Tribune de A.Pakoua

CENTRAFRIQUE : 1994 – 2015

Par Adolphe PAKOUA

D’aucuns se demanderont pourquoi un tel titre. La réponse est toute simple. C’est la volonté de faire appel à l’histoire pour comprendre le drame que vit le peuple centrafricain aujourd’hui. C’est aussi la volonté de faire de ce rappel une prise de conscience nationale, une prise de conscience internationale pour que ce qui s’est passé ailleurs ne puisse se reproduire en Centrafrique, à une échelle égale ou plus grande que celle que le monde a vue il y a de cela une vingtaine d’années.

Et qu’a vu le monde en 1994 ?

La réponse à cette question est aussi simple car le génocide du Rwanda ne peut s’effacer si facilement de la mémoire collective. Un drame où le monde entier a vu une tribu se lever pour exterminer à la machette ou par tout autre moyen pouvant porter la mort, une autre tribu avec laquelle elle avait cohabité, coexisté des années et des années durant, tout cela à cause de la manipulation des uns par les autres, au point de faire des manipulés, des êtres dépourvus de leurs sentiments humains et prêts à verser sans la moindre hésitation et sans le moindre frisson, le sang de leurs congénères.

Cet article a pour objet de ne pas oublier cette horreur, pour prévenir une autre horreur « en perspective ». Et ne pas oublier, c’est ne pas permettre un « éternel recommencement ».

1994, c’était donc le génocide du Rwanda avec toutes ses horreurs. On peut en toute logique se poser la question de savoir quelle leçon la communauté internationale a tirée de ce drame qui a touché la sensibilité de tout le monde. A-t-elle compris que son attitude, son absence de réaction a coûté la vie à des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ?

1994 en Centrafrique c’était le pouvoir de Patassé avec cette première expérience d’introduction de forces armées étrangères sur le sol national, couronnée par des viols, des tueries et des pillages commis par les troupes Zaïroises à la rescousse d’un pouvoir chancelant en pleine détresse.

Cette mauvaise inspiration va servir en 2003, de rampe de lancement à Bozize pour introduire à son tour, en Centrafrique, des troupes étrangères tchadiennes qui vont aussi se livrer à des exactions sur le peuple centrafricain, à travers des transfuges bizarrement appelés « zaraguinas ».

2013 a vu Djotodia rentrer en force à Bangui avec une armée hétéroclite dont il n’était pas le véritable chef, car chaque entité de ces hommes armés sans formation militaire, répondait aux ordres de son chef à elle, faisant que le pouvoir central n’avait de nom que sur le papier. Ainsi des sévices en tous genres vont constituer le quotidien des centrafricains, sur toute l’étendue du territoire.

La manipulation va consister à faire croire aux musulmans centrafricains que leur tour était arrivé, de gouverner le pays selon leurs règles. L’idée d’islamiser les populations va faire son chemin, confrontée au refus de la grande majorité, pour laisser la place à une interprétation de la crise en conflit inter-religieux.

De cette perception apparaît très clairement la possibilité d’une division de la population en deux entités bien distinctes : les musulmans d’un côté et les chrétiens de l’autre (même si tous ceux qui sont catalogués comme tels ne le sont pas tous).

Voilà comment, en Centrafrique on fabrique un nouveau Rwanda, avec des chrétiens et des musulmans.

Résultats : les machettes du Rwanda sont remplacées en Centrafrique par des grenades, des bidons d’essence pour incendier les habitations, des pillages, des enlèvements, des viols en tous genres.

Les techniques d’une épuration ethnique sont en marche, faisant des victimes dans la communauté centrafricaine tout simplement, que ces victimes soient « chrétiennes » ou « musulmanes ». On réussit à ne parler des centrafricains qu’à travers ces deux termes, pour mieux marquer la ligne de séparation, préparer la partition du pays qui était à l’origine, l’un des plans des « rebelles » venus du Tchad et du Soudan.

Des crimes sont commis presque tous les jours, toutes les semaines et des représailles vengeresses sont organisées, au nez et à la barbe des forces internationales sensées désarmer les uns et les autres en vue du rétablissement de la paix dans le pays.

Aujourd’hui encore, on tente d’organiser des déplacements de populations « musulmanes » vers l’est, pour être sûr qu’ils y seront en sécurité.

Est-ce la préparation de la partition qui se met en marche ?

Le Rwanda a traversé sa crise et retrouvé la sérénité aujourd’hui, sans aucune partition du pays.

Le Centrafrique sera-t-il ce premier pays francophone à devoir voir son territoire divisé, pour satisfaire les envies et les intérêts des forces souterraines ?

Le pays dont le père fondateur était l’un des chantres de l’unité africaine va-t-il succomber aux pouvoirs de la division ?

Nous répondons non à cette interrogation car ce sera tout simplement l’aveu d’impuissance et la honte de la communauté internationale qui a réuni toutes les forces nécessaires sur le terrain, pour que cela ne soit pas possible.

Adolphe PAKOUA

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Un commentaire

  1. Dans ce projet d’apartheid qui ne dit pas encore son nom, le chef de la MINUSCA se propose de mettre sur pied une « armée ethniquement équilibrée » (sic)
    On peut se demander si une telle armée existe de part le monde. La pauvre République centrafricaine où toutes les expérimentations (même les plus loufoques) sont permises, a-t-elle besoin d’une armée ethnique ou, plutôt, d’une armée nationale et républicaine ?

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