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CENTRAFRIQUE : NÉCESSITE DE LA REFONDATION

Par Médard POLISSE-BEBE

La crise politique centrafricaine a des causes multiples à repartir en deux grandes catégories : les causes endogènes (celles impliquant la responsabilité des autochtones, en occurrence les acteurs politiques centrafricains) et les causes exogènes (celles impliquant les forces étrangères et autres puissances internationales). Sans aucune volonté de minimiser les causes exogènes, il y a lieu d’affirmer cependant que celles-ci sont générer de façon exponentielle par les facteurs liés aux causes endogènes, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas sans lien direct ou indirect avec la responsabilité (pour ne pas dire l’irresponsabilité) des citoyens centrafricains eux-mêmes. C’est d’ailleurs la raison fondamentale pour laquelle nous allons nous appesantir plus sur ces causes-là et ses implications sur la vie économique et sociale du pays en s’appuyant sur deux de ses caractéristiques essentielles : la mauvaise gouvernance et la compromission.

S’agissant de la mauvaise gouvernance, beaucoup d’entre nous savent que la République centrafricaine a longtemps été gérée sans partage, de façon patrimoniale et prédatrice par des clans, des familles, des groupes catégoriels. Les biens et ressources de l’Etat sont souvent accaparés par ceux-là au détriment du peuple souverain. Cette situation s’est davantage accentuée ces dernières années avec des conséquences catastrophiques sur le plan social :

– Manque d’écoles ayant engendré la prolifération des établissements privés qui, non seulement se développent de façon anarchique (on en trouve à chaque coin de rue, et sans que l’Etat exerce un réel contrôle sur le contenu des enseignements donnés ainsi que les compétences de ceux qui les dispensent), mais surtout sans que beaucoup de familles souvent sans ressources puissent avoir la capacité de les payer pour leurs enfants ;

– Manque des hôpitaux adéquats et équipés impliquant un taux excessif de mortalité qui n’est pas sans incidence, non seulement pour la vie en famille (puisque des familles sont détruites et déstructurées), mais également sur le fonctionnement normal de la société (avec la perte incessante et précoce des cerveaux et autres compétences pourtant utiles au développement du pays ;

– Manque de travail pour les actifs, occasionnant ainsi l’oisiveté, la délinquance et autres fragilités d’ordre psychologique et psychique ;

– Manque des infrastructures publiques (routes, électricité, bâtiments publics, etc.), avec une incidence majeure sur les activités économiques par exemple.

S’agissant de la compromission, la classe politique par exemple a montré ces dernières années, par ces actions, qu’elle manquait de maturité et surtout d’éthique de responsabilité. J’en veux pour preuve le fait que certains hommes politiques, de surcroit candidats à la magistrature suprême de l’Etat, aient pu toucher de grosses sommes d’argent liquide, à certains moments, de la part de certaines puissances étrangères occidentales ou autres pays africains (c’est-à-dire qu’ils se sont laissés littéralement corrompre) pour accepter des résultats tronqués des élections présidentielles et législatives auxquelles ils ont participé. D’autres ont accepté bonnement d’aller à des élections dont ils savaient pertinemment que les moindres conditions de transparence et de crédibilité n’étaient pas réunies, servant ainsi de caution à la désignation des Chefs d’Etat qui n’étaient pas l’émanation réelle du peuple.

La suite, on la connait : crise politique à répétition, difficulté à sortir le pays de son état de déliquescence, tâtonnements et errements de toute sorte (parce qu’ils sont « élus » sans programme et sans projet politique, certains ne savent même pas par où commencer).
D’autres encore se sont mis en intelligence avec des groupes armés et/ou des forces non-conventionnelles ou autres puissances étrangères pour déstabiliser le pays, occasionnant ainsi des milliers voire des centaines de milliers de victimes innocentes parmi de paisibles citoyens qui n’aspiraient pourtant qu’à une chose : vivre en paix…

Tout cela est la preuve tangible de la défaillance, sinon de la faillite de la classe politique centrafricaine dans son ensemble à donner un avenir meilleur au peuple. Elle s’est souvent résolue à assouvir ses propres intérêts au détriment de celui de ce bas peuple dont elle est censée servir. C’est dire donc que s’il y a un aspect sur lequel nous pouvons être unanimes, c’est l’implication pleine et entière de notre classe politique dans la déchéance de la République centrafricaine.

Dès lors, se pose une question cruciale : est-ce normal et juste de considérer que TOUS sont indistinctement responsables de la situation ? Faut-il établir les responsabilités collectives sans se préoccuper de savoir qui a fait quoi exactement ?

La réponse est bien évidemment NON ! Il n’est pas juste de dire que tout le monde est responsable de tout et personne n’est responsable de rien. Et c’est là justement que se pose la question de la nécessité de l’individualisation des responsabilités dont beaucoup de centrafricains soutiennent l’idée. En effet, une chose est sûre, c’est que certains hommes politiques bien connus du peuple centrafricain (du Pouvoir comme de l’opposition) ont pu, par leurs actions, conduit le pays dans la situation déplorable où il se trouve encore aujourd’hui. Il est donc consternant de savoir que plusieurs d’entre eux jouissent actuellement de l’impunité et prospèrent toujours sur le sang des victimes civiles innocentes, tandis que d’autres se sont refaits une virginité politique et se retrouvent même aujourd’hui aux affaires dans la gestion du pays au mépris de toutes les valeurs morales et éthiques que recommande la décence humaine. Dans ces conditions, comment accepter que les auteurs de pratiques politiques aussi néfastes pour le pays puissent continuer ainsi allègrement et impunément à exercer ou cogérer le Pouvoir de l’Etat avec le risque de faire perdurer la souffrance de la population ?

Si le peuple veut réellement rompre le cycle de toutes les pratiques politiques nuisibles dont il a payé le prix fort et continuent de payer les conséquences fâcheuses, il doit être capable de dénoncer leurs auteurs et de créer les conditions de l’établissement de leurs responsabilités individuelles. Il a le droit de savoir qui a fait quoi dans la situation qu’il vit depuis maintenant plusieurs années. Il ne peut donc pas se satisfaire de vœux pieux tendant expressément à dissoudre ou à noyer ce type de responsabilité. C’est d’ailleurs le point de départ, sinon la condition essentielle de la refondation de la République centrafricaine.

Cela dit, certaines actions coercitives et/ou éducatives doivent être menées à savoir :

– Inciter les acteurs politiques de ces dernières années à s’expliquer dans un forum ou lors de débats citoyens (radio-télévisés par exemple) organisés au sujet de leur responsabilité propre, celle des uns et des autres dans la crise politique qui secoue le pays.

– Exiger des Autorités centrafricaines la mise en œuvre de la commission vérité et justice, recommandée par le Forum de Bangui en 2016, la doter le plus imminemment possible de moyens conséquents lui permettant d’interpeller les acteurs politiques soupçonnés formellement d’être impliqués dans la crise politique centrafricaine afin d’établir leur responsabilité politique et, le cas échéant, en fonction de la gravité des faits qui leur sont imputés, les traduire en justice.

– Faire une vaste compagne de sensibilisation sur le civisme et l’esprit patriotique qui sont factuellement à l’origine de toutes les dérives commises dans le pays. L’éducation nationale centrafricaine, ayant longtemps mis en œuvre un système éducatif axé uniquement sur l’instruction sans prendre en compte le volet éducation civique (qui est pourtant la base de formation d’un bon citoyen), a favorisé indirectement le déclin moral des citoyens qui éprouvent parfois du plaisir à se livrer à des actes de destruction de leur propre pays, dans une indifférence déconcertante. Nous avons ainsi au sein de l’élite centrafricaine même ceux qu’on peut qualifier par euphémisme de « délinquants politiques ». Par conséquent, sans un véritable travail d’éducation civique et de coercition envers ces derniers, leurs mauvaises pratiques continueront de plus belles, avec ses effets sur la population. Ainsi, les citoyens doivent se résoudre dorénavant à faire payer à chaque délinquant politique les conséquences de ses actes.

– Envisager très prochainement, notamment pour les prochaines échéances, le renouvellement profond de la classe politique actuelle : c’est un impératif catégorique. Un minimum d’objectivité amène à penser qu’il n’y a rien à attendre de ces gens dont leur seul objectif reste d’assouvir leurs intérêts et ceux de leurs proches au détriment du peuple centrafricain. La République centrafricaine a donc besoin d’hommes et de femmes nouveaux, engagés, avec des convictions et d’ambitions fortes pour pays, capables de se donner les moyens de bâtir une véritable nation centrafricaine, une et indivisible et, ainsi de conduire ce pays vers le développement.

Ainsi, les prochaines élections présidentielles et législatives de 2021 doivent-elles être l’occasion de mener de vrais débats citoyens, démocratiques et républicains sur les problématiques susmentionnées dans le but de conscientiser les centrafricains sur leur responsabilité par rapport à l’avenir de leur pays et éviter que ce peuple soit continuellement pris en otage par ceux-là même qui ont contribué, par leurs actions nuisibles, à l’enfoncer.

Médard POLISSE-BEBE
Philosophe

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