Chronique de GJK

LETTRE A MON FRERE CANDIDAT A LA MAGISTRATURE SUPRÊME DE TRANSITION

Cher  frère,

Depuis le timide retour à Bangui des membres du  CNT, après leur déportation très  peu glorieuse en terre étrangère de Ndjamena au Tchad, les médias nationaux et internationaux, n’arrêtent pas de distiller, des listes de candidats avérés ou supposés,  au poste de Président de Transition, Chef de l’Etat de Centrafrique.
A dire vrai, frère, j’ai été un peu surpris de voir  ton nom, figurer parmi les noms des prétendants au  siège temporairement suprême de notre pays. Il faut me comprendre frère. Je ne dis pas que tu ne tu ne le mérites pas. D’ailleurs,  je ne peux oser le dire,  moi,  simple titulaire d’un antique Certificat d’études Indigène estampillé « Gouverneur de l’Oubangui -Chari ». De plus,  en Centrafrique, tout le monde peut prétendre à tout. Est candidat qui veut, et tous les moyens sont bons, pourvu qu’on arrive à ses fins. Y compris,  celle d’être Chef d’Etat. Je le pense sincèrement, surtout depuis que BOZIZE, a inauguré l’ère des présidents rebelles soutenu par l’extérieur, suivi de DJOTODJA, l’homme par qui le malheur s’est abattu sur notre cher beau pays. O tempora, o mores ! Que sont-ils devenus, ces beaux et  merveilleux coups d’état !  Ces   coups d’éclat, qui eux au moins, avaient   le mérite et l’élégance d’être une affaire intérieure? Et voici que je me surprends à choisir entre la peste et le choléra.

Mais, revenons à ta candidature frère
Tu peux t’appeler (au féminin ou au masculin peu importe), EPAYE, DOLWAYE, GALOTI ou SAMBA-PANZA ; BINOUA, KOLINGBA ou NGUENDET, HASSENE, WAFIO, MECKASSOUA, BENDOUNGA ou DEMAFOUTH ou encore DHAFFANE etc. La liste n’est ni exhaustive, ni close. En tout cas, voilà que des personnalités sérieuses, ayant fait preuve de leur compétence et de leur dévouement, dans un domaine ou dans un autre, se trouvent mêlées aux transhumants politiques invétérés, « spécialistes de retournement de veste et hiboux au regard gluant», eux- mêmes appuyés au starting block, à côté des politiciens carriéristes et éternels candidats à tout et à rien, tous, engagés dans une course où l’on retrouve aussi des rebelles à demi sorti de leur chrysalide. Tu te reconnaîtras certainement frère. L’essentiel ici, me semble-t-il, n’est pas de gagner, mais de rechercher la gloriole qui vous servira tôt au tard, à affabuler sur le titre méritoire « d’ancien candidat à la présidence ». Par ces temps qui courent, c’est toujours bon pour le CV. Sait-on jamais.

Mais écoute moi cependant frère,

J’ai parlé de ta candidature à Maman Mado. Elle a pleuré. Beaucoup pleuré. Elle pleure, pleure encore et encore. Elle m’a simplement dit, ce n’est ni à cause de papa que les Antibalaka ont éventré et brûlé parce qu’il était musulman; ni de nos quatre frères chrétiens que les meurtriers de Séléka ont auparavant froidement abattus pour une moto ; ni à cause de mon triste  sort, celui de rester encore en  vie, après avoir  goûté à l’amer « privilège » d’enterrer moi-même, mon bras droit et ma jambe gauche, afin de maintenir à l’existence, – suprême largesse pour laquelle je suis éternellement redevable à mes bouchers-, le misérable « demi-corps » que je traîne, et que j’ai risqué plus d’une fois, d’offrir également, en holocauste aux charognards du petit coin caché en pleine forêt équatoriale, où je reste reclus.

Frère,
Je voudrais te dire que je suis fier de toi mon frère. Fier, car au moins, tu auras retenu les enseignements qu’enfants, nous donnait Pierre, tu te rappelles, l’unique catéchiste du village. Il se prenait pour Monseigneur CUHEROUSSET que lui seul avait connu. Donc, Monseigneur Pierre le Catéchiste, ne cessait de répéter à tout bout de champ : « Que celui qui veut me suivre, dit Jésus, porte sa croix». Et te voilà. Tu as choisi la tienne, Frère. Plus lourde que celle qu’a supportée Jésus jadis. Car, vois-tu, tu  es en train de t’engager sur ton chemin de Golgotha, pour arriver au sommet de cette haute montagne, chargé de tout de ce qui reste de notre pays: le poids des problèmes politiques, sécuritaires et humanitaires, pour lesquels tu te dois de trouver des solutions immédiates. Tu le sais frère, tout est indispensable et urgent à la fois, pour nos populations désabusées, martyrisées, épuisées, désespérées, désemparées…mais heureusement  toujours debout et fières.

Par ailleurs, merci cher frère, d’avoir bien voulu m’envoyer la copie, de ton  premier discours déjà affiné « sur l’état de la Nation », celui que tu prononceras avec gravité, une fois élu. Je l’ai parcouru plusieurs fois. Et sans te mentir frère, je n’y comprends rien et n’y découvre rien de nouveau, si ce n’est  de lointaines réminiscences, lesquelles me rappellent les premières allocutions au peuple centrafricain, de tes piètres devanciers que je crois entendre parler : le burlesque BOKASSA égrenant son chapelet de griefs contre le régime de DACKO qu’il venait à peine  de renverser par son coup d’état du 1er janvier 1966; l’ineffable DACKO dénonçant les crimes et la mégalomanie de BOKASSA pour légitimer l’opération Barracuda de septembre 1979; l’amorphe KOLINGBA débarquant  DACKO pour causes de troubles et par souci  de « redressement national », en septembre 1981 ; le théâtral et grotesque PATASSE, pourfendant dans son discours d’investiture en octobre 1993, les supposés acquis de la période KOLINGBA, dont le seul mérite, semble-t-il, aura été l’érection du tribalisme en système de gestion de l’État ;
l’aphone et semi-lettré  BOZIZE, stigmatisant le régime de PATASSE et toutes ses dérives qui l’ont obligé à faire son coup d’état « démocratique et salutaire » de mars 2003;  le téméraire aventurier et cruel islamisant DJOTODJA, récitant en mars 2013,– pour expliquer l’arrivée de SELEKA-, une interminable litanie des exactions, échecs et autres mensonges et crimes, qui ont caractérisé la décennie BOZIZE.

Ainsi donc mon  frère,
Depuis plus de cinquante ans écoulés, jamais aucun homme politique, Président de la R.C.A., n’a succédé à un autre, pour continuer et parfaire les exploits économiques de son  prédécesseur, poursuivre la construction des infrastructures du pays, relever le niveau de vie des populations, bref, gagner la bataille du sous- développement au sens large du terme. Tous les mêmes. Tous arrivent, parce que le précédent a échoué. Et chacun ne réussit qu’à échouer, avant de se faire débarquer, ne laissant, sur tous les plans et d’un régime à l’autre, qu’un lourd bilan, toujours de plus en plus négatif. Malgré tout frère, chose curieuse, la R.C.A, reste l’un des rares pays sur terre, me semble-t-il, où il y’a toujours, au mètre carré et par nombre d’habitants, le plus grand nombre de candidats au pouvoir déprimant de la présidence. C’est à croire que tout Centrafricain naît avec le virus de la « présidentiabilité ». C’est à croire que le seul destin national se trouve dans ce fauteuil de président tant convoité. Tous se battent et combattent pour y parvenir. Par  les armes ou par les urnes.

Aussi, frère, « sauf erreur, je ne me trompe jamais ». Je crois que je t’avais parlé de présidence collégiale. Cela n’a pas eu l’heur de te plaire. Soit. Je te propose encore ceci. Comme tu le sais frère, il y’a parmi tous les candidats à la Présidence de Transition, des femmes, et surtout une, celle dont le nom est dans tous les esprits maintenant. Pourquoi ne la soutiendrais-tu pas, et n’encouragerais-tu pas tous les autres électeurs à faire comme toi ?

En effet, sans connaître personnellement cette dame dont il est question, sans avoir consulté les esprits de nos  ancêtres, ni ceux des pays d’à côté, j’ai une forte assurance qui m’habite depuis quelques jours : La République, ne serait-elle pas en train de se réveiller et se révéler à l’instinct maternel ?

Hier, la bouche de nos dirigeants étaient encore pleine des déclarations du genre: pays assailli, état inexistant, pouvoir vacillant, crimes impunis, ordre affaibli, désarmement forcé…, tous ces vocabulaires de machos déclinés au  masculin, n’ont rien apporté de positif au final.

Aujourd’hui, ne vaudrait-il pas mieux, de la bouche d’une femme, élue  Présidente de Transition, entendre plutôt sonner les mots comme: nation affermie, République libre et debout, opportunités garanties, reconstruction amorcée, sécurité totale, paix assurée, stabilité retrouvée,  démocratie restaurée…, tous ces mots dont la seule résonance féminine,  les douces effluves poétiques, suffiraient à  couvrir les toits de
nos maisons et de nos cases,  et laisser  enfin et pour toujours,  jaillir du fond des cœurs enfin réconciliés, la mélodieuse symphonie de la RENAISSANCE centrafricaine ?

Et voilà frère, que je comprends enfin, pourquoi Maman Mado pleure et ne s’arrête pas de pleurer. Elle m’a dit qu’elle pleure pour toi. Elle pleure, parce qu’elle ne veut pas tôt ou tard te voir partir en exil. Car vois-tu frère, tous ces présidents centrafricains que j’ai cités plus haut, ont tous ou presque, connu les affres de l’exil; et tous ou presque, ont vu leur dernière respiration s’éteindre en dehors du pays. Qui enterrera Maman Mado ?

Mais ce n’est pas tout frère. Mama Mado pleure toujours. Et si elle pleure toujours et encore, c’est surtout pour notre sœur Patou, notre benjamine  aux yeux désormais crevés par les assassins de papa.  Elle porte en elle  un bébé qui va naître bientôt. Ce bébé que Patou ne verra pas de ses yeux, lui non plus, ne connaîtra malheureusement ni son père, ni ses frères et sœurs, tous brûlés dans l’incendie qui a ravagé notre village. Maman Mado se fait beaucoup de soucis. Elle se demande, frère, de quel pays héritera l’enfant de Patou, qui est ton enfant, mon enfant, l’enfant du village et de tous? Sur quelle terre devra-t-elle voir le jour, vivre et grandir ? Quel avenir lui a-t-on réservé ? Qu’a-t-il-fait pour se préparer à naître à la belle étoile, dans une forêt dense, parmi les insectes, sans drap ni couverture et sans le moindre soin? A toi de donner à Maman Mado  tes réponses frère, toi qui t’attends à être Président.

Quant à moi, frère, tout estropié que je suis, laisses-moi te prier et te demander une dernière chose  au nom de tous les miens qui sont aussi les tiens : donnes au bébé de Patou, l’ultime chance, celle de voir le jour dans une République renaissante, dont le destin sera pour la première fois placée entre les mains maternelles d’une Présidente de Transition. Car tu vois frère, depuis l’indépendance en 1960, et sept fois de suite, nous les hommes avons confisqué le pouvoir. Et plus de cinquante ans durant, nous avons  fièrement échoué,
Maintenant que tu sais tout, frère, bonne chance.

P.S: Et si tu deviens, Président,  toi ou une Présidente, je promets de  t’écrire à nouveau.

Paris, 14 janvier 2014

Guy José KOSSA
GJK – L’Élève Certifié

De l’École Primaire Tropicale
Et Indigène du Village Guitilitimô
Penseur Social

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