Chronique du Village Guitilitimô

UNE HISTOIRE DE: KIWI ET KIWI

Par GJK

Mon oncle Batawaligba est un ancien soldat de 2ème classe, retraité de son état.

En effet, s’il avait réussi à entrer dans l’armée, c’était, disait Papa Alphonse mon père, parce qu’il n’était bon à rien…sauf à devenir « Soda » ! C’était à l’époque où, apparemment, s’engager dans l’armée, était l’affaire de tous ceux qui ne pouvaient être autre chose dans la vie, que….devenir militaire.

Au fait, c’est là une bien curieuse conception, très répandue en milieu centrafricain, surtout parmi les Centrafricains des anciennes générations, mais aussi chez quelques individus encore très mal informés de nos jours, au sujet du métier des armes, que de considérer qu’un militaire peut être tout, sauf un « intellectuel » et un homme intelligent. Mais ailleurs, au Cameroun par exemple, pour ne citer qu’un pays africain proche de nous, on compte pourtant parmi les officiers de l’armée et de la police, en un mot, des « corps habillés », un nombre très « respectable » d’universitaires et intellectuels. Certains dispensent même des cours dans différentes facultés.

Allez dire à un Centrafricain simplement : militaire ! Et il vous répondra, « il n’a rien dans la tête ». On a du mal à comprendre et accepter, la persistance de ce réflexe, même si ce n’est ni vous ni moi, qui avons dit et écrit :

« Il suffit d’ajouter « militaire » à un mot pour lui faire perdre sa signification. Ainsi la justice militaire n’est pas la justice, la musique militaire n’est pas la musique. »

Ou

« La guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires »

Ou encore

« Il y a trois sortes d’intelligence : l’intelligence humaine, l’intelligence animale et l’intelligence militaire. »

Parlant d’intelligence, je ne sais pas si mon oncle Batawaligba le soldat de 2ème classe à la retraite, était vraiment intelligent ou non.

Tenez !

Oncle Batawaligba venait d’être engagé comme « Fox », un mot vulgarisé par les Centrafricains pour désigner les vigiles ou agents de sécurité dans leur ensemble. Donc , fort de son passé de militaire, Oncle Batawaligba fut recruté en qualité de vigile et affecté tout récemment en complément d’effectif, à la surveillance de la villa de fonction de son cousin, Ministre de l’actuel gouvernement, et célibataire sans enfants venu de France pour être Ministre ou rien.

Un jour, pris par « un je ne sais quoi », Oncle Batawaligba, se mit en tête de croire que le « Baiyles » que servait Monsieur le Ministre à ses nombreuses copines de passage, était en réalité du « café au lait » venu de France.

Ainsi, chaque matin, quand Monsieur le Ministre s’en allait au bureau, le soldat de 2ème classe oncle Batawaligba, lui, courait se servir une grande tasse de « Baiyles », qu’il accompagnait d’un gros morceau de pain, en guise de petit déjeuner. Ceci dura jusqu’au jour où, ce qui devait arriver, arriva. Monsieur le Ministre ayant remarqué que ses réserves de Baileys ne cessaient de diminuer à une allure inquiétante, eut l’idée de tendre un piège. Un bon matin, Oncle Batawaligba fut pris, la main dans le sac, et en flagrant délit d’ivrognerie avancée, suite à un petit déjeuner trop « arrosé » à la Baileys. A côté de lui ronflant, on ramassa les « cadavres » de cinq bouteilles qu’il avait goulûment « descendues ».

Oncle Batawaligba, c’est certain, allait être licencié de son boulot. Mais on le sait, c’était comme on dit, « la famille ». Et les autres membres de « la famille » durent intervenir pour sauver un des leurs qui s’était temporairement égaré. Ainsi, Oncle Batawaligba fut maintenu à son poste.

Et voici que le Samedi dernier, Monsieur le Ministre qui attendait des invitées en provenance de Paris, voulut leur offrir entre autres fruits promis au dessert, des « kiwi ». Il fit appel à Oncle Batawaligba , lui tendit un billet de 10 000 FCFA , et le renvoya plus qu’il ne lui enjoignit, de filer lui chercher rapidement les fameux kiwi. Monsieur le Ministre avait l’habitude d’en payer lui-même dans un super marché du coin, dont le nom – veuillez ne pas m’en tenir rigueur – , a trouvé moyen de m’échapper en ce net moment de ma rédaction.

Cela étant, en fait de « kiwi », le soldat de 2ème classe à la retraite Oncle Batawaligba, n’avait jamais rien connu d’autre que le cirage noir de marque « Kiwi » que tous les Centrafricains et lui-même, ont toujours utilisé depuis des lustres pour cirer leurs chaussures.

En bon « soda », Oncle Batawaligba avait appris par coeur et retenait tout du précepte fondamental de la discipline militaire qu’il savait par ailleurs appliquer parfaitement et avec courage :

« la discipline faisant la force principale des armées, il importe que tout supérieur obtienne de ses subordonnés une obéissance entière, et une soumission de tous les instants, que tous les ordres soient exécutés littéralement, sans hésitation ni murmure ; l’autorité qui les donne en est responsable et la réclamation n’est permise au subordonné que lorsqu’il a obéi. »

Alors, aussitôt dit, aussitôt exécuté. Oncle Batawaligba qui avait juré qu’on ne le prendra plus à défaut, sortit de la « concession ministérielle » à toute vitesse, pris ses jambes à son cou, et pénétra tout essoufflé dans le super marché indiqué. Il fonça vers le rayon où étaient exposées les différentes boîtes de cirage à chaussure. Dans sa tête, Oncle Batawaligba se disait : « du kiwi de 10000 CFA, c’est normal pour un Ministre débarqué « fraîchement » de France et qui plus est, avait tant de chaussures, de toutes les marques et de toutes les couleurs ».

Ceci dit, Oncle Batawaligba se saisit en même temps, de tout ce qu’il pouvait avoir sous la main comme kiwi cirage : noir, marron clair, marron foncé, marron brun, acajou, bordeau, taupe, caramel, corail, bleu, neutre, etc. Au total, 20 boîtes de cirage kiwi. Il se disait en lui-même : « ouf! enfin ai-je l’occasion de faire plaisir à Monsieur le Ministre et qui pourra ainsi me pardonner et oublier mon péché mortel de petit déjeuner copieux à la Baiyles ».

Et voici oncle Batawaligba de retour à la villa ministérielle.

Il se souviendra à jamais de ce jour. Car de ce qui lui arriva , Oncle Batawaligba le soldat de 2ème classe à la retraite, ne comprit rien du tout et ne peut rien n’ expliquer, même encore aujourd’hui. Pour tout dire, et pour parler de mal, vraiment grand mal lui en avait pris au moment des faits !

Ấ la vue des boîtes de cirage que lui tendait fièrement Oncle Batawaligba, le soldat de 2ème classe de son état, à la retraite, devenu depuis quelques années « Fox » par la force des choses, Monsieur le Ministre – imaginez la scène -, entra dans une telle fureur qu’on aurait dit qu’il allait manger cru comme du kiwi non mûr, ce « Espérantos le mauvais commissionnaire » des temps modernes qu’était pour lui le « militaire dépourvu de toute intelligence »!

Le lendemain, Oncle Batawaligba fut obligé de « dégager le plancher» dare dare, de plier ses bagages, et de quitter les lieux. Licencié sans préavis ni indemnités pour faute lourde à savoir :

« Mauvaise manière de servir une autorité ministérielle, avec intention délibérée de l’empoisonner au cirage kiwi, et de nuire à sa réputation en présence des invitées venue de France, à qui l’on avait prévu de servir du kiwi fruit au dessert. »

Aux dernières nouvelles , l’Inspection Régionale du Travail de Bangui Centre a d’ores et déjà confirmé ce licenciement. Mais Oncle Batawaligba n’entend pas en rester là, et abandonner cette affaire de « KIWI » à manger, à laquelle il ne comprend rien, lui qui toute sa vie, s’est servi et a vu les autres se servir de kiwi pour cirer des chaussures et rien que des chaussures.

Pot de fer contre pot de terre, tant pis, Oncle Batawaligba s’est juré d’aller jusqu’au bout du bout afin de faire reconnaître ses droits. En fait, le droit en général, n’est il pas fait pour assurer aux faibles une certaine sécurité, à défaut d’une sécurité certaine ?

Quant à vous, Monsieur le Ministre arrivé de France, s’il vous plaît : du Kiwi vous en vouliez, du kiwi vous en avez eu ! Et alors ?

GJK-Guy José KOSSA
L’Élève Certifié du Village Guitilitimö

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