EN VEDETTEVos plumes

COUP DE GUEULE OU COUP DE CŒUR ?

Par Arcadius BANZA

La famille !
Voilà un bien étrange mot. Banal. Si simple, mais si complexe pourtant.
Alors, c’est quoi une famille ?
Pour tenter d’appréhender et de comprendre ce mystérieux concept, imprégnons-nous de cette histoire familiale à l’africaine.

C’est l’histoire d’une famille ordinaire, typiquement autochtone, traditionnelle, ancestrale ; dans une société de tradition orale, où rien n’est consigné sur papier, mais que tout repose la parole donnée, la parole d’honneur. Une société de valeurs, de vertus et de principes qui font les mœurs, les us et coutumes. Seule la conscience de chacun est le seul, vrai juge. Les yeux de la société locale toute entière et sa conscience commune en sont le procureur. Ainsi, les pensées, les attitudes et les comportements des membres de ladite société peuvent constituer de véritables supplices, de vraies persécutions, morales, qui achèveront de pousser à la repentance et à la réparation, ou encore à l’ultime auto-sanction de toute conscience maladroite, fautive, délictueuse, criminelle…

Tenez cette histoire :
Une famille de deux grands adolescents vient d’être fondée après de rudes épreuves initiatiques endurées, chacun, dans son groupe de genre. Les filles de la même génération, entre elles ; les garçons, entre eux, d’à peu près même âge. Ainsi, par la force et la puissance des sentiments, des émotions, de l’attirance ou de l’amour comme diront certains, de l’une vers l’autre et vice versa, une alliance peut être scellée. Les deux familles, de chaque part, font le constat de l’évidence de ce choix libre et mutuel et autorisent, avec leur bénédiction, l’union des deux êtres. A moins qu’un souvenir malheureux, un crime d’honneur par exemple, d’une part ou de l’autre, ne vienne définitivement faire obstacle à cet amour…
C’est ainsi que Siméoni, l’enfant de Zaoro-Songou et Yvona, celle de Ndinguiri ont pu lier leur sort dans un foyer, dans une famille.

Ndinguiri et Zaoro-Songou sont deux villages voisins dans cette contrée dont les relations entre les deux communautés ne sont pas des si tendres ; et c’est le moins que l’on puisse dire. Les seconds se considèrent plus intelligents ; en fait plus malins. Tandis-que les premiers, plus vertueux, jugent et considèrent avec condescendance les villageois de Zaoro-Songou comme une communauté de gens malhonnêtes, de qui rien de bon ne peut arriver… Très sévère jugement globalisé !

Deux enfants naîtront tout de même de ce couple. Un garçon, Iannis, l’aîné, brillant futur instituteur; puis une fille, Elisa, particulièrement gracieuse, et future promise d’un illustre distingué. Le couple est travailleur. La vie est bien rythmée. Les moments de joie ne manquent pas ; des soirées dansantes au rythme de sons endiablés de tam-tams et chants folkloriques, régulières, viennent de temps en temps casser une certaine routine, une sorte de monotonie de temps de silence et d’activités cycliques : champêtres pour Siméoni ; commerciales, quant à mère Yvona. Bref, la famille est apparemment heureuse. Tout semble les opposer dans leur façon d’être et de faire, particulièrement dans l’approche éducative des enfants, mais le couple parvient, à chaque fois, à dépasser, à surpasser leurs divergences. Chacun ruminant sa colère dans une sorte de monologue imperceptible. La tradition et le respect de l’engagement marital semble constituer le socle, le rocher sur lequel est fondé leur foyer…

Jusqu’au jour où Yvona, après maintes rumeurs, quolibets et commérages qu’elle prenait innocemment pour de la calomnie, tombe nez-à-nez devant le spectacle fatal : Son mari, natif de Zaoro-Songou, dans les bras d’une plus jeune et sensuelle dame de son propre village natal ! Scandaleux ! L’amour-propre est atteint ; l’honneur personnel et la dignité désormais bafoués ; l’engagement de fidélité rompu ; que reste-il à faire ? Mais il fallait bien s’y attendre…

Sans autre forme de procès ou autre audience d’explications, Yvona, se sentant trahie, blessée mais déterminée, passe aux actes : Elle quitte donc le foyer conjugal, et repart rejoindre sa famille, son village, Ndiguiri ; abandonnant toutes affaires personnelles ; enfants compris (désormais grands adolescents, Dieu merci)…

Cependant, Siméoni, homme peu bavard, circonspect après coup et pragmatique, officialise sa nouvelle relation, dans l’intérêt concomitant des enfants dont les soins et activités doivent se poursuivre sans le moindre impact de cette brutale séparation à l’emporte-pièce. Plus facile à faire tant sa nouvelle dulcinée est un pur produit de sa culture traditionnelle, autochtone de Zaoro-Songou où les parents se connaissent bien en plus. Et ici, la vie a repris vite son cours, comme si de rien n’était !

A Ndiguiri, à contrario, la mère Nature ne semble pas vouloir rendre justice à mère Yvona, au contraire. Dans son malheur, en dépit de son caractère vertueux et travailleur et de sa piété, en sa qualité de fervente chrétienne nouvellement baptisée, la réponse paradoxale du Ciel est tout sauf le bonheur qu’Il promet aux justes sur terre (à commencer): Elle contracte le bacille de HANSEN, la terrible et virulente bactérie responsable de la lèpre ; maladie qui ronge surtout les extrémités, doigts et orteils, causant d’irréversibles dommages corporels mêlés de douleurs physiques et psychiques, de petits saignements intermittents et rendant de plus en plus précaires les gestes subtils des doigts et la marche… Yvona devient de plus en plus handicapée, en raison d’absence de soins appropriés dans ces contrées ! Mais tenace, elle reste et demeure toujours pieuse et travailleuse, sans modifier d’un iota, ses activités de petits commerces ambulants, en dépit de son état de santé. Oubliant presque son foyer d’antan ; ou plutôt, faisant semblant de l’oublier. Ses enfants, dans cette tradition patriarcale, ayant intégré d’avoir changé de mère ; dans l’insouciance propre à l’enfance, en sont presque arrivés à reléguer leur mère génétique au statut d’une ex-mère, secondaire : Ultime injustice !
Et c’est dans ce contexte d’une vie normale renouvelée que la sinistre nouvelle, comme un tonnerre dans un ciel bleu, tombe et qu’avec stupeur, tout Zaoro-Songou tombe des nus, y voyant, chacun selon la foi, la « main sorcière » de Yvona et de son village, ou la vengeance de la mère Nature, de Dieu, de Justice : La dulcinée de Siméoni, fille de son village natal, la belle Théresa, vient de décéder suite à une courte et mystérieuse maladie, après juste quelques cinq petites années de vie commune.

Siméoni, toujours peu bavard, travailleur, circonspect à l’occasion, stoïque et presque fataliste, ne s’encombre pas de débordement d’émotions, ni d’aucune forme de paralysie psychique. Il organise dignement, dans son village, les obsèques de sa dulcinée Theresa. Reçoit même, à l’issue de ces veillées mortuaires, une délégation de son ex-belle famille, de Ndiguiri, sans Yvona : Cette curieuse « visite de compassion », pour sincère qu’elle puisse être, est, bien entendu, diversement appréciée. D’aucuns dans le village y voit une forme de plaisanterie, de moquerie, de triomphe !

Qu’à cela ne tienne ; Simeoni, faisant profil bas, pénitentiel de mine empreinte d’humilité, saisit l’occasion et profite de cette bienheureuse opportunité pour plaider la réconciliation ; exprimer ses remords ; formuler sa douleur, sa détresse et compassion quant à l’état de santé de celle qui reste toujours sa femme aimée, Yvona ; réitérer son inconditionnel engagement à l’endroit de sa première amour de jeunesse ; à l’endroit de celle avec qui ils ne forment désormais qu’un seul et même corps au travers de Iannis et d’Elisa, leurs enfants génétiques et légitimes. Comme eux, lui Siméoni et Yvona, ils sont désormais comme frère et sœur dans une nouvelle vie au travers de leurs enfants, dans une nouvelle génération. Et qu’il est donc vain de se haïr lorsqu’on est frère et sœur, uni par le sang etc… Des arguments qui ont ému et convaincu la délégation de Ndiguiri conduite par un beau-frère, toujours proche et complice, qui se charge ipso-facto de la mission d’aller aplanir les montagnes ô combien rocheuses et élevées, dressées dans le cœur de sa sœur cadette, toujours malade, mais toujours pieuse, travailleuse et déterminée…

Sans la moindre hésitation, après la plaidoirie habile et efficace de son frère Joseph, Yvonna compte retourner chez son mari malgré tout. Contre l’avis de la majorité des villageois, réticents ou opposés, à tort ou à raison, à ce volte-face de la trahison, de l’infidélité, de l’humiliation et du déshonneur toujours vivaces dans les esprits.

Sous le feu de sa foi, ou de l’amour de ses enfants, ou celui aussi de son mari, le seul qu’elle a toujours connu et aimé avant de tomber dans ce sentiment étrange de « haine » mêlée d’amour, Yvona regagne donc le foyer conjugal où elle retrouve l’ensemble de ses affaires jusque-là soigneusement rangées dans la chambre de son désormais grand garçon, l’élève instituteur Iannis, parti en formation. C’est l’occasion de reprendre la vie là où elle s’était arrêtée, cinq années plutôt…

N’ont-ils pas dit les anciens que « le sentiment le plus proche de l’amour, c’est la haine » ? Il est des choses dans la vie dont on ne percevra jamais les fins secrets quel que soit le degré de sa science …
Eh bien, c’est quoi la famille alors ?
« Un manteau d’épines qui ne cesse de vous piquer lorsque vous le portez ; et qui vous laisse sans chaleur, surtout en hiver (de la vie) lorsque vous l’ôtez » comme le définissait un célèbre intellectuel africain ?

Dans un tel postulat, d’une façon ou d’une autre, avec ou sans le manteau d’épines, il y’a toujours une forme de douleur à endurer. A chacun donc le droit de prioriser la douleur de son choix !

Pour Larousse, l’illustre dictionnaire de la langue française, c’est simplement : « un ensemble formé par le père, la mère et les enfants ».
Mais une telle définition est à peine formulée et exprimée publiquement que déjà elle est jugée restrictive, discriminatoire, rétrograde par la bienpensante minorité dominante ; celle paradoxalement plus bruyante, au nom de la liberté de conscience et d’expression, qui parade parfois contre des préjugés fustigés ringards… Ce sont les partisans de « la famille moderne », celle dite homoparentale, recomposée, étendue ou indivise etc…
Sans oublier la famille de type africain, élargie aux tantes et oncles (de la lignée paternelle, maternelle), cousins et cousines, neveux et nièces ; toutes générations mêlées … Une confusion ?

Il y’a même la grande famille africaine, à l’échelle continentale, représentée par l’OUA (organisation de l’unité africaine) rebaptisée désormais UA (union africaine) : Un vaste marigot d’hypocrites caïmans où chacun feint de respecter d’hypothétiques règles d’intérêt commun, en fait de convenance ; mais où tous en réalité, et sans exception, sont à l’affût de leur part individuelle de viande, leurs intérêts propres ; et qu’importe si c’est au détriment d’un tiers plus faible dans cette même communauté de destin : Des membres dits partenaires liés entre eux plus par leur qualité d’opprimés séculaires que par toute autre forme, souhaitable au demeurant, de solidarité.
Mais la génétique que dit-elle ?

D’emblée, le concept de famille renvoie à des notions de caractères communs ou même de caractéristiques communes. Pour d’autres, le concept évoque forcément une origine commune.

Or par la génétique, la science nous apprend qu’un enfant ne peut naître que de la rencontre d’un spermatozoïde chargé de vingt-trois chromosomes (dont un chromosome sexuel baptisé X ou Y, duquel dépendra le sexe de l’enfant à naître) et d’un ovule, lui aussi doté de vingt-trois chromosomes (dont un sexuel, toujours X).
Le spermatozoïde est toujours produit dans un corps mâle, dans celui d’un homme dans l’espèce humaine ; tandis-que l’ovule est toujours synthétisé dans l’ovaire, chez la femelle ; la femme dans l’espèce humaine, qui dispose des attributs nécessaires à la fécondation in vivo, à la nidation et à l’accueil de la gestation de l’embryon durant sa vie intra-utérine jusqu’à l’accouchement et même après…

Toutefois, le sexe de l’être à naître n’est pas tributaire du matériel génétique femelle : Puisque le sexe de l’enfant est toujours dépendant de l’apport chromosomique du mâle, la famille est-elle « naturellement » patriarcale et non matriarcale (filiation utérine) ? La prépondérance d’un rôle parental (masculin ou féminin) dans un couple, dans un groupe social, peut-il être déterminée génétiquement ? Existe-il, en d’autres termes, un sexe fort (ou faible à contrario) ?

En tout cas, on ne peut qu’observer que dans le sport, les exercices physiques, hommes et femmes ne jouent pas encore formellement dans la même catégorie. Même si c’est déjà le cas au plan intellectuel, malgré quelques inégalités persistantes ici et là !
Voilà un autre débat.

En tous les cas, il y’a une famille dont on parle peu ; à laquelle on y pense rarement et plutôt avec une connotation plutôt péjorative : C’est « la famille de pensée ». Des personnes « génotypement », « phénotypement » (morphologiquement) différents, mais qui se ressemblent pourtant, comme deux gouttes d’eau, par l’esprit. Des personnes, sans lien de sang aucun, qui entretiennent et nourrissent entre elles des sentiments et attentions parfois plus que fraternels, liées entre elles juste par la proximité intellectuelle ; par une éducation commune, des approches communes, des valeurs communes, comme le concluront certains experts… Des personnes d’horizons différents, d’éducation différente, de familles différentes, de génétique différente, qui n’ont en commun que leur seule culture, mais qui se partagent pourtant l’essentiel des valeurs et vertus humaines. Des personnes qui entretiennent et nourrissent, au-delà de leur cercle de pensée, une bienveillance, une gentillesse, une chaleureuse courtoisie qu’elles veulent universelles, au profit de toute l’humanité, tout en convertissant les méchants, ces chantres de contre-valeurs. C’est cela l’amitié. Les amis, c’est aussi la famille, qui se souvent, ne se comportent pas comme un « manteau d’épines, paradoxalement » … C’est mon coup de cœur !

Ô, qu’est-ce que j’aurais aimé que la famille génétique et la famille de pensée se confondent !

Arcadius BANZA

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