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LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE : UN PAYS SOUS RESPIRATION ARTIFICIELLE

Par Alain LAMESSI

Le coup de force de la Séléka du 24 mars 2013 a eu pour conséquence immédiate la chute du régime de Bangui et la fuite du Général Président Bozizé qui a trouvé refuge au Cameroun. L’Etat centrafricain s’est effondré comme un château de cartes et les institutions de la République volées en éclats. C’est la descente aux enfers. Les observateurs avertis se livrent à de la surenchère d’épithètes pour qualifier la situation qui prévaut au cœur de l’Afrique. Pour certains, la République centrafricaine est un Etat zéro. Pour d’autres, c’est un Etat fantôme. Pour beaucoup d’autres encore, c’est un trou noir, un Etat en faillite, un Etat fragile, etc. Peu importe l’épithète retenue par les uns et les autres, la réalité est plus dramatique encore et se traduit en des chiffres effroyables : 30.000 personnes assassinées, 1 million de déplacés internes, 65000 réfugiés dans les pays voisins, des infrastructures détruites, des biens pillés, des archives détruites, des villas de particuliers réquisitionnés, etc…Cette descente aux enfers se poursuit allègrement encore aujourd’hui avec l’entrée en puissance des Anti-balakas depuis le 5 décembre 2013. La souffrance du peuple centrafricain est loin de finir. Bien au contraire, elle ne fait qu’empirer.

Depuis l’indépendance formelle proclamée le 13 août 1960 et même un peu avant avec la mort accidentelle de Barthélémy Boganda jusqu’aujourd’hui, la République centrafricaine a cessé de marcher en avant. Ivre de ses propres turpitudes, elle a continué de tourner en rond et très souvent de reculer, déviant de la trajectoire du progrès. Un parcours chaotique fait de violence, de coups d’Etat, de mutineries, de rebellions armées a définitivement sapé les fondements de l’Etat, aggravé la paupérisation du peuple et contribué à semer le doute au sein de la population qui ne croit plus à rien, ni à personne. Pire elle ne croit plus à elle-même.

Au regard de cet environnement d’apocalypse, une seule question vient à l’esprit : comment un Etat comme la République centrafricaine peut-il s’effondrer si rapidement et si facilement ? En réponse à cette interrogation, certains préfèrent parler de « la malédiction des dix ans » pour signifier qu’à intervalles réguliers apparaît comme par hasard une crise violente qui remet tout à plat. Cette explication n’est pas du tout satisfaisante car basée sur une approche superficielle et forcément simplificatrice de la réalité. Elle ne va pas au-delà de l’évidence. Sans mésestimer la dimension spirituelle de la question, il nous faut étudier la loi sociologique et historique ainsi que les facteurs objectifs et subjectifs qui déterminent cette situation car on ne peut ne pas y voir un certain déterminisme.

Un Etat en situation de fragilité chronique 

Deux traumatismes majeurs ont marqué le monde et modifié le regard de la communauté internationale à partir de l’année 2000: L’attentat du 11 septembre 2001 qui a pulvérisé le World Trade Center à New-York et l’ouragan Katrina qui a littéralement a balayé la nouvelle Orléans en 2003. Auparavant la désintégration de la Somalie en 1991, les conflits du Libéria entre 1992 et 2003 tout comme la guerre du Libéria qui a duré de mars 1991 à janvier 2002 ont fortement marqué les esprits.

L’Etat est désormais remis au centre des préoccupations car un Etat faible est une source potentielle de l’insécurité mondiale. Il peut facilement devenir un bastion du terrorisme international. Cette vision stratégique de la sécurité nationale des Etats-Unis qui a prévalu en 2002 a pris le contre-pied de la politique des ajustements structurels imposés aux pays africains avec de nombreux échecs et des conséquences catastrophiques. Cette politique des ajustements structurels qui a longtemps prévalu au niveau des institutions financières internationales, avait poussé au désengagement de l’Etat, à la braderie des outils de production au nom d’un ultralibéralisme orgueilleux.

Cette nouvelle doctrine sécuritaire des Etats-Unis est devenue la stratégie sécuritaire de l’Europe en 2003 et s’est finalement imposée à tout le monde entier.

Des appellations multiples et des concepts variés sont utilisés pour désigner un quelques pays qui ont tous en commun de traverser ou de sortir de plusieurs crises, que ce soit en Afrique, en Amérique du sud ou en Asie : Etat failli, Etat en faillite, Etat fragile, Etat effondré, etc. Ce sont des qualificatifs qui ne sont pas neutres. Ils sont toutes connotés idéologiquement et constituent le plus souvent la justification à des interventions militaires : l’Irak, la Lybie en sont les meilleures illustrations.

Le concept de l’Etat fragile est un concept par trop controversé. Il ne fait pas l’unanimité. L’approche de l’Union africaine de cette problématique est la plus réaliste car moins stigmatisant. Elle se base sur une situation et non sur une catégorie des Etats. Un pays ne peut tomber en faillite à cause des hommes, des femmes et des enfants qui y vivent et qui sont des valeurs inestimables. Si un pays ne peut être fragile, il est en situation de fragilité dont il peut sortir. La réversibilité de la situation est donc du domaine du possible. C’est une approche dynamique qui appelle au dépassement du statut quo.

Dire que la République centrafricaine est un Etat en situation de fragilité, c’est une tautologie. C’est depuis plus cinquante ans qu’elle elle est entrée dans un cycle sans fin de crises protéiformes dont elle ne sort plus. Cela fait belle lurette qu’elle n’est plus à mesure d’assumer les missions régaliennes. L’Etat n’existe plus que de nom et n’a aucune espèce d’autorité, l’administration n’existe pas ou plus sur une grande partie du territoire. La justice n’est pas exercée tandis que la justice populaire se développe. Le moindre soupçon de la sorcellerie d’une vieille personne est d’office passible de la peine de mort malgré l’inexistence du début du commencement de la preuve. Des bandes armées écument les quartiers et les villages. Elles pillent et tuent impunément. Elles érigent des barrières et empêchent la libre circulation des citoyens. Elles perçoivent même les frais des douanes et font du trafic du diamant et de l’or. L’Etat n’a pas les moyens ni d’assurer la sécurité et la protection des citoyens, ni de payer les salaires et les bourses. Les écoles et les hôpitaux fonctionnent à minima. On pourrait multiplier à l’infini les domaines où l’Etat centrafricain est défaillant.

Les facteurs de fragilité de la République centrafricaine

La situation de fragilité de la République centrafricaine n’est pas le fruit du hasard. Loin s’en faut. Elle n’est pas non plus le résultat d’une génération spontanée. Elle découle de la conjonction de plusieurs facteurs objectifs et subjectifs dont certains plongent leurs racines dans la période coloniale et qui ont laissé des stigmates profondes : traite négrière, domination coloniale, travaux forcés, compagnies concessionnaires, impôts indigènes, etc.

Bien sûr que nous n’allons pas continuellement évoquer le passé pour justifier nos multiples et autres échecs successifs. Ce sont les mêmes causes qui ont justifié le coup d’Etat de la Saint Sylvestre en 1966 qui ont occasionné la chute de Bokassa, de Dacko 2, de Kolingba, de Patassé et de Bozizé. En 1979, la jeunesse scandait déjà à l’occasion des marches mémorables contre la dictature : Payez nos parents. On n’espérait pas mieux de la transition qui a manqué de moyen, du temps, de la volonté et du courage. En définitive, elle n’aura été que la vitrine de toutes nos faiblesses et autres incuries.

Ces facteurs ont tellement grossi qu’ils atteignent des proportions considérables 50 années plus tard : mauvaise gouvernance, déficit d’autorité, banditisme d’Etat, faiblesse de l’Etat, non-respect des droits de l’homme, détournements des deniers publics, corruption, concussion, clientélisme, tribalisme, impunité, etc.

En guise de conclusion

Le diagnostic est posé. Bien posé. Il convient désormais d’appliquer la thérapeutique appropriée compilée dans le catalogue des recommandations des différents fora pour sortir la République centrafricaine de son Etat comateux. Les échéances électorales à venir sont de véritables opportunités pour renouveler les dirigeants. De grâce, qu’on ne nous sorte pas du chapeau d’autres apprentis-sorciers pour achever le malade !

Alain LAMESSI

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