Grand format de J.Gréla

GRAND FORMAT – RCA : LA VIE DERRIERE LES ZONES OCCUPEES PAR LES SELEKAS

Les provinces dans le sable mouvant du conflit

Irak, Syrie, Nigeria, Mali, les dangers viennent toujours du nord. Les selékas aussi avec une seule ligne argumentaire : saucissonner la Centrafrique à la manière djihadiste, faire disparaître les traces de l’administration voire municipale et les preuves de la nationalité. Dans les contrées asservies, occupées, la souffrance explose au visage des rares humanitaires, médecins sans frontières, volontaires de la Croix rouge… On y voit que du désordre organisé au profit de la prédation. Les selekas s’équipent lourdement grâce à leurs trésors de guerre, aux braconnages, aux ressources minières et forestières exploitées en contrebandes. Les armes, elles-aussi, viennent du nord, prennent librement les voies poreuses du territoire centrafricain incontrôlé. Le mauvais génie, seleka, hors de toute atteinte, contrôle tout, restreint la liberté d’aller et venir, érige des barrières, lève illicitement les impôts et les taxes de tout genre, s’aguerrit mais se propulse dans la posture de la victime dès la présence de la communauté internationale. Les accords du forum de Brazzaville sont foulés aux pieds. La signature et les étreintes, gages de leur engagement pour la paix et de leur attachement à l’unité du pays, demeurent sine die et expédiées calendes aux grecques. Les selekas s’opposent à tout, sinon la partition, leur chance de l’impunité.

Chacun attend son tour pour mourir

Depuis quelques jours les peuhls se sont introduits dans le conflit. Dans leur déplacement de de Kabo à Batangafo, à Kaga-Bandoro, aux Mbrès et leur dissémination dans les villages, ils tuent tous azimuts, pillent les habitants sur leur passage. Noyés dans ces atrocités quotidiennes, ces populations, ne pensent plus. « Ils sont passés chez nous. Ils ont tué mon frère. Ils ont pris sa moto et son argent et ils sont partis vers le village de Ndomété sur la route de Bangui et des Mbrès », se lamente une femme d’un certain âge, les yeux perdus dans l’océan de ses larmes.  Comme dans la fable de Jean de la Fontaine, les populations de ces villes et villages meurtris, frustrés, malmenés, appellent la mort pour abréger leur souffrance, leur désespoir, mais elle ne se présente pas. Chacun doit attendre son tour. Un fonctionnaire à la retraite, tout couvert de poussière, la tête entre les mains, sous un manguier rabougri, qui n’a plus besoin de hurler sa colère, épilogue : « Nous sommes impuissants. Qu’est-ce que nous pouvons faire d’autre ? Chacun attend son tour.  Les selekas ont armé les peuhls. Maintenant les peuhls reviennent contre les selekas. Pour quelles raisons ? Je ne sais pas. Malheureusement tout se retourne contre nous. Qu’avons-nous fait pour être punis de cette manière». Les peuhls veulent rejoindre Bambari contre les selekas. Serait-ce un subterfuge pour tromper la vigilance et les regrouper pour renforcer leur état-major ? Que de paradoxe en Centrafrique ! Les selekas ont armé les peulhs ! Les peulhs entendent les combattre !

Les observations se croisent

Pendant que les yeux sont tournés vers Bangui, et son illusion de pouvoir qui ne guérit pas, pendant que les yeux des cameras ne sont plus braquées sur les souffrances des contrées reculées de Centrafrique, pendant que les journalistes abreuvent la communauté internationale des nouvelles tristes de l’Irak et son khalifat dans le nord du pays, de la Syrie, du conflit israélo-palestinien, la voix des souffrances des villageois s’est étouffée. Leurs cris ne dépassent plus les limites de leur village. Qui viendra les délivrer ? Auront-ils un messie, un leader pour essuyer le peu de larmes qui inonde encore le creux de leur visage ? Les bourreaux sont là présents, s’organisent dans l’attente de la Minusca.

La population oubliée ne demande qu’à vivre, à vaquer à ses travaux champêtres, à s’occuper de ses animaux domestiques, à manger, à raconter des histoires drôles, des contes autour du feu le soir, à jouer au clair de lune, à dormir tranquillement dans son lit et à réentendre les bruits familiers composés des chants du coqs, des bêlements des moutons des aboiements de ses chiens au lieu des rafales de kalachnikovs, de crépitements des grenades et des tohu-bohus des armes lourdes. Tout ce bruit habituel d’antan a disparu. Il faut maintenant marcher, c’est-à-dire, vivre avec la peur au ventre, au rythme de ce que lui impose l’occupant, comme au temps jadis, le temps du RPF « Kwa ti RPF », entendez, travaux forcés. Un chef du village dira « Peur ou pas peur, ici, on meurt toujours un jour »

Bangui et madame Samba Panza sont loin du quotidien de leur population

C’est ainsi que de Sido à Birao en passant par Bambari et Dékoa ; de Batangafo à Ndélé au détour des Mbrès, Bakala, Bria, Ippy et Ouadda Djalleh, les populations sont épuisées, sont écrasées, éprouvées. Le pouvoir de Bangui faible, hypocrite, égotiste, hérétique, les a abandonnées. Aucun politique ne veut penser à ces âmes jetées dans les bras du cruel selekas. Aucun politique ne vient vers elles. Sous le joug de ce « khalifat » de la haine, de la subversion, de la terreur et de la « prédation plurielle », dénommé selekas, les femmes, enfants, vieux et hommes ne tiennent plus. Tous peinent de la même manière, sans distinction. Tenaillés par la faim, pris en étau par les anti-balles AK et les peuhls armés, impuissants devant les maladies, ils se résignent, attendent la mort. Ils ne sont plus maîtres et possesseurs de leur vie. Que penser donc ! Souffrir et encore souffrir. Bangui et son pouvoir transitoire se suffisent à eux-mêmes. Ils sont loin de leurs réalités.

Bangui est un monde à part. Madame Samba Panza aussi. Suivie de tous les véreux, les despotes, les prédateurs d’un jour, les calculateurs, les larrons.

Les jeunes, sinon les enfants ont leur lendemain obscurci. Enrôlés dans ces groupes armés, ils sont soumis à la prise des drogues. Ils sont initiés à tuer, la seule manière de se défendre, dit-on. « Tue-le, sinon il te tuera », le leitmotiv des criminels. « Un petit garçon se sentant militaire exécute vaillamment cet ordre infâme dans le tourment de la drogue et des comprimés de tramadol avalés pour surmonter ses émotions criminelles », raconte un villageois de Djoubissi, dans un sango batard allié à son dialecte Banda situé au carrefour de la route rurale N° 12 entre les villes de Bakala, Bambari et Ippy. La vie humaine n’a plus de sens. Une absurdité. Une ignominie. Une bestialité grégaire impunie.

Mes enfants sont tes enfants. Tu les abandonnes. Dieu est grand

De peur de subir des atrocités, de jeunes hommes et jeunes femmes, au lieu de résister dans leur village ont rejoint les selekas et se sont rendus vassaux, hommes et femmes à tout faire. « Mon fils a rejoint les selekas en espérant devenir soldat » se souvient un père. « Mais il a fui. Il a rejoint le village et vit désormais caché » poursuit-il. Un autre père  sur la route de Bakala, « je n’ai plus de nouvelle de mon garçon. Certains me disent qu’il est devenu leur boy ». Lâche-t-il, assommé par le doute, le désespoir et le chagrin. Ainsi va la vie auprès des selekas et avec les selekas.

En fin, la prière d’un grand-père dans le village Simindou près de la ville de Yalinga : « Bangui, regarde-nous. Aie pitié de nous et viens nous délivrer » implore-t-il. «Mes enfants et mes petits-enfants sont aussi tes enfants, madame Samba Panza, et tu acceptes leur souffrance. Dieu est grand» lance ce grand-père désespéré dans un élan d’amertume à l’égard de la présidente de transition Samba Panza qu’il n’a jamais vue et entendue.

Dans cette diffusion du parfum du djihad par les selekas, sur ce terrain de guerre non-conventionnelle, les populations rêvent respirer l’oxygène non pollué grâce à l’avènement prévu de la Minusca au cours de ce mois.

Vivre et espérer… les derniers motsLa Flamme de Centrafrique ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas.

Joseph GRÉLA

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