À vous la parole

POÈME: QUI VIVRA, VERRA

C’était, il n’y a pas longtemps
J’étais saisi d’une grande peur
Pour ce que le nain m’a dit
« Qui vivra, verra »

« La vie, maladie grave et incurable
Sexuellement transmissible
Qui conduit inéluctablement à la mort »
Me fait peur
Je vis depuis plus d’un demi-siècle
J’ai vu des choses et des choses
Et encore des choses horribles
« Qui vira, verra »

Ceux qui sont partis revenaient
Et moi, j’ai vu la première grande
Destruction de Bangui en 1979,
Une opposition farouche en 1993
Qui a donné naissance aux mutineries
Une première grande tuerie et pillage
Par des hommes majoritairement étrangers en 2001
« Qui vira, verra »

Le pire de tout, la mise en sac de l’Etat
Et de l’ensemble du pays en 2013
Par des étrangers venus des pays voisins
Comme si je n’avais pas encore assez vu
On me parle des éventuels retours
De ceux qui sont partis
Que je rêve d’oublier. Hélas,
« Qui vira, verra »

On les voit partout sauf là où ils devraient être
Au Gabon, au Tchad, au Congo, au Kenya
Pendant que les politiques distraient
Le peuple avec des querelles de qui sera
Candidat ou non aux élections présidentielles
Alors que les populations sont encore
En brousse et à l’étranger, et que les tueries continuent
« Qui vira, verra »

Ceux-là, par qui la mort a élu domicile
Dans le pays veulent et cherchent à revenir
Pour me faire voir ce que je n’ai pas encore vu
Me crever les yeux pour ne rien voir
Je souffrirai de ne pas voir ce que je devrais voir
Me donner la mort pour cesser de vivre
Je ne saurai le faire ; ni à autrui ni à moi-même
« Qui vivra, verra »

Qu’on ne me trompe pas
Je suis fou de colère
J’en ai assez vu que je pourrais écrire
Des films d’horreur si j’en étais capable
Je dois me prononcer sur leur sort
Il me faut repartir au village
Demander conseil au nain
« Qui vivra, verra »

Le nain, c’est la seule personne et sage
Qui me reste après que le petit nombre
De la population qui vivait encore,
A traversé le fleuve
Le drapeau aux cinq couleurs sur la poitrine
En quête de survie
Par le nain, je saurai ce qu’il faut décider
« Qui vivra, verra »

Le nain, sur LOUMA, la grande île,
Après s’être longuement mordu le doigt, me dit :
Tu as « La vie, maladie grave et incurable
Sexuellement transmissible
Qui conduit inéluctablement à la mort »
« Que ceux dont le sort te préoccupe
Reviennent ou non, Ils resteront ce qu’ils ont toujours été »
« Qui vivra, verra »

Alors, Centrafricain, Centrafricain, Centrafricain…
« Qui vivra, verra ».

Pascal TONGAMBA
L’homme aux cheveux blancs

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