Chronique de GJKCoup de coeur

« JE COMMENCERAIS PAR ECRIRE EN GBAYA, EST-CE POSSIBLE ? »

C’était il y’a quatre jours à peine, ce 29 juillet 2014. Partant de son généreux commentaire, au bas d’un billet fort sympathique de présentation de la plateforme LES PLUMES DE RCA aux lecteurs de Courrier International – qu’elle venait de parcourir -, une certaine dame non moins sympathique, engagea la conversation sur le mur de sa page facebook. Au fil des échanges amicaux qui se poursuivaient apparemment dans une ambiance emprunte d’extrême jovialité, notre charmante dame, fit la très agréable réponse que voici, à l’un de ses interlocuteurs du moment, qui l’invitait ouvertement, à se joindre à la dynamique impulsée par l’équipe des « amoureux de l’écriture », que forment les contributeurs du présent site :

« Je vais commencer d’abord par écrire en Sango, ensuite en Gbaya et enfin en Français, est-ce possible ? »

Franchement, je l’ai kiffé, pour ainsi parler dans le langage des jeunes ados branchés. Et du coup, par une de ces chaudes matinées d’été, j’ai fini par laisser tomber tout ce que j’avais à faire, rien que pour bien suivre cette bienveillante conversation, et les interventions des uns et des autres. Cela me ramena aussitôt plus de trois décennies en arrière.

A cette époque à Bangui, j’étais pensionnaire de l’internat de l’ENAM (Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature), où je fus condisciple d’un certain Pierre Yamodo, présentement Inspecteur d’Etat au sein de l’administration centrafricaine. Sacré garçon que celui-là ! Qu’est-ce qu’il aimait bien nous faire marrer jusqu’aux larmes, nous faire rire en nous tenant les côtes au point que certains se retrouvaient à même le sol! Quand il ouvrait son « grand bêtiser », plus personne ne pouvait l’arrêter dans ses envolées sarcastiques. Mandja, Yakoma, Ngbaka, Banda, Nzakara, Gbaya…tout le monde y passait et chacun en prenait pour sa tribu ! Yamodo avait l’art d’imiter, et surtout de se moquer des différentes manières de s’exprimer en « sango » de certains individus à la diction fortement marquée par les dialectes de leur région. Il ne ratait pas non plus, l’occasion, de tourner en dérision, les moindres habitudes et comportements typiques à chaque ethnie de chez nous.

D’abord les « mandja », l’ethnie de notre cher Yamodo dont il ne tarissait pas d’anecdotes au sujet de leur « cleptomanie » légendaire. C’est le mythe du « mandja chinois han-koma ou dadoma  », ces petits voleurs de tôles et de sacs de ciment à l’époque de la construction par les chinois, de l’Hôpital de l’amitié, et à propos desquels Bangui fourmille encore d’anecdotes. Quant à notre collègue Myzène de regretté mémoire, le banda fondamental, à cause de son expression verbale marquée du son « R » roulé, aiguë et très prononcé, Yamodo disait qu’il fallait toujours le reprendre au minimum trois fois par phrase, pour être sûr de ne pas se tromper, et déterminer s’il avait parlé en français, en sango ou en banda. S’agissant de Banzia-Deka, qu’il appelait toujours « Sia, ita mo da ?», Yamodo rappelait à chaque fois – et faisait éclater tout le monde de rire – que ce collègue pour parler, « pagayait » du français bien maîtrisé au yakoma de Gbadolité, convaincu qu’il s’exprimait en sango alors qu’il sortait de gros mots  « ngbandi » . Aussi, quand c’était son tour d’assurer le service de semaine, au lieu d’utiliser la clochette pour nous réveiller ou souvent pour aller au réfectoire – afin de nous bourrer le ventre de caviar ainsi qu’on appelait les très angoissants repas militaires -, Yamodo émettait toujours des cris gutturaux, imitant en cela des pygmées, pour se moquer en même temps des ngbaka qu’il considérait tous comme des bêka ou babingas. Le représentant de cette ethnie, feu Songuéléama, était effectivement de petite taille, avait une voix traînante, et beaucoup de mal à prononcer certains mots tel que politique qui devenait dans sa bouche plotiqui. Que dire des ali – Wilipkan et commissaire Larry nos « carnivores bandjèdjè mè samè doka », très portés sur la viande de bœuf ou de brousse, qu’ils aimaient savourer, d’après Yamodo,  « filament par filament », en avalant de grosses bouchées de manioc. De feu Dieudonné Tounoumbi et de l’ancien ministre Tchombezogo, nos Gbayas Berbérati, presque personne n’a jamais réussi à leur arracher une seule phrase en sango. Ils s’exprimaient toujours en français, pour ne pas tomber sous les railleries caustiques de cher Yamodo. Pour feu Bazouangui notre condisciple nzakara, Yamodo disait qu’il gardait toujours sous son lit pendant toute l’année scolaire, un petit fut de 30 litres de bakpa ou békès, la pâte d’arichide salée que tout fonctionnaire de cette ethnie même en mission à l’étranger ne manque jamais d’emporter avec lui. S’agissant du mbati de notre promotion dont je ne me souviens plus du nom, toutes les fois que Yamodo le croisait, il se mettait systématiquement à réciter cette phrase de la fable « Le corbeau et le renard : apprenez que tout flatteur vit aux dépends de celui qui l’écoute ». Et un jour – pour s’en amuser –  il finit par nous expliquer, qu’il ne peut jamais inviter un mbati chez lui à la maison. Car, pour l’avoir essayé une seule fois, son frère aîné – en se laissant aller à entendre les belles paroles, mielleuses à volonté, qu’un de ses amis mbati  lui faisait avaler comme du kangoya sucré– avait failli lui céder femme, enfants et villa gratuitement. Enfin, de « Youssouf Andrassoul », le rounga, seul vrai musulman pratiquant de notre classe – au sens militaire du terme –, tout le monde se sentait l’ami et voulait être très proche, car il était d’un commerce si facile, et possédait des mœurs peu ordinaires qui nous attiraient. Ce qui n’empêchait pas Yamodo de se moquer de son sango façon très arabou. Chaque matin pour lui dire bonjour il lui sortait « Camarade a sara lango ndjoni? Bobo akè ndjoni? sèmbè  akè ndjoni ? cahier akè ndjoni? poro akè ndjoni?…wali congo a douti po pèpè  walaï ! a gwé ka a ga gué, a gwé ka aga gué walaï!... » et des tas de sornettes du genre.

Mais hélas que sont devenus ces temps, ces heureux temps où l’on pouvait rire de tout et de rien, plaisanter fraternellement sur les caractéristiques ethniques ou sociales d’un groupe donné, sans que cela soit mal compris ou donne lieu systématiquement à des interprétations tendancieuses !

En effet, j’ai eu la chance de passer quinze merveilleuses années de ma vie d’adulte au Mali d’où j’ai essayé de jouer modestement au globe-trotter, en parcourant presque tous les pays d’Afrique de l’ouest, avant de me retrouver en train de me morfondre sous  cet « été indien » parisien. Aussi, je puis vous assurer et témoigner de tous les bienfaits d’une coutume ouest-africaine qui m’a profondément émerveillé. On l’appelle sinankunya au Mali ;  rakiré chez les Mossis du Burkina Faso, toukpê en Côte d’Ivoire, Kalungoraxu chez les Soninkés, dendiraagal chez les Halpulaaren, kalir ou massir chez les Sérères, Kal chez les Wolofs. Il s’agit en fait de ce qu’on appelle dans ces pays, la  parenté à plaisanterie, une pratique sociale typique, qui autorise, et parfois même oblige, des membres d’une même famille – tels que des cousins éloignés -, ou des membres de certaines ethnies entre elles, à se moquer ou s’insulter, et ce, sans conséquence aucune ; ces affrontements verbaux étant en réalité des moyens de décrispation sociale.

Ces pratiques existent ou ont certainement existé chez nous en RCA aussi, mais elles ont fini par disparaître à défaut de n’avoir pas été préservées et perpétuées, ou parce qu’on a commencé à les comprendre à l’envers et à  mal les interpréter, comme c’est le cas d’ailleurs pour l’ensemble de nos traditions qui disparaissent petit à petit.

Aussi, vous comprendrez – ou vous ne comprendrez pas et je m’en excuse – quel fut mon émerveillement ce jour du 29 juillet, quand il me fut donner grâce au net de faire ainsi connaissance, de cette fille Gbaya « pur-sang », polie à vous donner à boire à genoux, mais une fois debout, capable d’oser une gifle s’il vous en prend de lui manquer de respect. Cette dame, qui n’aurait pas sa langue sous sa robe, ni nouée au bout de son pagne, après presque trois décennies passées sous la neige à se « frotter la cervelle contre celle d’autrui blanc », ne s’est pas – malgré tout ou à cause de tout – transformée en ours polaire.  Elle revendique au contraire et toujours fièrement, sa « gbayanité », au point, semble-t-il, de ne jamais oublier de présenter à la table de ses invités moundjou, des mets du terroir – tout droit sortis de son « foutu » hameau perdu de Bossangoa, alias Boston City -, tel que le pâté de ngoroboro, ou le gbanguida qu’elle appelle crêpe de sarrasin

Ceci dit, j’en profite donc pour lancer un avis, à toutes nos soeurs centrafricaines d’ici ou d’ailleurs, afin que la banda revienne au kpangou ; la yakoma se souvienne du kpoto-ngoundja ou Ngoukassa, et que la Nzakara se remette au gôgô…Et bien sûr, pour sceller et célébrer l’unité nationale, ne jamais oublier et surtout apprendre à vos enfants à apprécier : le Gnama na Ngoundja ou kôkô, le Kôkô ou Ngoundja na kourou sousou, ou encore le Zongo Kpêtê et Mboto  etc…Que c’est si merveilleux de partager cela avec vous ! Après tout, qui a dit que la réconciliation et la paix ne passeraient pas par une bonne cuisine et une table bien faite, arrosée de kangoya, péké, bilibili, lokpoto, douma, ngouli, que sais-je encore ?

C’est franchement bien dommage, quand on arrive en France notamment, de parcourir Paris la capitale et les provinces de ce pays de vourou mè, sans pouvoir dénicher ne fut-ce qu’un seul « petit » restaurant centrafricain digne de ce nom, qui puisse permettre de renouer avec les belles habitudes culinaires de notre beau pays. Ce n’est pas, semble-t-il, faute de volonté, de compétence ou encore de moyens. Mais tous ceux qui ont essayé vous le diront. Ils ont tous été obligés de fermer à cause de la mentalité de nos compatriotes qui, au lieu d’encourager ces types d’initiatives, transforment plutôt et presque systématiquement ces lieux de rencontres conviviales, en rings de boxe, si ce n’est en dojo de karaté ou de judo. Sans compter qu’ils oublient très souvent volontairement de régler leurs factures qu’ils « interdisent » en plus, aux pauvres gérants de réclamer. Alors, quand les voisins indisposés par les vacarmes réguliers s’y mêlent et appellent au secours les policiers à venir s’occuper de ces « sales nègres sans-papiers », adieu « Restaurant Oubangui » « La Centrafricaine » et bien d’autres ! Pauvre Centrafrique des bords de Seine ! Malgré tout, du passé, sachons retenir ses enseignements et prendre des leçons pour essayer, essayer encore, essayer toujours.  Au troisième essai, qui sait!

En définitive, dans les convulsions des temps que nous vivons, je persiste à croire au-delà de toute croyance, et à espérer contre toute espérance, que les Centrafricains, s’ils veulent vraiment s’en sortir, gagneraient à se réconcilier avec leur propre et riche culture ; c’est-à-dire, à retrouver leur âme qu’ils ont fini par perdre totalement, à force de la négliger et de la bafouer. Sans cette âme, c’est-à-dire sans ce sentiment profond d’appartenance à une ethnie, à une tribu, à une région, mais au-delà, à tout un pays, dont on se doit de respecter et d’assimiler les habitudes de vie ou les valeurs coutumières positives de fraternité, de solidarité, de respect, d’unité, de dignité et de travail, le retour à la paix et à la stabilité par la réconciliation restera à jamais qu’une chimère.

Pour conclure, je reprendrai simplement ici, ces mots que je n’ai pas résisté à écrire en guise de seule et unique intervention de ce jour du 29 juillet 2014,  jour qui restera pour moi, l’un des rares moments merveilleux que je n’ai jamais connus et vécus avec autant d’intensité et de délectation sur facebook :

« Des échanges très sympathiques comme on aurait voulu en avoir très souvent sur le net. C’est cela notre philosophie du CENTRAFRICANOPTIMISME : La Centrafrique d’abord, tout pour la Centrafrique, rien que la Centrafrique. A tous, je dis simplement, la main sur le cœur, MERCI ! »

GJK – L’Élève Certifié
De l’École Primaire Tropicale
Et Indigène du Village Guitilitimô
Penseur Social

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2 commentaires

  1. Au delà de tout ce qui a pu déclencher l’émotion de nombre de Centramachins et Centramachines, je voudrais souligner ce que l’auteur a su mettre mettre en avant: cette aptitude que nous avions, nous générations des années 60, 70, 80 et même 90 à vivre en toute fraternité, à nous chambrer les uns, les autres sans susciter de courroux et autres venins à caractère tribaliste, pire : des machettes, des flèches empoisonnées et des kalachnikovs.

    Les jeunes de la région parisienne me découvrent, les yeux exorbitants, chaque fois que j’énonce cette simple vérité. Oui, dans les années 60 et 70, nous étions Centrafricains, c a d frères et soeurs avant toute autre distinction

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