moi aussi je vais grandir et je vais avoir de vrais bébés qui pleurent. Pas des poupées mais de vraies personnes. Papy et toutes les deux mamies vont grandir, grandir et vieillir. Après, ils vont entrer dans le ventre de la terre. Mais ils ne sont pas pressés parce qu’il fait chaud, très chaud là-bas. Et quand ils seront dans le ventre de la terre, maman, papa et moi on ne pourra pas aller les voir là-bas. Heureusement, après tout ça, toi, mamie Brigitte et mamie Sidonie vous aller revenir et on va faire la fête et fêter votre anniversaire !

Sans me laisser le temps de placer un seul mot, Maelys disparue dans sa chambre. Elle n’aime surtout pas être dérangée quand elle s’y trouve, toujours occupée à faire quelque chose. En plus c’est elle qui a le droit de déranger les autres quand et comme elle veut ! J’ai préféré ne pas la suivre.

Ce jour là, plus j’observais ma petite fille…plus j’étais à la fois heureux et triste.

Comment expliquer à nos petits enfants ce qu’est la Vie et la MORT à laquelle personne ne peut échapper ? Comment leur expliquer que le destin est ainsi fait, que dans l’ordre normal des choses, un jour viendra où il va falloir nous dire adieu ?

Tôt ou tard, mais c’est inévitable, la mort arrivera. Y penser ? Ne pas y penser ? Je pense pour ma part que la meilleure des choses à faire en attendant ce jour fatidique, est de VIVRE SA VIE.

À vrai dire, l’essentiel et le plus important, n’est pas autant de vivre longtemps, de vivre riche ou pauvre, que de vivre pleinement ; c’est-à-dire de savoir surtout profiter de chaque instant de bonheur que nous offre cette « putain » de Vie de laquelle personne ne sortira vivant !

Quant à moi, pendant certains de mes moments de bonheur, « j’écris pour que le jour où je ne serai plus, on sache comme l’air et le plaisir m’ont plu et que mon livre porte à la foule future combien j’aimais la vie et l’heureuse Nature. »

Que l’on se souvienne surtout de ma « grande gueule » et de tous mes moments de « folie » au village Guitilitimö !

GJK-Guy José KOSSA
L’Élève Certifié du Village Guitilitimö

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