Libre opinion

KAGA-BANDORO, ROYAUME D’HADÈS

Itinéraire d’une ville « giboyeuse »
Reportage de Joseph GRÉLA

Silence les selekas tuent : A Kaga-Bandoro, toutes les âmes vivantes s’arrêtent net devant leurs meurtriers, les selekas confondus aux éléments tchadiens de la misca. «Il est difficile de faire la différence entre eux et les ex Séléka. Ils portent les mêmes uniformes avec les mêmes brassards et parlent la même langue », a souligné, le 18 mars le préfet intérimaire de la ville.
Les âmes de ces pauvres paysans et villageois retenues comme des ombres inanimées, dépourvues de sentiment subissent toutes sortes d’horreurs inhumaines de leurs bourreaux. Ces sanguinaires se plaisent devant l’écoulement du sang de leurs victimes dans le sol latéritique et poussiéreux en cette saison sèche rude. Kaga-Bandoro, ville prison encerclée par ces cerbères, chiens de garde à multiples têtes (la misca tchadienne désormais séléka) ne respire que l’odeur du sang, de putréfaction ; l’envoyé spécial de L’express, Rémi Ralosse en Centrafrique, avait publié le 17/07/2013 « Kaga-Bandoro, village où la peur transpire ». Aujourd’hui, l’odeur de la mort transpire, plane sur ce royaume d’Hadès.

Toutes les routes des rébellions conduisent à Kaga-Bandoro

Pendant que les arguments de la partition de la République Centrafricaine circulent dans les instances internationales à Genève par exemple, cet abattoir humain, à ciel ouvert, sous le regard de la force internationale complice, se fraye un chemin silencieux de torture et d’assassinat. Kaga-Bandoro, la giboyeuse. Giboyeuse non plus pour son gibier qui nourrit sa population, mais giboyeuse en perte en vie humaine.

1. Bozizé, Méphistophélès avait fait de cette ville son fief en 2002 et 2003 avant de prendre le pouvoir par les armes et de chasser le démocratiquement élu, Patassé, le 21 mars 2003. Avec ses libérateurs, mercenaires tchadiens méthodiquement recrutés, ils avaient supplicié cette paisible population qui ne vivait que de ses produits champêtres d’où son surnom sous le règne de Bokassa : Préfecture économique. Bozizé avait utilisé les jeunes les uns contre les autres. Bozizé, à travers ses hommes s’étaient livrés à des actes ignobles qui avaient conduit les habitants à quitter la ville pour se réfugier dans la brousse. L’évêché, sous la menace de ses rebelles tchadiens zakawa, s’était vidé alors de ses prêtres qui avaient rejoint les Mbrès, à pied dans la brousse pour se sauver. Bozizé n’avait jamais été inquiété ainsi que ses hommes. Des violences qui ont été commises demeurent impunies.

2. Démafouth, le caméléon, l’autre technocrate, qui connaît très bien Kaga-Bandoro, ville de son enfance, y a installé son groupuscule APRD jusque dans le nord. Les habitants de cet axe ont subi toutes sortes d’exactions. Ils ont vu leurs filles, leurs femmes violées, leurs maisons et champs incendiés en attendant l’arrivée de Baba Ladé avec ses autres méthodes.

3. Baba Ladé, reconnu général par l’administration de Bozizé, a régné sur la ville est ses environs malgré la présence de la Fomac. Les populations vivant toujours dans la peur ont été de nouveau spoliées. Elles devaient payer des rançons aux rebelles pour s’oxygéner. Il faisait le beau temps et la nuit sur la route de Batangafo, les axes Kabo et Takara. Il dut négocier, après la dispersion de ses troupes, dû au bombardement par l’hélicoptère de combat du Tchad, pour repartir, sain et sauf, dans ce pays.

C’était la stratégie d’Idriss déby. Le sourd et aveugle de Bangui ne s’était pas aperçu de la ruse de celui qui l’avait installé au pouvoir, le 21 mars 2003.

Soyez prudents, les sélékas arrivent

Maintenant, la voie qui mène à Bangui, est libre. Mardi, 25 décembre 2012, jour de noël, les rebelles de séléka ont pris cette localité importante située à 340 km de Bangui sans coup férir. Les Forces armées centrafricaines, étaient déjà loin, parties dès lundi soir en direction de Dékoa, au sud. La ville était de nouveau cédée aux rebelles avant leur descente à Bangui par Bossangoa.

Comme à leur l’habitude, les hommes de la Séléka ont ensuite quadrillé leur nouvelle conquête, installé des points de contrôles aux principales sorties et coupé le réseau de téléphone. Pour se protéger, nombre d’habitants se sont aussi réfugiés dans les champs alentour emportant, dans l’urgence, le strict minimum pour survivre, entendait-on sur les antennes de RFI.

Un an s’est écoulé. Ces mêmes rebelles reviennent dans leur fief du départ, non plus en vainqueurs mais en pseudo vaincus. Entre temps, Kaga-Bandoro a, tant bien que mal, tenté de recouvrer sa santé, grâce à la solidarité des musulmans de la ville, en majorité originaire du lieu. Les violences et atrocités de Bangui ont finalement rattrapé cette ville martyre. « A Kaga-Bandoro et alentours, à 340 km au nord de Bangui, les exactions continuent et le pouvoir local, déserté par les fonctionnaires officiels, est entièrement tenu par 200 rebelles. Malgré la présence de quelques dizaines de soldats congolais de la FOMAC, la population vit dans la peur ; femmes, enfants, commerçants ou mêmes religieux chrétiens… Bien loin de la capitale tout le monde peut être pris pour cible par la Seleka locale », annonce le Réseau des Journalistes pour les Droits de l’Homme pour la RCA.

Quelques titres des journaux traduisent la profondeur de la souffrance quotidienne de cette population, ces jours-ci : « Une situation humanitaire précaire pour la population ; Difficiles conditions de vie des déplacés ; Kaga-Bandoro vit dans la psychose ; La ville se vide à cause des affrontements seleka anti-balaka ; Quatre personnes tuées des maisons incendiées ; Kaga-Bandoro dernière bastion des selekas…»

Situation humanitaire des déplacés très alarmante

La population a laissé exploser sa joie à l’arrivée, le lundi, 10 mars 2014, des forces françaises dans la ville. Selon une source locale, « depuis mardi matin, les centaines de familles qui s’étaient réfugiées en brousse et à l’église catholique commencent à regagner leurs maisons.» Mais très vite, à leur soulagement, se sont succédé l’amertume et la tristesse. Sangaris est reparti, quatre jours après, comme il est venu, et l’a lâchée aux mains de ses tortionnaires. Elle espérait un désarmement assez rapide des selekas et des ant-balakas. Mais hélas !

La ville est désertée. Les habitants vivent dispersés en brousse à côté de leurs champs. D’après une source humanitaire, « l’éparpillement des déplacés rend difficile toute assistance humanitaire à leur égard. » Cependant à l’évêché, les personnes qui y ont trouvé refuge, bénéficient de l’assistance de la part de plusieurs ONG et leurs conditions de vie semblent s’améliorées.

Malgré une situation sécuritaire déplorable en ville, plusieurs habitants commencent à quitter la brousse, à cause de l’intempérie. « Nous passons la nuit sous des arbres avec nos enfants. Mon bébé a été frappé par la fièvre, c’est pourquoi je suis obligée de sortir de la brousse pour chercher à le faire soigner en ville », a témoigné Angèle Sangania, une déplacée. « Nous demandons au gouvernement de penser à désarmer les Anti-Balaka et les Séléka, afin que nous puissions sortir de la brousse et vivre enfin en paix », a souhaité Mathias Nadji, un déplacé contacté par le RJDH, alors qu’il sortait s’approvisionner en vivres.

Les habitants les plus touchés sont ceux qui vivent dans les quartiers nord-ouest de la ville. Ils sont doublement victimes, car même dans la brousse, ils continuent de faire l’objet d’agressions de la part de certains éleveurs peulhs. Et en ville, ils sont face aux Séléka et éventuellement aux Anti-Balaka. Que faire ? Où aller ?

Selon le témoignage d’un habitant joint par le Réseau des Journalistes pour les Droits de l’Homme en RCA, ce lundi, 17 mars, « depuis sa cachette, un jeune homme de 18 ans s’est fait tuer par des éleveurs peulhs au village de Patcho, à 23 km de Kaga-Bandoro. » Selon le Réseau, « deux autres jeunes, âgés de 13 et 18 ans, ont également été blessés et transférés à l’hôpital de la ville pour y recevoir des soins de santé. »

Par ailleurs, dimanche, quatre filles âgées entre 13 et 15 ans ont été violées par des Anti-Balaka dans les villages de Botto et Kologbo, situés respectivement à 8 et 18 km de la ville de Kaga-Bandoro. On déplore aussi des disparitions. La violence se poursuit sans relâche à Kaga-Bandoro, même dans les brousses où sont réfugiées les populations. Des barrières érigées sur les sentiers dans la brousse rançonnent les habitants. Sur ses barrières, les selekas ou les anti-balakas « exigent aux piétons de verser 100 FCFA à chaque passage et les personnes à vélo doivent payer 500 FCFA », a expliqué Jean Daniel, un habitant réfugié dans un village à 12 km de la ville.

La vie des enfants, en Centrafrique, ne compte pas

Les personnes déplacées dorment sur des nattes et d’autres à-même-le sol. Certains consomment des eaux souillées, ce qui augmente les risques d’épidémie au sein des communautés.
« Les meurtres horribles et les sévices infligés aux enfants sont un affront à l’humanité », a déclaré l’UNICEF. L’on ne prend pas en compte leur vie dans cette crise. Ils sont les oubliés, à Kaga-Bandoro. En Centrafrique, « des enfants sont tués parce qu’ils sont chrétiens ou musulmans ; des enfants sont forcés de fuir leur foyer et de se cacher, terrorisés, pour éviter les combattants ; des enfants sont les témoins d’actes horribles de violence ; des enfants sont recrutés par des groupes armés, possiblement jusqu’à 6 000 d’entre eux » clame, Anthony Lake, le directeur général de l’UNICEF. L’enfant n’a plus peur du sang. C’est son quotidien.

A quand la fin ?

A quand la fin, s’est insurgé monsieur Dambéti, en réaction à un article, le 16/03/2014, du Journal de Bangui. « Je suis pour que la paix revienne dans mon pays, car nos parents ont trop souffert. Il n’y a pas de distinction entre Séléka et anti-balaka, tous doivent être désarmés. […] Quand la séléka, à dominante musulmane a pris le pouvoir, combien de chrétiens ont été, ou continuent d’être massacrés ? Combien de musulmans ont dénoncé cette tuerie ? N’ont-ils pas brillé par leurs silences partiaux ? En tant que chrétien pratiquant, je veux bien pardonner, mais à condition que nos frères musulmans reconnaissent leurs ingratitudes. Nous, les chrétiens de Centrafrique, devons lancer un appel : Notre avenir et celui de nos frères musulmans ne font qu’un. Ou bien opter pour un cercle de violence dans lequel nous périssons tous ensemble. Ou bien une paix à jouir ensemble. Notre message aux musulmans, en cette période carême, est un message d’amour, de convivialité et un appel à rejeter le fanatisme et l’extrémisme. La Centrafrique, est un pays laïc et indivisible. »

Où sont nos technocrates ? Ils sont atteints de cécité devant les horreurs que transpercent les cœurs, l’âme et le corps de leur peuple. Ils sont atteints de surdité. Les cris de souffrances dans les provinces reculées de leur nation ne parviennent par à leurs oreilles. Ils son atteints de mutisme. Ayant des selekas dans leur entourage gouvernemental et présidentiel, ils ont peur de leur propre vie. Puisque le pouvoir de la transition ne vient pas du peuple, celui-ci est disposé à disparaître à petit feu. Et puis, les populations n’ont jamais vu leur mère de transition s’apitoyer sur leur sort. Et puis, elles ne l’ont jamais vue dégager une émotion quelconque devant leurs souffrances, ni une larme descendre des méandres de son visage.

A Bagneux, le 24/03/2014

Joseph GRÉLA

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